Pourquoi?

− Papa, pourquoi il y a toujours plein de gens qui se font tuer à l’école…

Normalement, je l’interromprais à ce moment précis, avec « As-tu rangé ta chambre? » Pour les parents en devenir, j’ai deux conseils pour vous. Primo, dormir maintenant; après la naissance, ce sera une denrée rare. Peu importe leur âge. Secundo, si ce n’est pas déjà naturel, il faut vite maîtriser l’art de la diversion.

Il vous regarde avec ses yeux inquiets. Ça brise le cœur.

À son âge, il y avait bien quelques trucs de la vie qui nous effrayaient. Untel, qui avait perdu son père, mort électrocuté en voulant dégager un cerf‑volant dans l’arrière‑cour. Un autre, dont le frère s’était fait frapper par une voiture. Au pire, à mots voilés, les sous‑entendus vagues qu’untel, son père s’est suicidé.

À l’école, quelques bagarres. Qui se terminaient habituellement par la visite chez le directeur. Un homme sensé qui, après avoir entendu les deux belligérants, donnait une sanction égale à tous les impliqués. Un exercice annuel d’incendie. Quelques fausses alarmes, en période d’examens.

Dans mon cas, le seul souvenir d’une classe maculée du sang d’un ami, c’est une niaiserie d’adolescents du secondaire. Celui qui, pour faire son drôle, soulève l’avant du pupitre de celui qui est toujours sur les deux pattes arrière de sa chaise. Bang! Le pupitre sur la bouche. Un paquet de dents cassées. Un sourire qui ne sera plus jamais aussi vrai qu’avant.

Alors, comment expliquer, simplement, les tueries à répétition dans les écoles?

− Tu sais que tous les pays n’ont pas les mêmes règles. Eux, ils croient que l’accès aux armes est un droit fondamental, pour tous.

Je me mords les lèvres. Je voudrais compléter. Lui dire que les fabricants d’armes, ils ont mis sur pied une association qui, elle, finance (dans le sens d’acheter) les politiciens. Ceux qui votent ensuite des lois pour favoriser la vente des armes. Quelles qu’elles soient. Qu’il est de plus en plus difficile de se faire élire, sans un tel financement. Que l’argument tiré d’un amendement à leur constitution est une compréhension erronée d’un texte vétuste. Que la violence, quand c’est ta culture, c’est difficile de voir les choses différemment. Mais il faut garder ça simple.

− Alors, pour leur sécurité, ils permettent à presque tous d’avoir autant de fusils qu’ils veulent.

− Si tous les gens peuvent avoir des fusils, qui est en sécurité?

L’art d’être parent, c’est aussi de garder en vue l’objectif. Donner de l’information, mais sans inquiéter davantage. Rester crédible, en tentant d’éviter la cascade de questions sans fin. Parler d’un ton rassurant. Un peu comme « Il était une fois, dans un pays fort, fort lointain… »

− Tu as tout compris! Plusieurs pays ont décidé de contrôler la sorte d’armes, qui peut en avoir et comment elles peuvent être utilisées. Pour la chasse, principalement. Ce genre de fusils, ici, on ne croit pas que ça peut servir à la chasse.

C’est à ce moment précis qu’on se croise les doigts. En espérant que notre pédagogie du drame est adéquate. Mais ils ont cette capacité de nous surprendre.

− … et ce chasseur de têtes, dont tu parlais avec maman, il a ce genre de fusil?

J’éclate de rire.

− C’est une expression, pour dire que son travail, c’est de trouver le meilleur candidat pour un emploi! En passant, as-tu rangé ta chambre?

Sauvé, par la perche qu’il m’a tendue…

michel



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