Toucher droit au cœur

Dans mon temps (comme mes enfants l’appellent pour me rappeler mes cheveux blancs), on ne se touchait pas. Je ne parle pas de l’autotoucher condamné à coups de fouets par l’Église catholique… je parle du toucher affectueux et rassurant entre personnes qui s’aiment sans être amoureuses. Les câlins, la main dans les cheveux, les « je t’aime » sans raison, c’était plutôt rare. Ça n’empêchait pas l’amour d’exister, mais il passait par d’autres chemins.

Quand ma fille aînée est née, j’ai instauré une routine de massage. Avant le bain, je la déshabillais (même pas de couche! Au yâble, les risques de fontaine d’urée!), je la couchais sur une serviette dans mon lit. Je mettais de la musique douce et je la massais. Pas toujours longtemps : un nouveau-né peut avoir une patience assez limitée à la fin de sa journée bien occupée à ronfler! Et que dire d’un bébé qui a compris comment ramper… première chose qu’on sait, c’est qu’il essaie de se frayer un chemin jusqu’au plancher. Mais on répétait ce moment privilégié chaque soir.

Les crèmes naturelles, les huiles de massage, la lueur d’une chandelle… des guili-guili, les doigts qui se transforment en pluie, ma paume chaude qui masse les organes les soirs de coliques ou qui caresse simplement le bedon et les jambes. Je m’amusais aussi à lui faire des coiffures punk avec l’huile d’amande douce.

Éventuellement, elle m’a fait comprendre qu’elle avait autre chose à faire de ses soirées (comme crier, regarder des livres, aller se promener en poussette, mordre mes seins…) Les massages se sont espacés. Mais encore aujourd’hui, mon bébé devenu ado me demande à l’occasion un massage-qui-relaxe ou un massage-qui-guérit-son-corps-endolori. Je lui paie même un « vrai » massage à l’occasion. Elle en profite, elle sait le bien que le toucher et la chaleur humaine apportent au corps et à l’âme.

Pour mon autre fille, c’est différent. Hypersensible et avec une bulle personnelle gigantesque, elle ne tolérait aucun toucher. Les massages sont arrivés plus tard sur le menu. Quand elle m’en demande un, je me sens privilégiée d’avoir la permission d’entrer dans sa bulle. J’y mets encore plus de douceur, pour ne pas risquer d’affoler la bête.

Mes garçons aussi aiment se faire masser et le demandent parfois en remplacement de l’histoire du dodo. Ils apprécient particulièrement la séance de chatouilles qui suit et le matelas chauffant dans le lit de maman (communément appelé le « chauffe-fesses »). Ils ont leurs huiles essentielles préférées, leur musique préférée. Et souvent, ces moments créent un espace pour les confidences « sur l’oreiller ». Les stress de la journée ressortent et s’évaporent, la dernière chicane entre amis s’allège au fil des mouvements de mains. On a parfois même droit à des discussions philosophiques sorties tout droit de la Grèce antique.

Les câlins prédodo sont toujours une coche plus doux après les massages qu’en temps normal. Ils savent qu’ils sont gâtés de recevoir des massages, d’être touchés ainsi par leur maman, de recevoir autant de douceur en format condensé.

Une fois ce toucher rituel établi, je peux le reproduire dans des moments hors massage. Pour les calmer subtilement quand je vois la fumée leur sortir par les oreilles, pour leur changer les idées quand l’attente est longue et le stress élevé avant de voir le médecin. Une main sur l’épaule, une séance de respiration koala, un « est-ce que tu veux un câlin? » qui désamorce une colère qui aurait pu être destructrice.

Et parfois, j’entends leur petite voix me dire : « Maman, est-ce que tu aimerais que je te fasse un massage? Quelle huile choisis-tu? Tu veux de la musique douce ou le silence? »

Je me dis alors que depuis les temps lointains où j’étais moi-même enfant, les choses ont bien changé, mais que l’amour mère-enfant, lui, reste le même.

Nathalie Courcy



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