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L’Histoire dira si on s’est trompés – Texte : Nathalie Courcy

Treize années de guerre. 40 000 militaires canadiens sur le terrain. 165 Canadiens décédÃ

Treize années de guerre.

40 000 militaires canadiens sur le terrain.

165 Canadiens décédés.

Sans compter les traumatisés, les suicidés, les poqués.

Sans compter les familles à qui ils ont manqué, les enfants qui ont fêté leur anniversaire sans leur papa, sans leur maman pendant des années. Ou qui grandiront sans lui, sans elle.

Et maintenant ?

Maintenant, tout est à recommencer. Le bouton reset n’a pas été enfoncé dans le bon sens. L’Afghanistan est en train de retourner aux mains des talibans. La démocratie perd du terrain, mais elle ne perd pas son sens.

Le papa de mes enfants y est allé. Il en est revenu. Fiou. Je me souviens, dans le temps (pourtant, 2001-2014, ce n’est pas si loin), on formait une communauté serrée. Les conjointes de militaires. On se parlait chaque jour, parfois chaque heure, sur les forums de discussions. Même pendant la nuit. On s’encourageait, on s’informait, on s’épaulait. On avait peur ensemble quand ils partaient vers les terrains minés ; on était soulagées ensemble quand ils en revenaient sur leurs deux pieds. On pleurait ensemble quand leurs pieds sortaient de l’avion en premier, accueillis par une haie d’honneur éplorée. Les bérets inclinés, les visages livides. Un frère d’armes était mort. Une sœur d’armes était morte. Un de leurs frères, une de leurs sœurs. Tout court.

Ceux qui sont revenus en vie et qui le sont restés voient maintenant leur travail défait. Les lieux qui avaient été sécurisés sont tombés. La démocratie timide a dû fuir l’Afghanistan. Des milliers de réfugiés seront cachés ici, ailleurs. Mais combien d’enfants, de femmes, d’hommes, de personnes âgées, ne pourront pas être sauvés ? Quelles horreurs recommenceront ? Quelles violences règneront ?

La covid prend beaucoup de place dans les médias. Les élections fédérales. Les olympiques. La canicule. La face de Trump. Je ne veux pas que les médias redeviennent obsédés par la situation en Afghanistan. C’était pénible, je vous jure. On est plusieurs à avoir éteint notre télé pendant de longs mois pour éviter d’en faire des cauchemars ou d’angoisser nos enfants. Mais quand même, la réalité est là. L’Afghanistan libéré à grands coups d’aide humanitaire et de sang international est en chute libre et j’ai peur. Je suis triste, aussi.

À toutes les conjointes de militaires, à tous les conjoints de militaires, à tous les enfants et à tous les parents de militaires : je pense à vous. Je pense à vous qui vous dites peut-être, comme moi : « Mais pourquoi ?! Est-ce que tous ces morts ont été inutiles ? Est-ce que ça va recommencer ? »

Je pense à ceux qui ont enterré un ami, une sœur, un fils, un parent, descendu sous terre dans un cercueil recouvert de l’unifolié. Vous ne pouvez pas en vouloir à l’uniforme qu’ils avaient choisi. Mais je comprendrais que vous en vouliez à la réalité.

L’Histoire dira si on s’est trompés. Et peut-être aussi qu’on ne saura jamais ce qui serait arrivé si on était restés là-bas plus longtemps. Le Canada est fort, mais il ne peut pas sauver la terre entière. Nous, comme familles, nous sommes forts, mais nous ne pouvons pas nous sacrifier éternellement.

Nathalie Courcy

L’arme à la main

Kabul, Afghanistan, 2004. C’était une journée très chaude ce ma

Kabul, Afghanistan, 2004. C’était une journée très chaude ce matin-là. Je devais partir pour effectuer une patrouille à pied avec tout mon équipement sur mon corps comme d’habitude.

Mais cette fois‑ci, c’était différent, car j’étais avec une nouvelle section d’infanterie pour la première fois. J’étais très content, car je pouvais partir à l’aventure et développer des liens avec de nouveaux frères d’armes.

Ces frères d’armes représentaient tout pour moi. Ils étaient comme ma famille. J’étais à l’autre bout du monde et ce qui était le plus important pour moi, c’était eux.

J’étais fier de faire partie de leur équipe et de patrouiller à leur côté pour la toute première fois.

Après plusieurs kilomètres de marche, nous étions de plus en plus dans la profondeur de la ville de Kabul. On marchait en double rang et chacun surveillait son arc de tir. J’étais le premier en avant du rang gauche.

Soudainement, j’ai aperçu au loin un enfant qui courait à travers la foule avec une arme dans les mains en avant de moi.

La panique m’a envahi.

Je me suis dit : « Est-ce que j’en parle aux autres? Pourquoi il faut que cela arrive à moi? Si je ne fais rien, mes frères d’armes vont peut-être mourir… »

En quelques secondes, beaucoup de questions me sont venues en tête.

Ces secondes ont semblé être des minutes très longues.

Après quelques secondes, j’ai averti mes frères d’armes à travers mon casque d’écoute. J’observais l’enfant courir à travers la foule avec son arme. Je me disais que s’il venait vers nous avec son arme, je n’aurais pas le choix de tirer. J’avais plein de pensées qui me traversaient l’esprit et j’étais perturbé.

Dois‑je mettre en jeu la vie de mes frères d’armes ou celle de l’enfant? Je ne savais plus quoi faire. Non, la vie des frères d’armes est primordiale. J’observais et j’essayais de distinguer si c’était un jouet ou une arme, sachant fort bien que les enfants n’ont pas de jouets, car ils ont de la misère à avoir des souliers.

Ouf! Finalement, j’ai réussi à découvrir que c’était un jouet.

Que serait-il arrivé si j’avais mentionné à un de mes collègues d’ouvrir le feu parce que l’enfant était armé?

J’aurais ordonné de tuer un enfant qui n’était même pas armé?

Que serait-il arrivé si un de mes collègues avait perdu la vie par ma négligence? Dans ce contexte, tout aurait pu se produire. Cet enfant aurait pu être la distraction idéale pour nous tous.

Cette vision, je la vois tous les jours. Tous les jours, elle m’envahit. Même qu’il n’y a pas très longtemps, j’entrais dans une épicerie et une fois arrivé dans le rayon des fruits et légumes, une image de ce vécu s’est superposée à l’image réelle. J’avais un flashback solide et réel de ce que j’avais vécu.

Normalement, mes flashbacks passent tellement vite que je ne peux pas les voir. C’est la supposition de ma psychologue. Et pour moi, cela est logique, car mon TSPT est sévère et mon stress est très intense. Je suis tellement stressé que j’ai de la misère à voir ce qui se passe. Par contre des fois, des images peuvent se superposer une par-dessus l’autre très clairement. C’est comme si je suis à Saint-Jean-sur-Richelieu et que soudainement, je me retrouve à Kabul en Afghanistan.

Pas évident je vous le dis, mais je dois vivre avec cela tous les jours.

Ces transpositions d’images, j’essaie de les éviter du mieux que je peux. Par exemple, quand je conduis, je vais emprunter des chemins moins achalandés. J’essaie toujours de trouver une solution pour diminuer mon stress.

Chaque jour est un combat.

Chaque instant est une victoire pour moi!

Et vous, qu’auriez-vous fait devant un enfant armé?

Carl Audet

Les démons de la nuit

On est en 2004, je suis à Kaboul en Afghanistan. À un certain mome

On est en 2004, je suis à Kaboul en Afghanistan. À un certain moment donné pendant la mission, nous devions commencer à prendre de la Méfloquine, un médicament utilisé pour combattre la malaria. On nous avait avisés des effets secondaires, dont un était des rêves intenses.

À partir du moment où j’ai commencé à utiliser ce médicament, les rêves intenses sont arrivés, je dirais même plutôt des cauchemars. Tellement qu’un beau matin, j’avais des égratignures dans le visage et sur une main. Vraiment, c’était horrible !

Comme tout bon soldat, on apprend à vivre avec ce qui nous est donné à l’étranger, on ne pose pas de questions et on se concentre sur la mission. Une fois de retour au pays, ça fait partie de notre mode de vie. Mes cauchemars ont continué, mais j’étais habitué à ce mode de vie.

Trois ans plus tard, j’ai connu ma femme. Et il n’a pas fallu longtemps avant qu’elle s’aperçoive que quelque chose n’allait pas avec moi la nuit. Souvent, elle se réveillait parce que j’étais debout dans le lit et j’hallucinais. Une fois entre autres, j’étais debout en équilibre sur la petite planche du pied du lit, et elle avait peur que je tombe et que je me fasse mal.

Je me rappelle qu’un moment donné, je me suis carrément levé à côté du lit et j’essayais de me sauver parce que ses bras étaient faits comme des fils métalliques qui essayaient de m’attraper. Je me suis déjà vu exploser en Afghanistan en courant avec mon fils dans les bras. J’ai fait plein de cauchemars bizarres comme cela, mais aussi d’autres, directement reliés à l’armée.

Je me rappelle qu’à mon retour de mission, j’ai rêvé que je rentrais au bataillon un matin et que je tirais sur tout le monde. C’est par la suite que j’ai demandé un transfert d’unité pour avoir une pause, car j’en avais assez.

Peut-être que c’est difficile pour vous de me lire, mais c’est ce que j’ai vécu pendant quatorze ans. Encore étonnant que je sois sain d’esprit !

Donc est‑ce à cause de la Méfloquine ou de mon TSPT, je ne sais pas. C’est un gros débat présentement avec le gouvernement, car beaucoup d’autres pays ont arrêté de donner ce médicament à leurs soldats depuis plusieurs années.

Ce qui est important pour moi, c’est que maintenant, j’ai du support d’Anciens Combattants et enfin, je dors depuis l’été dernier. Quand j’ai commencé à prendre ma médication l’été passé, je dormais quatorze heures par jour. Puis à l’automne, je n’en pouvais plus. Je me sentais paresseux, donc j’ai arrêté seulement la pilule pour dormir pendant cinq jours, car j’ai une tonne de médicaments à prendre quotidiennement. Dès le premier soir, je regardais la télévision et c’est comme si en même temps, j’avais une deuxième télévision dans la tête sur laquelle défilaient des images de l’Afghanistan rapidement en même temps, et ce, jusqu’à trois heures du matin. Je ne pouvais plus dormir. Puis j’ai commencé à reprendre cette pilule, car je n’avais pas le choix si je voulais dormir. Maintenant, j’en suis à onze heures de sommeil et c’est long. J’ai tellement hâte de moins dormir, mais j’ai été tellement longtemps sans dormir ! Ma psychologue me dit que c’est normal.

Le matin, quand les enfants sont partis pour l’école, je vais toujours me recoucher un peu, mais pas n’importe où : dans le sous-sol ! Comme il fait noir, c’est comme un bunker et je me sens en sécurité. Puis avant de m’endormir ce matin, je me demandais de quel sujet j’allais bien vous parler. Puis là, mon rythme cardiaque a augmenté, ma respiration était plus courte, etc. Donc je me suis dit ce matin, OK, arrête de penser et dors ! Il y a plein de sujets dont je vais vous parler, mais un jour à la fois. Pour m’aider avec ma blessure, j’ai appris à reconnaître mes signes physiques et cela m’aide à faire des choix pour améliorer ma situation.

Maintenant, comment conjuguer vie familiale avec tout cela ? Pas toujours évident, mais une chance que je ne travaille plus, car je ne pourrais pas m’en sortir, c’est certain.

Quand mon ti-loup d’amour de cinq ans me dit parfois avant de dormir qu’il a peur, devrais-je lui dire que moi aussi, j’ai des démons qui me hantent la nuit et tout lui raconter ? C’est sûr que non. J’essaie de le rassurer. Mais savez-vous quoi ? Je le comprends même si je suis un adulte. Car je sais ce que sont les démons de la nuit. Bonne nuit ! Je vous aime !

Carl Audet