Mon papa, il s’est auto-tué

C’est comme ça que ma petite sœur expliquait le suicide de mon père à ses amis. Elle avait huit ans et c’était il y a un peu plus de quatre ans maintenant.

Mon père s’est suicidé en lien avec de l’intimidation en milieu de travail. Si les circonstances et le sujet du harcèlement psychologique vous interpellent, je laisse les bons mots, précis et avec juste ce qu’il faut d’émotions de Patrick Lagacé vous le raconter ici , ici et ici

Ce sur quoi j’ai envie d’écrire, c’est nous. Ceux qui restent.

On nous a dit, quand c’est arrivé, que nous étions en choc post-traumatique. Moi qui étais en mode gestion-de-crise-efficace-je-m’occupe-de-tout-le-monde-sauf-de-moi, je trouvais ça exagéré. Avec le recul, je crois que c’était juste. C’est tellement surprenant, tellement gros, tellement violent comme douleur, tellement inattendu, tellement…

On nous avait aussi dit que le deuil dans des circonstances particulières comme un suicide prend en moyenne entre dix-huit mois et trois ans. À l’époque, je trouvais ça décourageant. Force m’est d’admettre que c’est vrai. Cependant, ce n’est pas trois ans dans le noir. Ce sont trois années à affronter les vagues en tentant de ne pas s’y noyer. Petit à petit, les vagues sont moins intenses, les creux moins bas et plus espacés. Doucement, très doucement.

À travers ce drame indescriptible, il y a nous, la famille, et nous, les individus : ma mère, mon frère, mes deux sœurs et moi, sans oublier l’amoureuse de mon frère et celui de ma sœur qui nous sont précieux à tous.

Pas évident de prendre soin de nous en tant que personnes à part entière tout en prenant soin les uns des autres, parce que tous ne réagissent pas de la même façon à la mort. Les uns ont besoin de parler de l’être perdu avec tendresse et l’idéalisent. D’autres se questionnent sans cesse et veulent en discuter pour comprendre le pourquoi du comment. Alors que certains gèrent ça tout autrement, sans trop en parler. Comment répondre aux besoins de ceux qu’on aime tout en respectant les nôtres?

Je n’ai pas la réponse. On est passé au travers. Ça fait quatre ans. On va bien maintenant. En fait, c’est la première année qu’on traverse les dates (anniversaire de mon père, anniversaire de mariage de mes parents, date du décès, etc.) sans que personne ne redescende. On n’a pas oublié. On est encore triste. Mais ça va.

Il y a aussi les autres, ceux qui nous entourent, la famille et les amis. Comment accompagner des proches dans un deuil par suicide? Avec amour et ouverture, c’est la seule réponse. Parfois, Il n’y a rien à dire ou à faire, il faut juste être là. Si ça vous met trop mal à l’aise, essayez de ne pas trop nous le faire sentir. Nous sommes encore là et n’avons pas choisi cette situation. De grâce, évitez toutes les phrases sous-entendant plus ou moins subtilement qu’il a fait un choix. Le suicide n’en est pas un. C’est une absence de choix. Pour ceux qui font une tentative, il n’y a pas d’autre option.

Soyez compréhensifs. On n’est pas à notre meilleur. J’ai moi-même été assez intense par moments. Bien que je sois très chanceuse d’être si bien entourée d’amis précieux et de collègues au grand cœur, certaines personnes m’ont jugée pour des réactions que j’ai eues et des maladresses que j’ai pu commettre dans les mois qui ont suivi. Bien que ça m’attriste parce que je considère que ça ne me représente pas, je dois accepter que ces gens m’ont rangée dans une petite boite et ont pris leurs distances. Je me concentre donc sur ceux qui ont su être là, sans me juger, et qui peuvent aujourd’hui apprécier le fait que je suis pas mal plus relaxe! Heureusement, ils représentent la grande majorité.

Il n’y a pas de recette miracle ou de formule magique. On s’aime très fort et on a tenté du mieux qu’on pouvait de se respecter. Ce serait mentir que de dire que nous ne nous sommes jamais écorchés en traversant ce long processus de deuil, mais l’amour que nous nous portons a été plus fort. On comprenait. Cet amour et ce respect que nous nous portons, nous le ressentons encore aujourd’hui et notre famille est tissée encore plus serrée! Ceux qui nous ont le plus aidés sont ceux qui ont utilisé la même formule : amour, respect et ouverture.

Jessica Archambault



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