Mon cœur saigne!

Mon cœur saigne… Oui, à chaque fois que je pense aux coupures dans notre réseau de la santé mon cœur saigne. Il saigne, parce que d’abord je me sens comme un numéro, littéralement comme le numéro 61 888. Mon coeur saigne, encore plus, parce que je trouve que ce sont les clients qui en souffrent le plus. Tout d’abord, je n’aime pas dire clients. Ce sont plutôt les mamans, les papas, les enfants, les bébés, bref toutes les familles que je côtoie chaque semaine. Ce sont ces mères, qui m’appellent en urgence le soir à 21h00, celles qui ont accouché la veille et qui sont sorties le lendemain. Ce sont ces mères, qui ont quitté leur maison avec un beau ventre rond et qui y sont revenues trop rapidement avec un beau bébé tout neuf. Ces familles ne sont pas toutes prêtes à vivre l’arrivée de ce petit être cher. Souvent ces parents ont suivi les cours prénataux, ont lu sur le sujet et ont navigué sur les différents forums de discussion, mais la rétention de l’information en période prénatale est estimée à environ 5% et celle immédiatement après l’accouchement est aussi de 5%. Il manque donc un gros 90% de choses à savoir lors de la sortie de l’hôpital. Normalement, le CLSC prend le relais de 24 à 72 heures. Ce sont donc les infirmières qui doivent pallier. Elles se rendent à domicile afin de tenter de compléter l’information que les mères ont reçue en période prénatale. Malheureusement, ces infirmières ont un temps très limité avec les nouveaux parents. Elles doivent faire preuve de rendement et laisser de côté une partie de leur empathie. Ce sont ces infirmières, qui entrent dans l’intimité des familles, ce sont elles qui ne peuvent pas élaborer autant qu’elles le voudraient sur les questions qui leur sont posées, parce qu’elles ont 2 ou 3 autres familles à voir dans la même journée. De plus, les visites ne doivent pas dépasser les 60 minutes « règlementaires ». Tout ça, c’est sans compter la paperasse à remplir, les tableaux, les statistiques et j’en passe.

Par manque d’effectif, nous avons déshumanisé les suivis postnatals. En fait, je ne devrais pas dire par manque d’effectif, mais plutôt par manque de budget. Des infirmières dévouées pour leur travail, il y en a des milliers. Si elles ont choisi ce métier, c’est avant tout parce que c’est plus qu’une vocation pour elles. Il s’agit plutôt d’un besoin profond d’aider, de supporter, d’écouter et de soigner. Elles doivent être polyvalentes et avoir une panoplie de connaissances sur plusieurs sujets. Elles doivent souvent jouer le rôle de nutritionnistes, de psychologues, de travailleuses sociales, etc. Elles ont la capacité de s’adapter en jouant le rôle d’un caméléon dans les différentes situations dans lesquelles elles se retrouvent.

Qu’arrive-t-il lorsque l’infirmière quitte la maison après leur courte visite et que l’allaitement de la patiente ne se passe pas très bien et que le bébé affamé hurle sa vie? Je vais vous le dire ce qui arrive moi. Ce genre de situation engendre des parents désespérés, qui font des appels à l’aide de tous bords, tous côtés. Ils appellent info-santé, se rendent à la pharmacie, retournent sur les forums de discussion et j’en passe. Dans le meilleur des scénarios, ils finissent par trouver un numéro d’urgence d’une ressource communautaire en allaitement la plus près. C’est régulièrement à ce moment-là que le téléphone sonne chez moi. Oui, parce que moi de jour, je suis l’infirmière qui fait les visites à domicile et de soir je suis la conseillère clinique dévouée de l’entraide maternelle qui répond aux appels d’urgence. Je les écoute, je les rassure et parfois je les visite en urgence. Si je ne peux pas me déplacer personnellement, j’essaie de leur trouver une marraine d’allaitement disponible ayant sensiblement vécu les mêmes problématiques. Malheureusement, certains parents en perte de moyens, ne connaissant pas les ressources communautaires en allaitement, se tournent trop souvent vers le fond d’une armoire pour récupérer l’échantillon de lait en poudre reçu gratuitement à l’hôpital gracieuseté d’une compagnie pharmaceutique riche à craquer.

Donc, pourquoi ces parents en arrivent-ils là ? Ils sont dans cette situation, parce que le personnel de l’hôpital et du CLSC est surchargé, parce que les formations en allaitement des infirmières sont pratiquement inexistantes et parce que le réseau communautaire est appauvri. Voilà pourquoi ! Lorsqu’on parle de couper les visites postnatales à domicile et les cours prénataux, mon cœur saigne encore plus. Aux yeux du gouvernement, ce ne sont pas des services essentiels. Grave erreur! Est-ce qu’il faut attendre que l’hospitalisation des bébés augmente parce qu’ils ne sont plus allaités faute de support ? Ou encore que le taux de dépressions postnatales et que l’isolement social de nos familles augmentent ? Notre système de santé souffre et nos services communautaires en allaitement sont toujours aussi pauvres. Si seulement notre gouvernement pouvait comprendre qu’en coupant directement les services postnataux et le support en allaitement, ces coupures entraîneront plus de coûts sur le moyen et le long terme. Les Américains ont déjà fait plusieurs études sur les coûts de santé qu’ils épargneraient si davantage de bébés étaient allaités pour au moins 12 mois. Les études révèlent que plus de 9 milliards de dollars par année pourraient être sauvés. Alors, oui moi je crois que le support aux familles est important pour un gage de réussite au niveau de l’allaitement et de la santé de nos touts petits, mais aussi au niveau des compétences et du support aux parents.



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