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Les racines du mal

C’est la première fleur que j’ai offerte à une femme...

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C’est la première fleur que j’ai offerte à une femme…

À ma mère, comme beaucoup d’enfants de trois ou quatre ans. De tout mon cœur. Fasciné par ce jaune presque fluorescent. Un petit soleil sur tige. La sève blanche, collante. Surpris parfois d’une fourmi qui en surgissait. Convaincu d’un doux parfum. J’étais aussi impressionné que ma mère réussisse à en faire du « vin ».

Là, quand je ferme les yeux — le soir avant de m’endormir — je ne vois qu’eux. Comme si l’image de la plante était imprégnée dans ma rétine. Verte, en étoile, avec ses bourgeons. La conséquence d’un geste répétitif. Qu’on sait pourtant inutile.

Je le fais pour mes voisins.

Il y a de ces conventions de banlieue. Obligatoires. On ne passe pas la tondeuse sur l’heure des repas. Tout comme on fait traiter son terrain ou on enlève ses pissenlits. On tente de garder l’harmonie. Un monde idéal, qui n’existe jamais complètement. Vous savez, ce voisin qui, lui, ne fait qu’à sa tête.

Chaque année, un par un, je tente d’être un bon voisin. Malgré le manque de temps. Surtout, alors que je sais très bien que ce sera à refaire. Plusieurs fois. Trop de fois, pour un été aussi bref. Allez michel, Don Quichotte-toi de nouveau. Encore et encore. Une plante qui pousserait très bien après une explosion nucléaire. Sa résistance est, de loin, supérieure à la mienne.

Puis, je prends l’auto…

Sur ma route, quelques maisons plus loin, un terrain baigné totalement de ce jaune. Comme celui de l’école, à quelques rues. Dans le sens du vent. Je fais alors l’impossible pour me convaincre de ne pas être ce voisin. Que, sous les pieds nus, c’est beaucoup mieux sans. Bien que ni mes enfants, ni moi, nous ne marchons jamais pieds nus dans la cour. Certain que cette volonté du gazon digne d’un terrain de golf, ce n’est que du paraître. Que je devrais plutôt en faire de la salade… ou du vin. Je suis déjà si peu motivé. Chaque année, de moins en moins.

Je vous laisse, il y en a quelques-uns qui se sont manifestés depuis hier…

michel

 

Ton gazon

Chaque printemps, c’est la même rengaine. Tu déc

Chaque printemps, c’est la même rengaine. Tu déclares la guerre. Tu pars au combat, armé d’outils, de produits (parfois toxiques!) et de semences. Tu carbures à l’huile de coude. Tu arraches, tu traques, tu plantes, tu aères et tu passes des heures à quatre pattes dans ton jardin.

Je te regarde aller chaque année et j’essaie fort de comprendre. Pourquoi le gazon doit-il être vert et parfait? C’est quoi l’idée de passer des heures à lutter contre la biodiversité que nous offre dame nature?

Quand je suis arrivée au Québec, j’ai fait deux constats : les gens sont stressés des dents (elles doivent être parfaitement blanches et alignées) et du gazon!
J’ai grandi en campagne et je n’avais jamais vu ce comportement avant. On dirait que je ne m’y habitue pas. J’aime mon gazon multiculturel! Il est touffu, varié et coloré! J’adore les pissenlits! Du jaune dans ce vert après des mois de blanc! Wow! Pourquoi les éradiquer? Ce sont les premières fleurs que les enfants offrent à leur maman! On ne peut pas ne pas les aimer!

Je me dis que si tu es heureux de passer des heures dehors avec les mains dans la terre, c’est correct aussi. C’est apaisant de jardiner. Et tu prends soin de ton petit lopin de terre, ton morceau de planète à toi.

Le plus drôle, c’est que lorsque tu coupes ton gazon, ça prend à peu près sept minutes et douze secondes et ton voisin sort aussi sa tondeuse! Parce que… t’sais. Faut que ton gazon soit le plus beau de la rue. La guerre des gazons!

Là où ça me tape le système et que le sang bouillonne dans mes veines, c’est quand je te vois… arroser ton herbe! HEY! La pluie sert à ça! Je ne peux pas croire que notre Terre se réchauffe, que la moitié de la planète crève de soif, pis toi, tu arroses! Je ne comprends pas! Je vois même des voisins arroser leur asphalte! Leur asphalte! Il va pousser plus vite, tu penses?!
En Europe, on paye l’eau que l’on utilise. Ici, on gaspille.

Quelle image donnons-nous à nos enfants en leur montrant que le gazon autour de la maison est épuré et fragile, car il est si souvent attaqué par les vers? Alors, on le traite et on le nourrit de plein de produits chimiques. Une banlieue aseptisée si agréable à regarder, mais si loin des vraies choses, des valeurs de mon enfance, de la protection de notre environnement…

Je m’excuse si le vent t’apporte quelques grains de pollen rebelles des fleurs qui poussent librement dans mon jardin. Je veux que mes enfants puissent souffler sur la fleur de pissenlit, fermer les yeux et faire un vœu… Je ne leur volerai pas ça pour une herbe trop… parfaite. Car nous sommes imparfaits.

 

Gwendoline Duchaine

 

Bouquet de pissenlits

Déjà dans mon ventre, tu avais décidé que pour toi, la vie, se

Déjà dans mon ventre, tu avais décidé que pour toi, la vie, se passerait autrement. Des contractions à vingt semaines à peine, des saignements. Je ne compte même plus le nombre d’hospitalisations. À trente-quatre semaines, tu as décidé que tu ne sortirais pas naturellement. J’ai eu un tourbillon dans la bedaine. Tu t’es assise en indien sur mon col, l’air de dire « Sortez-moi donc de là pour voir ». Même le pauvre gynécologue pratiquement à genou sur ma bedaine pour tenter une version n’a réussi qu’à te faire bouger de quelques centimètres.

Je crois que c’est à ce moment que j’ai compris que tu serais une petite rebelle. Bébé, tu étais si différente de ta grande sœur. Tu nous faisais rapidement comprendre la façon dont tu voulais être bercée, la façon dont tu voulais boire, dormir, manger.

Le terrible two est arrivé. Nous nous sommes dit que tu l’avais plus fort qu’un autre enfant, que ça finirait par passer.

Tu as maintenant cinq ans… presque six. L’opposition est toujours là, je dirais même plus que jamais. Faire partie de ta vie, c’est une montagne russe d’émotions. On ne sait pas quelle couleur aura notre journée. Chaque matin, on te regarde lorsque tu viens nous rejoindre après ton lever. Dans les premières secondes, on sait.

Il y a les journées noires, où rien ne va. Tu t’opposes sur tout. Tu n’en manques pas une. Ces journées-là sont difficiles. Tu as su cerner nos failles et tu les utilises contre nous. Dans ce genre de journée, lorsqu’enfin, tu t’endors, j’éprouve du soulagement. Parfois, ce soulagement se transforme en larmes, des larmes d’épuisement, de découragement. Des larmes d’impuissance, parce que j’ai l’impression que rien ne fonctionnera avec toi.

Il y a les journées blanches, celles où tu passes la journée dans la lumière. Des journées remplies de rires, de jeux. Tu files le parfait bonheur, avec nous et avec tes sœurs. C’est dans ces journées-là que, parfois, on se met à douter. Tout va tellement bien, ce n’était peut-être qu’une mauvaise passe. On s’accroche à ce petit fil si fragile. C’est une période de lune de miel.

Et c’est le retour des journées grises. Celles où tu passes d’un extrême à l’autre. Celles où notre matin sera coloré de noir, mais s’éclaircira au cours de la journée. Celles qui se terminent avec toi qui entres dans la maison, le visage illuminé de bonheur et la main dans le dos. Celle où tu me tends un bouquet de pissenlits en me disant :

« Je t’aime maman! Tu es la plus merveilleuse maman du monde, même de tous les mondes réunis ».

Et où je te réponds : « Et moi, je t’aime plus que tous les univers réunis. »

Mélanie Paradis