TON animal, MA responsabilité?

Il faut que tu saches…

Le chien ou le chat que tu abandonnes au gré du vent dans nos champs finit par aboutir chez nous. On a une bien belle ferme et je le sais que ça te semble tout indiqué d’ouvrir ta portière et de le sacrer dehors comme si vous n’aviez jamais eu d’histoire.

Mais il faut que tu saches…

Alors que tu retournes à ta vie tranquille, débarrassé de la petite bête que tu ne méritais pas, sa vie à elle est tout sauf paisible. Ta petite bête, dégriffée, parce qu’il ne fallait surtout pas grafigner tes beaux divans, n’a plus aucune ressource pour se nourrir, se défendre et survivre. Stérilisée? Ça, c’était trop cher, les divans étaient plus importants que sa santé. Heureusement, grâce à toi, elle peut encore se reproduire. On te remercie pour ça (sarcasme condescendant, j’assume)!

Alors, ta petite bête arrive à notre porte dans un état lamentable, enceinte, amochée par la vie, ou par toi, c’est selon. Sans broncher, on offre un toit, de la nourriture et des câlins en attendant de retrouver les maîtres. Pff, retrouver les maîtres… chose qui n’est jamais arrivée. Malgré nos appels aux organismes, les « spotted », les annonces, on finit par réaliser que dans le fond, la petite boule de poils a été abandonnée. Tout ce temps investi pour retrouver quelqu’un qui ne veut pas l’être. Sais-tu que j’ai autre chose à faire?

Oh oui, il va de soi qu’on s’attache à cette petite bête, ici. Elle est tombée sur une bonne maison, où des amoureux des animaux habitent.

Tu voudrais que ce soit ça, la fin, hein? Un beau petit happy ending digne des plus grands films. Ben non, laisse-moi continuer, parce que je n’ai pas fini de vider mon sac.

Ton animal, ton bébé, celui que tu voulais tant parce qu’il était cute, va aller explorer. Non, il n’est pas possible de prendre 19 chats, 8 chatons, 2 chiens dans la maison. Donc il explore un terrain immense qu’il ne connaît pas. Tout ce qu’il a connu depuis qu’il est bébé, c’est TON terrain de maison ou encore les murs de TON appartement. Il ne connaît pas nos limites et les dangers qui règnent autour, puisque nous ne sommes pas à TA maison.

Pis là tu sais ce qui se passe? Un beau matin, j’entends le pleur, le cri strident de la p’tite bête qui vient de se faire frapper sur LA route sur laquelle tu l’as abandonnée. Parce qu’on va se le dire mon ami, tu n’as pas choisi la moins passante.

C’est moi qui dois sortir de ma maison en courant, le cœur à l’envers, les larmes aux yeux, parce que c’est le pleur le plus crève-cœur qu’on puisse entendre. Quand la mort n’est pas instantanée, c’est vers moi qu’elle revient en panique et en souffrance. C’est moi qui dois travailler à moitié cette journée‑là, parce que je dois lui trouver de l’aide. C’est moi qui dois vivre ce moment‑là, trop de fois. Pis tu sais quoi? C’est moi qui dois la regarder dans les yeux, la flatter et lui dire que tout ira bien, même si je sais que ce n’est pas vrai.

Toi, tu n’as sans doute pas eu l’audace de la regarder dans les yeux, ta petite boule de poils, avant de l’abandonner, parce qu’au fond, tu t’en foutais que ça aille ou non. Moi j’ose le faire, même si ça me fend l’âme, parce que je veux qu’elle sache combien je suis désolée, combien elle a été importante et précieuse. Mais surtout, combien je suis désolée de la bêtise humaine.

C’est tout, je voulais juste que tu saches.

 

Marilyne Lepage



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