Ton gazon

Chaque printemps, c’est la même rengaine. Tu déclares la guerre. Tu pars au combat, armé d’outils, de produits (parfois toxiques!) et de semences. Tu carbures à l’huile de coude. Tu arraches, tu traques, tu plantes, tu aères et tu passes des heures à quatre pattes dans ton jardin.

Je te regarde aller chaque année et j’essaie fort de comprendre. Pourquoi le gazon doit-il être vert et parfait? C’est quoi l’idée de passer des heures à lutter contre la biodiversité que nous offre dame nature?

Quand je suis arrivée au Québec, j’ai fait deux constats : les gens sont stressés des dents (elles doivent être parfaitement blanches et alignées) et du gazon!
J’ai grandi en campagne et je n’avais jamais vu ce comportement avant. On dirait que je ne m’y habitue pas. J’aime mon gazon multiculturel! Il est touffu, varié et coloré! J’adore les pissenlits! Du jaune dans ce vert après des mois de blanc! Wow! Pourquoi les éradiquer? Ce sont les premières fleurs que les enfants offrent à leur maman! On ne peut pas ne pas les aimer!

Je me dis que si tu es heureux de passer des heures dehors avec les mains dans la terre, c’est correct aussi. C’est apaisant de jardiner. Et tu prends soin de ton petit lopin de terre, ton morceau de planète à toi.

Le plus drôle, c’est que lorsque tu coupes ton gazon, ça prend à peu près sept minutes et douze secondes et ton voisin sort aussi sa tondeuse! Parce que… t’sais. Faut que ton gazon soit le plus beau de la rue. La guerre des gazons!

Là où ça me tape le système et que le sang bouillonne dans mes veines, c’est quand je te vois… arroser ton herbe! HEY! La pluie sert à ça! Je ne peux pas croire que notre Terre se réchauffe, que la moitié de la planète crève de soif, pis toi, tu arroses! Je ne comprends pas! Je vois même des voisins arroser leur asphalte! Leur asphalte! Il va pousser plus vite, tu penses?!
En Europe, on paye l’eau que l’on utilise. Ici, on gaspille.

Quelle image donnons-nous à nos enfants en leur montrant que le gazon autour de la maison est épuré et fragile, car il est si souvent attaqué par les vers? Alors, on le traite et on le nourrit de plein de produits chimiques. Une banlieue aseptisée si agréable à regarder, mais si loin des vraies choses, des valeurs de mon enfance, de la protection de notre environnement…

Je m’excuse si le vent t’apporte quelques grains de pollen rebelles des fleurs qui poussent librement dans mon jardin. Je veux que mes enfants puissent souffler sur la fleur de pissenlit, fermer les yeux et faire un vœu… Je ne leur volerai pas ça pour une herbe trop… parfaite. Car nous sommes imparfaits.

 

Gwendoline Duchaine

 



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