Tag abandon

Fak, maman – Texte : Kim Boisvert

Maman,

T’es déjà dans ton t

Maman,

T’es déjà dans ton trou, que tu t’es toi-même creusé, tu sais donc pas ce que ça fait de sentir le sien grossir.

Aujourd’hui, j’voulais me mettre belle pour souligner ton décès. J’pense que ça m’aide habituellement à faire passer cette journée. Mais pas aujourd’hui. J’ai l’nez qui coule autant que mon envie de te crier des bêtises. Fak, d’où t’es, tu m’verras partir pour le bureau les yeux un peu moins brillants et avec un chandail vieux comme le monde. J’espère que t’es contente.

On t’a enterrée, on dirait que c’était hier. J’aimerais ben ça suivre mon cœur pour te dire des mots doux de cadette en peine, mais ce matin, aujourd’hui, assisse sur ma petite chaise d’ordinateur, je me rends bien compte pourquoi j’ai pas pu suivre mon cœur ; il est en morceaux. Je sais donc pas quel boutte suivre. Fak, fais avec, oh, et je vais m’attacher les cheveux, je sais que t’aimais mieux quand ils étaient lousses.

J’imagine que tout le restant de ma vie, je vais avoir un peu le feeling d’avoir été semi-orpheline. Je dis semi parce que t’auras pas été là à beaucoup d’étapes. On en a grillé pas mal, t’en as volontairement scrappé, et les autres, j’voulais pas te les partager. J’pensais que j’avais le temps de te faire vivre ma colère, le temps d’une vie. J’savais juste pas que t’avais décidé de t’abandonner dans la maladie. Carpe diem, paraît. Fak à cause de ça, tu verras jamais ma passion pour la photo grandir, tu verras jamais mes enfants. Elles ne pourront connaître de toi qu’une photo vieille de quand j’avais 27 ans et toi 49. Tu ne seras pas là le jour de mon mariage. Tu sais, à cause de toi, y’aura pas de table d’honneur, parce que sinon ça me rappellerait que je suis semi-orpheline. Fak, j’espère que t’es contente.

J’sais pas trop si tu sais qu’en bas, on était là pour toi. Ce que je sais c’est que toi, tu seras pu jamais là pour nous. Ni pour personne. Fak aujourd’hui, j’irai pas t’voir, pis j’vais essayer de pas penser à toi toutes les minutes de cette journée. Parce que tu nous as abandonnés une journée d’automne, pis que c’est ma saison préférée.

Kim Boisvert

Lettre à mon fils

<span style="font-family: 'Times New Roman',seri

Mon fils. Mon petit homme de ma vie. Tu as 8 ans maintenant. Les années passent à une vitesse effrayante ! Tu as un parcours pas facile pour un petit garçon de ton âge. Jusqu’à l’âge de 3 ans, tu m’as vue vivre une relation difficile avec ton papa. Tu m’as vue camoufler mes larmes, tu m’as vue essayer d’être forte et essayer de vous faire sourire ta sœur et toi, même si tu étais assez perspicace pour savoir que je cachais de la tristesse. Tu étais petit, mais tellement brillant et vif d’esprit. Tu n’avais pas la naïveté des autres enfants, tu ne l’as jamais eue.

 

À 3 ans, tu as vécu la séparation de tes parents, sauf que ton papa à toi est allé vivre à 5 000 km et il est venu te visiter seulement trois fois depuis son départ. J’ai voulu essayer de compenser ce manque-là, mais la réalité, c’est que je n’ai jamais pu. Je suis juste ta maman. Je ne peux pas être autre chose que ta maman.

 

Au fur et à mesure que tu grandissais, je réussissais à voir la fissure qui s’était dessinée sur ton petit cœur d’enfant. Un trouble de l’attachement. On ne veut tellement pas que nos enfants souffrent dans la vie, mais là, je devais bien me rendre compte que la vie est ce qu’elle est. J’allais devoir relever mes manches et tout faire pour que tu ne te sentes jamais abandonné.

 

À la garderie, à l’école, ça n’a pas toujours été évident. Les adultes ne savent pas toujours comment intervenir avec toi, je le sais ça. Le lien d’attachement avec l’adulte est indispensable pour toi pour que ça fonctionne. J’ai aussi vu que ta petite blessure envenimait parfois tes relations avec les autres. Chaque fois que tu as la perception d’être rejeté, c’est une grosse tempête dans ton cœur et dans ta tête. Il faut bien te connaître pour le comprendre.

 

Chaque année scolaire, je croisais les doigts pour que tu tombes sur un prof qui allait comprendre tes particularités, tes besoins. J’essayais d’être ta voix. À chaque rencontre avec l’école, à chaque appel avec la technicienne en éducation spécialisée (combien ? J’ai arrêté de compter !), à chaque appel de la directrice, je me démenais pour qu’en fin de compte, tu sois compris. Derrière tes comportements parfois plus difficiles se cache un garçon hypersensible, anxieux et qui ne demande qu’à être aimé. Tu caches bien tout ça par contre, avec la petite carapace que tu as construite pour te protéger.

 

On a fréquenté une psychologue merveilleuse qui m’a beaucoup aidée à rester forte dans les derniers mois de ta deuxième année qui me semblait interminable. J’avais un petit être humain de 7 ans qui n’aimait plus l’école. Tu n’avais que 7 ans ! Tes crises d’anxiété se multipliaient le matin. Tu pleurais. Tu ne travaillais plus en classe. Tu étais devenu complètement indisponible aux apprentissages. J’étais épuisée, tout comme toi mon amour.

 

Pendant le confinement, on m’a appris qu’une demande avait été approuvée pour toi, pour que tu intègres une classe « nurture » à la prochaine rentrée scolaire, dans une autre ville à côté, dans une école régulière qui avait ce type de classe. J’ai fait mes recherches, j’ai lu, j’ai parlé avec la directrice de la nouvelle école. Wow ! J’ai compris qu’on avait été entendus. Cette classe réduite où le lien d’attachement est à la base des interventions était faite pour toi. Le hic… je m’imaginais mal t’envoyer dans cette école alors que ta sœur allait intégrer l’école primaire que tu connaissais. Eh bien oui, on s’est lancés ! J’ai vendu mon condo pour acheter une maison avec ton beau-père que tu aimes tant et qui est si présent pour toi. Et pas n’importe où. Dans le secteur de l’école que tu allais fréquenter. Je sais que tu penses naïvement que tu as changé d’école parce qu’on a déménagé, mais moi, je garde le secret qu’on a tout fait ça pour toi mon petit bonhomme. Un jour, tu le sauras peut-être !

 

En attendant, moi, je te regarde aller à l’école avec le sourire chaque matin pour aller retrouver tes nouveaux amis et ton enseignante qui comprend parfaitement tes besoins. Tu es dans une classe incroyable, adaptée à tes besoins, et franchement je ne t’ai jamais vu aussi heureux. Tu retrouves une confiance en toi que tu avais perdu complètement. Je te sens apaisé. C’est de la musique dans mes oreilles quand je te vois revenir de l’école avec des étoiles dans les yeux en me racontant tout ce qui s’est passé de merveilleux dans ta journée ! Après tout, je te l’ai promis que je ferais tout pour que tu ne te sentes jamais abandonné ! Je n’arrêterai jamais de croire en toi. Ne l’oublie jamais !

Signé ton ange-gardien, ta maman. 

TON animal, MA responsabilité?

Il faut que tu saches…

Le chi

Il faut que tu saches…

Le chien ou le chat que tu abandonnes au gré du vent dans nos champs finit par aboutir chez nous. On a une bien belle ferme et je le sais que ça te semble tout indiqué d’ouvrir ta portière et de le sacrer dehors comme si vous n’aviez jamais eu d’histoire.

Mais il faut que tu saches…

Alors que tu retournes à ta vie tranquille, débarrassé de la petite bête que tu ne méritais pas, sa vie à elle est tout sauf paisible. Ta petite bête, dégriffée, parce qu’il ne fallait surtout pas grafigner tes beaux divans, n’a plus aucune ressource pour se nourrir, se défendre et survivre. Stérilisée? Ça, c’était trop cher, les divans étaient plus importants que sa santé. Heureusement, grâce à toi, elle peut encore se reproduire. On te remercie pour ça (sarcasme condescendant, j’assume)!

Alors, ta petite bête arrive à notre porte dans un état lamentable, enceinte, amochée par la vie, ou par toi, c’est selon. Sans broncher, on offre un toit, de la nourriture et des câlins en attendant de retrouver les maîtres. Pff, retrouver les maîtres… chose qui n’est jamais arrivée. Malgré nos appels aux organismes, les « spotted », les annonces, on finit par réaliser que dans le fond, la petite boule de poils a été abandonnée. Tout ce temps investi pour retrouver quelqu’un qui ne veut pas l’être. Sais-tu que j’ai autre chose à faire?

Oh oui, il va de soi qu’on s’attache à cette petite bête, ici. Elle est tombée sur une bonne maison, où des amoureux des animaux habitent.

Tu voudrais que ce soit ça, la fin, hein? Un beau petit happy ending digne des plus grands films. Ben non, laisse-moi continuer, parce que je n’ai pas fini de vider mon sac.

Ton animal, ton bébé, celui que tu voulais tant parce qu’il était cute, va aller explorer. Non, il n’est pas possible de prendre 19 chats, 8 chatons, 2 chiens dans la maison. Donc il explore un terrain immense qu’il ne connaît pas. Tout ce qu’il a connu depuis qu’il est bébé, c’est TON terrain de maison ou encore les murs de TON appartement. Il ne connaît pas nos limites et les dangers qui règnent autour, puisque nous ne sommes pas à TA maison.

Pis là tu sais ce qui se passe? Un beau matin, j’entends le pleur, le cri strident de la p’tite bête qui vient de se faire frapper sur LA route sur laquelle tu l’as abandonnée. Parce qu’on va se le dire mon ami, tu n’as pas choisi la moins passante.

C’est moi qui dois sortir de ma maison en courant, le cœur à l’envers, les larmes aux yeux, parce que c’est le pleur le plus crève-cœur qu’on puisse entendre. Quand la mort n’est pas instantanée, c’est vers moi qu’elle revient en panique et en souffrance. C’est moi qui dois travailler à moitié cette journée‑là, parce que je dois lui trouver de l’aide. C’est moi qui dois vivre ce moment‑là, trop de fois. Pis tu sais quoi? C’est moi qui dois la regarder dans les yeux, la flatter et lui dire que tout ira bien, même si je sais que ce n’est pas vrai.

Toi, tu n’as sans doute pas eu l’audace de la regarder dans les yeux, ta petite boule de poils, avant de l’abandonner, parce qu’au fond, tu t’en foutais que ça aille ou non. Moi j’ose le faire, même si ça me fend l’âme, parce que je veux qu’elle sache combien je suis désolée, combien elle a été importante et précieuse. Mais surtout, combien je suis désolée de la bêtise humaine.

C’est tout, je voulais juste que tu saches.

 

Marilyne Lepage

Je suis un petit chien fou

Imaginez-le, ce petit caniche fou qui saute partout en quête d’at

Imaginez-le, ce petit caniche fou qui saute partout en quête d’attention et de caresses. Ce pitou limite énervant qui saute sur les gens dès qu’ils passent le pas de la porte. Ce pitou trop affectueux qui veut tellement être aimé, mais qui n’a pas les mots pour le dire comme il faut.

Il est cute, à petites doses. À temps très partiel. En garde partagée. Mais à long terme? À temps plein? Oh boy. On a besoin d’un break. Le symbole même du too much. Il est aimable, certes! Parfois adorable! Avec ses petits yeux joyeux, avec son regard piteux. Mais ses yeux attendent trop de ceux qui osent l’aimer.

Un jour, ce pitou prend le bord. Un jour, ceux qui ont succombé à son charme se tannent. Le délaissent. Ont besoin d’air. Ils embarquent le canin dans une voiture. Dans une boîte, pour lui cacher sa destination. Avec des trous pour respirer, quand même. Ils débarquent le canin sur le bord d’une route éloignée. Cachée. Boisée. Et ils repartent en catimini. Peut-être en essuyant une larme. Peut-être en criant « Bon débarras! » Le petit chien fou ne le saura jamais. Silence radio.

Il attend. Tout d’un coup que ceux qui l’ont aimé l’aimeraient encore et qu’ils reviendraient sur leurs pas. Il se dit qu’au moins, il n’a pas été battu. D’autres vivent tellement pire que lui! Il attend.

Il se dit que sûrement, c’est à cause de lui. Sa faute, parce qu’il est trop, parce qu’il est lui. Et parce qu’il est lui, ils ne reviendront pas. Mais il attend. Sagement. Désespérément.

Mais ce chien foufou est si fou qu’à un moment, il s’imagine qu’ils reviennent. Il entend un moteur gronder, une voiture s’approcher. Il court. Comme un chien fou. Il s’enthousiasme : ils sont revenus! Il s’imagine un monde où il ne sera plus jamais abandonné. Un monde où il pourra être lui : un chien un peu foufou et aimé.

Mais non. La voiture ralentit, s’arrête, repart. Un autre chien a peut-être été abandonné, ou un chat. Ils ne sont pas épargnés, eux non plus. Les rejets, ça se fait en plusieurs modèles. Chose certaine, la voiture, ce n’était pas pour le ramener dans son foyer, parmi les siens auxquels il n’appartient plus. Et pourtant, le petit caniche enthousiaste et naïf a accouru vers la voiture, prêt à sauter dans des bras accueillants.

Le petit chien fou est si fou qu’il aurait pu se faire frapper, finir écrasé et oublié. Il finit seulement oublié. Avec son cœur canin écrasé parce qu’il se rend compte, encore une fois, qu’il n’a plus sa place dans les cœurs qui l’ont aimé.

Le petit chien fou, c’est moi. Moi qui aimerais ne jamais cesser d’être aimée, même par ceux qui m’ont fait du mal, même par ceux qui m’ont laissée pour morte sur le bord du chemin. Moi qui voudrais tant que ceux qui m’ont laissé tomber reviennent. Peut-être pour dire « je t’aime », peut-être pour dire « je te demande pardon ». Sûrement pour dire « je t’ai aimée pour vrai ». Même si c’est pour parler au passé.

Mais souvent, je préférerais n’avoir que la conscience d’un chien fou. Ou d’une fourmi. L’inconscience nécessaire pour éviter de me rendre compte que mon attitude de chien fou trop rempli d’espoir est ridicule. Que je m’autodétruis à force d’espoirs qui ne s’accompliront pas. Peut-être que ça m’éviterait de me taper sur la tête parce que je me sens piégée dans ce pattern malsain. Maudite dépendance! Maudit besoin d’amour et d’amitié! Je suis mal faite, même si je comprends ce qui m’a ainsi faite.

Un jour, pitou fou trouvera son no-nos. Et le gardera.

 

Nathalie Courcy

Au nom du père

Aujourd’hui c’est la fête des Pères. De TOUS les Pères.

Aujourd’hui c’est la fête des Pères. De TOUS les Pères.

Les jeunes, les vieux, les nouveaux, les bons, les beaux, les absents.

Oui, c’est ta fête aussi, toi, le père de mon enfant. Toi qui ne l’as jamais voulu. Toi qui, maintenant, revendiques tes droits au nom du Père, du Fisc et du Mâle démis.

Oui, toi! C’est ta fête aussi. Du moins, selon le calendrier…

Alors pour ta fête, j’ai quelque chose à te dire, à toi que j’ai choisi pour être le père de mon enfant. Ou devrais-je dire que la vie a choisi, car quand j’y repense, ce n’est pas TOI que j’ai choisi, c’est la vie de notre enfant, en refusant d’avorter alors que ce petit bout de nous avait décidé de s’installer dans mon ventre sans être désiré. Une conception maculée de parjures au nom du Père, du lit et de ton Sacrosaint pénis.

Oui, je le confesse sans honte désormais. Notre enfant n’est pas le fruit de notre amour. Il est le pêché originel qui a donné le coup de grâce à ce qui me restait d’amour-propre. Il est à la fois ma damnation et ma rédemption pour les souffrances que cette relation toxique a stigmatisées dans mon être, au nom du Père, du Vice et du Mal appris.

Je t’entends déjà me dire que je confonds encore conjugalité et parentalité. Que nos histoires de couple et la violence que tu m’as fait subir pendant nos dix ans de vie commune n’ont rien à voir avec notre enfant. Que c’est pour qu’il ne soit plus témoin de cette violence que tu m’as quittée dans une autre démonstration de la puissance de ta colère à laquelle notre enfant a encore assisté, au nom du Père, du Vil et du Sang vomi.

Tu m’as quittée, mais cela n’a pas mis fin à ton comportement violent envers moi, parfois encore devant notre enfant. Mais plus souvent, de façon sournoise et tout aussi efficace, sous couvert de la loi. Je suis soulagée, cependant, que notre enfant soit moins directement exposé à tes instincts destructeurs envers sa mère. Mais ne t’attends quand même pas à ce que je te donne ma bénédiction au nom du Père, du Fils et de l’ex soumise.

M’avoir quittée ne fait pas de toi un meilleur père. Même si tout au long de ces années de vie commune, tu as tenté de me convaincre que tout était de ma faute, et en particulier ton comportement envers moi. Que c’était moi qui faisais ressortir le méchant en toi. Que je suis une mauvaise mère parce que je tente de protéger notre enfant de son père. À t’écouter, je devrais me faire exorciser au nom du Père, du Psy et du Satirique.

Je te l’accorde, je suis maudite, car je partagerais toujours l’autorité parentale de cet enfant avec toi. Pour le meilleur et surtout pour le pire. Tu es son père. Légalement et biologiquement. Cela ne fait pas de toi un Saint-Père pour autant. Le titre n’est pas la fonction. Mais au regard de la fête des Pères, je m’en remets au jugement dernier de notre Fils, au nom de la Mère, du Lys et du Sain d’esprit.

 

Eva Staire

 

Papa! M’as-tu déjà laissée être ta petite fille?

Papa,

Dans ma tête de petite f

Papa,

Dans ma tête de petite fille, l’amour d’un père pour sa fille, c’est grandiose. Comme dans les contes de fées, j’ai souvent rêvé d’être ta petite princesse. D’être la prunelle de tes yeux. D’être une de tes raisons de vivre.

Malheureusement, la réalité est tout autre dans notre cas. Plus j’étais invisible à tes yeux, plus je voulais que tu m’aimes. Dans mes plus lointains souvenirs, j’ai toujours cherché à te plaire. Je cherchais tant la fierté dans tes yeux que ça m’angoissait… Comme je ne suis jamais arrivée à te plaire, le sentiment d’échec s’est vite montré le bout du nez. Je ne me sentais jamais à ta hauteur… Et pourtant!

Je n’étais jamais assez… Sais-tu à quel point c’est épuisant? L’anxiété a débuté à ce moment, je n’avais pas dix ans.

Je ne te sentais pas heureux. Heureux d’être mon papa, heureux d’être là. Les seuls sourires allaient à ma mère ou à la visite. Avec moi, c’était l’hiver.

La culpabilité, je l’ai portée sur mon dos d’adolescente. La peur de tes reproches me rendait grise et terne. La vie était une suite de « Qu’est-ce que j’ai encore fait pour te mettre dans cet état? »

Malgré tout? Je t’ai aimé. J’avais tant espoir que tu voies cet amour dans mes yeux et que ça te touche… J’attends encore…

Je n’ai jamais réussi à te comprendre. À comprendre ton comportement. Un jour, tu dépensais comme un fou, tu avais les plus hautes ambitions… Le lendemain, tu ne voulais pas te lever et tu ne voulais plus rien savoir de personne. Je n’ai jamais compris non plus tes tentatives de suicide. La vie est si belle. Elle aurait pu être si belle…

Tu sais papa, l’amour paternel, je l’ai cherché tellement longtemps que je n’ai jamais pris ce temps pour m’apprécier. Pour construire ma confiance en moi. Si mon papa ne m’aime pas, pourquoi les autres m’aimeraient? Mes histoires d’amour en ont souffert terriblement…

Plus je grandissais, plus je voyais que ma maman aussi était malheureuse. Plus je grandissais, plus tu devenais contrôlant. Tu n’avais d’yeux que pour elle… tellement… trop… Je te mentais pour que maman ait un peu d’air. En vingt ans, tu lui as pris tout celui qu’elle avait. Ma mère, si douce, devait s’en aller. Encore dans la fleur de l’âge, elle aurait tout le temps de refaire sa vie et de vivre enfin le vrai bonheur.

Un an après le divorce, tu m’as amenée au restaurant. Juste toi et moi. Si tu savais comment mon cœur battait la chamaille… Peut-être que la vie nous donnait enfin une chance! Je me suis mise toute belle. Je voulais être enfin ta petite princesse malgré mes dix-huit ans.

Ce soir-là, ce fut la dernière fois que je t’ai vu. Je ressemblais trop à ma mère, m’as‑tu dit, alors tu n’étais plus capable de me regarder. Pour toi, c’était trop pénible. J’étais trop pénible! Le cœur en miettes, j’ai réalisé à ce moment-là que tu ne ferais plus jamais partie de ma vie. Que je devrais vivre avec ton départ sans vraiment comprendre ce que j’avais fait pour mériter tout ça.

Les années ont passé et j’ai su que tu avais été diagnostiqué bipolaire. Ça a tellement de sens… Ça fait tellement de bien! Je peux enfin enlever tout ce fardeau de mes épaules. Je peux enfin commencer à vivre. Je n’avais rien à voir avec ton mal-être. Je peux enfin me reconstruire et apprendre à me connaître.

Je suis maintenant mariée à un homme formidable. Je l’ai choisi, car je savais pertinemment qu’il ne serait jamais le père que tu as été. Ma fille aura son roi. Ma fille ne manquera jamais d’amour. Compte sur moi, j’y veillerai.

Papa, je te souhaite de trouver la paix qui te permettra d’avancer. Nous la méritons tous.

Bonne route!

Alexandra Loiselle

Le bébé seul dans sa chambre d’hôpital

Ma fille avait deux mois. Tout à coup, rien n’allait plus… Elle

Ma fille avait deux mois. Tout à coup, rien n’allait plus… Elle chignait, se tordait de douleur et pleurait sans arrêt. La théorie de la poussée de croissance a été vite écartée : elle refusait le sein en dehors de son horaire habituel. Elle avait pourtant été si calme et souriante depuis sa naissance… Pas de fièvre. Aucun autre symptôme. Juste un bébé en crise, un petit saule inconsolable. Je l’amène à l’urgence.

On arrive à l’hôpital. Pas trop bondé, étonnamment. Je tends ma fille de deux mois à l’infirmière du triage et lui dis : « Y’a vraiment quelque chose qui ne va pas! Je ne reconnais plus mon bébé. Elle n’arrête plus de pleurer. » J’essaie de ne pas avoir l’air trop paniquée. Mais à l’intérieur, j’ai totalement perdu mes repères. Je déteste les hôpitaux et il faut que mon feeling de maman soit fort en ti-pépère pour que j’y aille! L’infirmière a l’air zéro-convaincue. Pas de fièvre. Pas de symptômes. Elle fait des prises de sang « pour être bien sûre ».

Les résultats sanguins arrivent. Infection urinaire sévère. Les reins sont atteints. On lui donne une chambre. Ma petite poule a deux mois et est allaitée exclusivement. Je ne me pose aucune question et la suis dans la chambre qu’on lui a assignée. La « chambre » se résume à une pièce dans laquelle sont cordées quatre bassinettes, une dans chaque coin. Je me tourne vers l’infirmière et lui demande où je vais dormir… Parce que bébé boit aux deux ou trois heures et qu’il est hors de question que je la quitte des yeux de toute façon. L’infirmière me regarde, l’air désolée, et tente de me rassurer en me disant : « Attendez, je vais vous chercher une chaise. ». Je ne savais pas à ce moment-là que j’allais passer quatre jours à dormir sur cette chaise, à côté de mon bébé.

Dans la chambre, il y avait trois autres mini-patients. L’infirmière m’explique que ma fille se trouve dans la chambre des bébés de moins de trois mois. Notre premier co‑chambreur avait un mois et demi. Sa maman était avec lui. Notre seconde co‑chambreuse avait deux mois aussi. C’était un de ces bébés qui arrivent en paquet de trois (oui, oui, des triplets!) et ses deux autres sœurs avaient déjà eu leur congé de l’hôpital. J’avais peine à imaginer la maman à la maison avec ses jumelles, la tête et les bras pleins, mais le cœur bien vide de ne pas avoir tous ses bébés à la maison avec elle. Les grands-parents se relayaient pour veiller sur la petite triplette combattante et la visitaient tous les jours.

Puis, il y avait ce quatrième bébé. Celui en face du lit de ma fille. Il était branché par plus de fils que je pouvais en compter… Ses machines sonnaient l’alarme trop souvent… Les infirmières tentaient de se relayer pendant leurs pauses pour lui offrir une chaleur humaine. Il avait un peu moins de trois mois. Quand ma fille était endormie, je demandais si je pouvais le prendre aussi. Les infirmières me répondaient gentiment que malgré le gros coup de main que ça aurait pu leur apporter, les procédures interdisaient les parents des autres patients de toucher le bébé, pour assurer qu’il n’y ait pas de contagion. Ma fille avait une infection urinaire, pas la varicelle… Mais la procédure était la procédure.

Je repense à ce bébé, des années plus tard, et j’ai encore mal à mon cœur de maman. Durant les quatre jours de notre séjour, les infirmières et les médecins l’ont ramené à la vie plusieurs fois. Et il était si seul, dans son grand lit froid. La quatrième journée, sa mère lui a rendu visite. Elle est restée vingt minutes environ, s’est informée de son état, sans même le prendre, et est repartie en me parlant du carnaval auquel elle allait assister. J’étais sidérée. Le cœur en miettes. Je ne pouvais pas comprendre. La nuit, en berçant ma fille, je chantais plus fort pour qu’il m’entende. Je me disais qu’il avait besoin d’entendre une voix rassurante, pleine d’amour. Il aurait mérité des câlins à l’infini et de l’amour à profusion. Il avait tous les soins nécessaires, mais sans maman, rien n’est plus pareil… Je racontais mes histoires plus fort, pour que ma voix porte jusqu’à lui. Juste pour qu’il sache qu’il n’était pas seul.

Loin de moi l’idée de juger les actions de la mère. Elle aussi méritait un bébé en santé, rose et tout sourire. Elle était peut-être trop fatiguée ou peinée pour venir… Elle avait peut-être déjà entamé son deuil… Je ne suis pas là pour juger ses compétences parentales ni sa volonté.

Je lève mon chapeau aux infirmières, qui donnaient à ce bébé tellement de soins, tout en étant empathiques et chaleureuses. Elles lui ont donné tout ce qu’elles pouvaient, à travers les contraintes d’horaires et de procédures.

Je ne saurai jamais si ce bébé a survécu. Selon les bribes d’informations que j’entendais, je ne pense pas que ce soit le cas… Je suis revenue chez moi, après quatre jours à dormir sur une chaise, à manger des sandwichs froids et à prendre des douches très sommaires… Et la première chose que j’ai faite, malgré l’heure tardive ce soir-là, c’est prendre mes enfants sur mes genoux, les bercer et leur chanter une berceuse. Parce qu’on ne sait pas ce que la vie nous réserve, et qu’à travers les crises de bacon et les dégâts de lait, on a parfois tendance à oublier la chance qu’on a. La chance de pouvoir serrer nos enfants si forts dans nos bras. La chance de les voir respirer, marcher, courir et découvrir la vie. La chance de pouvoir leur montrer à quel point on les aime. La chance d’être une maman.

Savourez votre chance. Bonne fête des Mères.

Joanie Fournier

 

Elle se suicidait

<span lang="FR" style="margin: 0px; color: #333333; font-family: 'Ge

Depuis quelque temps, nous parlons beaucoup de maladies mentales. Quand j’étais enfant, j’aurais tellement aimé que l’on m’explique, qu’on arrête de me cacher la vérité et de me dire que tout allait bien. Car non, tout n’allait pas bien. Maman se suicidait…

Je me souviens de l’avoir trouvée si pâle, la respiration si rapide, les lèvres si bleues, les yeux si vides. Je me souviens d’avoir crié : «Maman! Maman!» Je me souviens de l’avoir secouée si fort.


─ Ma maman est morte.
J’avais sept ans.
Mon petit frère de quatre ans pleurait.
─ Ma maman est morte et je ne sais pas quoi faire.
La voix rassurante dans le téléphone me disait de ne pas m’en faire, que les secours étaient en route.
Quand ils sont arrivés, ils l’ont branchée à plein de fils. Puis ils l’ont emmenée.
Maman est partie.

Je me souviens de ce soir-là, quand mon père est venu m’embrasser.
─ Qu’est-ce qu’elle a, maman?
─ Elle est juste un peu fatiguée, ce n’est rien du tout, ça va aller.
Il a refermé la porte de ma chambre.
J’avais envie de hurler.
Ça ne va pas du tout! Menteur! Menteur! Maman veut mourir! Et ce n’est pas la première fois! Menteur!

Je me suis promis, ce soir-là, de ne plus jamais croire les grands. Jamais. Et je me suis promis de ne jamais mentir à mes enfants.
Car un enfant imagine le pire… Dans ma tête à moi, ma maman ne voulait plus vivre à cause de moi.

─ Je ne suis pas assez gentille. Je pense que je ne l’intéresse pas. Je ne suis pas assez bien pour que maman ait envie de vivre. Elle n’aime pas la vie avec moi.

Je me sentais abandonnée. Sans savoir poser des mots sur ces sentiments-là. J’ai grandi tout croche à cause de ces non-dits.
L’angoisse d’abandon ne m’a plus jamais quittée.

Ma maman souffrait d’une sévère dépression. Un sujet tabou. Alors. On n’en parlait pas. Alors, enfant, j’ai avancé avec ce vide. J’ai toujours pensé qu’elle pleurait par ma faute. J’ai longtemps eu une image de moi catastrophique.

La maladie mentale est terriblement difficile pour les proches (je sais combien mon papa s’est inquiété si souvent). Elle est dévastatrice pour les enfants.

J’ai eu longtemps très peu de compassion pour les gens qui tentaient de mettre fin à leur jour. Je les trouvais égoïstes. J’en ai longtemps voulu à ma maman.

Si quelqu’un, juste une personne, s’était assis à côté de moi et m’avait expliqué. Si on avait pris le temps de m’en parler, de parler… J’aurai eu de la peine, mais j’aurais compris. Que son mal-être était si grand et que je n’en étais aucunement responsable…

Parlez à vos enfants. Expliquez-leur. Pleurez avec eux s’il le faut. Mettez les vrais mots sur les maux. Soyez honnêtes. Ils en seront plus forts et plus sereins.

 

Eva Staire

Papa même s’il est trop tard

Je ne t’ai pas connu, pas comme j’aurais dû. Pourtant, tu as contribué à me fabriquer, à faire que j’existe. J’ai quelques souvenirs éparpillés, mais le lien d’attachement ne s’est jamais formé. Plus de seize années ont passé depuis que je t’ai dit adieu sur ton lit d’hôpital. Affaibli par la maladie, tu m’avais demandée à ton chevet. J’ai hésité. Le ciel m’est témoin que j’ai longtemps réfléchi au pourquoi j’irais te voir avant ton départ. J’avais à ce moment beaucoup plus de raisons de ne pas m’y présenter que d’y être. Mais ton ainée, ma sœur, qui te pleurait déjà tellement, espérait que j’y sois. Elle, elle t’a aimé, elle t’aime toujours. J’en étais jalouse à en crever! J’avais dans le cœur ce manque de paternité.

Bien entendu, un autre homme a pris ce rôle que tu aurais dû avoir. Il a bien fait les choses, ne t’inquiète pas. Aujourd’hui encore, il est présent dans ma vie et je l’aime. Il a tenu ce rôle qui t’était destiné. Je t’en ai voulu dans le passé. Je ne comprenais pas pourquoi on ne se voyait pas. Pourquoi ne m’aimais-tu pas suffisamment pour venir me voir? Du moins, c’est ce que je croyais. Il est arrivé que cette sœur, que j’idolâtrais en secret, parte avec toi, alors que je restais derrière. Je ne l’enviais que davantage, en silence. Je découvrais ma première souffrance.

J’ai dit haut et fort à qui voulait m’entendre que je te détestais, que je t’avais en répugnance et que je ne voulais rien avoir à faire avec toi. Si tu savais comme je mentais! À un moment, nous avons eu la chance de faire connaissance. Dans mes révoltes de jeune femme en devenir, je n’ai pas su la saisir et tu étais, toi aussi, bien démuni. Je le sais aujourd’hui.

Je suis mère à mon tour, tu n’auras jamais connu mon époux ni mes enfants. Oui, tu es grand-père trois fois maintenant. Tu serais si fier d’eux, j’en suis sûre! Depuis environ deux ans, je parle de toi. J’ai entendu ces histoires que j’ai enfin écoutées. Des histoires provenant d’une famille que je découvre petit à petit. De ma sœur avec qui la distance s’est finalement effacée. De ma mère, qui naguère préférait se taire à ton sujet.

J’aurais aimé connaître cet homme, ce frère, cet oncle, ce père. MON père. Je suis heureuse d’être allée te voir ce jour-là. Ça m’a atteinte plus que je ne l’ai jamais avoué, surtout à moi-même. Je m’accroche depuis toute petite à ces moments si limités que l’on a partagés.

J’écris ce texte aujourd’hui, les joues inondées. La gorge nouée et un tremblement au corps. Je mets le doigt, à trente-six ans, sur ce grand vide qui ne sera jamais comblé. Je réalise d’où est né ce mal de vivre que j’ai toujours porté. Malgré mon bonheur et mes joies, depuis quelque temps, mes pensées ne reviennent que vers toi. J’aurais voulu me souvenir de tes bras autour de moi, de ta voix me réconfortant. J’aurais voulu connaître tes joies, tes souvenirs d’enfance. Ta fratrie si grande.

Je me rappelle de si peu de choses. Mais lorsque je ferme les yeux, il y a un détail qui jamais ne me quitte. Ton propre regard. Celui que je te surprenais parfois à poser sur moi. Aujourd’hui, je le comprends. Tu as souffert aussi de l’absence de ton enfant. Aujourd’hui, j’en suis consciente et ma peine n’en est que plus grande.

Depuis toujours, je me suis battue pour ne jamais dire cette phrase. J’ai vécu pour ne jamais avoir ce regret. Mais force est d’admettre, ce soir, que j’ai échoué. Chaque cellule de ma personne hurle autant que cette voix dans ma tête qui fredonne ses mots assommants et qui ne changent rien à l’histoire, sauf de me faire broyer du noir : j’aurais dû.

J’aurais dû en profiter durant ces quelques mois partagés.

J’aurais dû cette porte ne pas la fermer.

J’aurais dû comprendre.

 

La mère en moi répète à cette fillette que j’étais : ce n’est pas ta faute. Il t’aimait.

Mais la fillette en pleurs et contrite ne peut que répondre : Oui je sais, mais moi je n’ai pas su l’aimer.

Papa, depuis toujours et à jamais, tu es l’être qui aura le plus manqué à ma vie.

 

Simplement, Ghislaine.