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Quand les enfants ne veulent plus répondre au téléphone

Driiiiiing. Je me lance vers le combiné s

Driiiiiing. Je me lance vers le combiné sans fil qui se trouve sur le comptoir de la cuisine.

Évidemment, il n’est pas sur le chargeur… (Ah! Cette maudite loi de Murphy.) L’une de mes deux filles l’a sûrement pris sans le remettre à sa place. Étant un père aguerri, j’écoute les sonneries suivantes pour localiser un autre combiné (je sais qu’il y en a deux autres quelque part dans la maisonnée).

Driiiiiing. Ah, il semble y en avoir un dans la salle de séjour ; je m’y rends aussitôt. Driiiiiing. Non, finalement, ça semble venir de la salle à manger. Driiiiiing. Merde, pas là non plus. Driiiiiing. J’arrête de courir partout et lâche un cri :

— Les filles! Répondez, bon sang!

J’entends la réponse nonchalante de l’aînée (onze ans) provenir du fin fond de la grotte dans laquelle elle se terre à l’étage avec sa sœur cadette (huit ans).

— On ne peut pas répondre, papa… on n’a pas de téléphone près de nous.

Hein? « On n’a pas de téléphone près de nous. » Mais ça veut dire quoi, ça? Que mes filles ne se lèvent plus pour répondre au téléphone? Ben voyons donc.

L’heure est grave.

Dans mon jeune temps, quand j’avais à peu près le même âge que mes filles, chaque fois que le téléphone sonnait chez nous, et je dis bien CHAQUE FOIS, c’était la course folle entre ma sœur et moi, à savoir lequel de nous deux réussirait à se rendre le plus rapidement à l’un des deux téléphones fixes pour répondre à l’appel. Et les téléphones étaient situés aux extrémités de notre grand logement familial : un sur une petite table décorative dans la salle à manger près de la fenêtre et l’autre sur une table en coin dans le salon.

Il faut préciser que nos parents ne nous demandaient jamais de répondre au téléphone. Mais on voulait chacun la même chose : être plus rapide que l’autre et répondre en premier. Ça prenait juste un Driiiiiing. Juste un. Et l’adrénaline coulait à flots dans nos veines, nos sens s’enflammaient et on se garrochait comme des malades!

C’est à cette époque qu’on pouvait voir, en direct, les meilleurs sprints sur courte distance dans le corridor de la maisonnée, les multiples techniques d’attrapage du chandail par-derrière pour ralentir l’autre, les jambettes disgracieuses, les placages vicieux sur les murs ou sur les cadres de portes… Tous les coups étaient permis!

Et je me souviendrai toujours de l’inoubliable plongeon par-dessus le divan que ma sœur a fait un bon matin pour décrocher le combiné en premier. Du jamais vu. Je revois la scène au ralenti… Je suis assis par terre dans le salon et je regarde tranquillement un dessin animé à la télé. Driiiiiing. Mes réflexes s’activent aussitôt. La chance me sourit. Je tourne la tête vers le téléphone qui se trouve derrière moi, à quelques pieds seulement, sur le dessus de la table en coin entre le divan à deux places et celui à trois places. Je décroise mes jambes ; mes mains s’appuient sur le plancher pour me propulser. Au même moment, je l’entends : elle galope dans le corridor. Driiiiiing.

Je suis presque levé. Horreur : ma sœur apparaît dans le cadre de la porte du salon. Elle bondit dans les airs. Je suis maintenant levé et j’étire la main vers la table en coin en criant « Nooooooooon! ». Je la vois passer devant moi, survolant le divan à deux places, les bras étirés vers l’avant. J’ai même le temps de voir l’expression sarcastique sur son visage qui semble me dire « Kin toé, t’es pas assez vite. »

Elle atterrit brusquement sur l’accoudoir du divan, étire le bras et décroche le combiné en soufflant un « Allo? » victorieux. Ah! Ces courses folles auraient pu facilement devenir une nouvelle discipline olympique, et ma sœur et moi en serions devenus les pionniers.

Ah… je vous le dis, c’était le bon vieux temps.

Mais aujourd’hui, ce n’est plus pareil.

Chez nous, quand le téléphone sonne, ben il sonne.

Pis sonne.

Pis sonne encore.

Mes filles ne courent pas dans la maison pour aller répondre.

Elles ne se bousculent pas non plus pour répondre en premier.

Ce qui aurait pu devenir une discipline olympique n’est plus.

Hélas, la plupart du temps, les appels tombent dans la boîte vocale.

Martin Dugas

On arrête tout !

La vie de parents d’un enfant anxieux est faite de beaucoup de pau

La vie de parents d’un enfant anxieux est faite de beaucoup de pauses. Oui, oui : des millions de pauses ! Pas qu’on a plus de temps pour relaxer que les autres parents. Mais chaque fois que le service de garde, l’école, le camp de jour, la petite gardienne appellent, on entend : « PAUSE ! On arrête tout ! Vous devez venir chercher votre fille, elle est verte, a la nausée, mal au ventre, est étourdie, ne sent plus ses pieds. »

Bien sûr, devant la menace du vomissement tant redouté ou de l’évanouissement, j’accours ! C’est mon rôle de parent, n’est‑ce pas, de protéger mon enfant (et les autres de l’école en cas de gastro en devenir) ? C’est normal, hein, de quitter mon travail en trombe pour aller chercher mon enfant malade ? Ça fait partie de la définition de tâches de tout parent qui se respecte. Ma mère l’a fait pour moi (bon, j’avais la moitié du visage en sang et je vomissais partout…), je le fais pour mes enfants, ils le feront pour les leurs s’ils en ont. On s’entend, c’est juste normal.

Mais le bogue de l’histoire apparaît quand les maux de ventre, de cœur, etc. reviennent chaque semaine, parfois plusieurs fois par semaine. Quand ils se pointent le nez après ou avant une situation stressante (qui peut varier d’un exposé oral à un examen mal étudié jusqu’à l’idée de voir des gens ou de devoir prendre l’autobus), un petit drapeau rouge se profile à l’horizon.

Rapidement, l’équation s’est faite dans mon esprit. Une fois que la santé physique de mon enfant eut été vérifiée (bedon souple, bonne alimentation, aucun manque de nutriment), j’ai su que c’était le côté émotif qui était touché. Sans pointer du doigt une anxiété généralisée dès ce moment, je savais quand même que la gestion du stress était déficiente. Mais comment sécuriser mon enfant (alors que je pensais déjà le faire) et détecter les « vrais » et les « faux » maux de ventre ? Évidemment, les « faux » sont tout aussi vrais que les vrais, mais leur cause ne met pas en danger ma fille ni la santé communautaire. Ils sont un signe qu’on doit gérer une cause plus subtile qu’un morceau de kiwi mal digéré ou qu’un virus.

Une travailleuse sociale avait établi un plan d’action avec l’école. Quand ma fille demandait à partir à cause des mêmes symptômes typiques, la secrétaire devait la garder pendant vingt minutes dans un endroit tranquille, lui proposer de boire de l’eau, de parler avec un intervenant, de se reposer, de faire ses exercices de respiration. La secrétaire pouvait m’appeler pour m’avertir, mais on devait tous donner du temps à ma fille. Il fallait casser le pattern :

L’apprentissage a été souffrant autant pour ma fille qui se sentait délaissée que pour moi qui m’inquiétais (et si cette fois‑ci, c’était un vrai bobo ?), qui me sentais mauvaise mère (qu’est-ce que le personnel de l’école va dire ?), qui avais l’impression que ses agissements étaient ma faute (j’aurais dû dire non bien avant !)

Toutefois, le plan d’action a donné des résultats positifs. Les appels sont passés d’un par semaine à un par mois. Ils ont continué à se faire de plus en plus rares, permettant à ma fille de reprendre confiance en sa propre capacité de gérer son stress, à l’école d’élaborer des stratégies aidantes et à moi de passer un temps plus normal au travail (physiquement et mentalement).

Par bout, ça revient, ça repart. Tout changement apporte son lot de stress. Chaque minute de la vie de ma fille est une source potentielle d’anxiété multipliée par mille. Chaque stress est aussi une occasion d’apprentissage (ça, c’est l’optimiste en moi qui le dit).

Mais quand je dois tout mettre sur pause, tout arrêter, quitter ce que je faisais et les personnes avec qui j’étais pour voler au secours de mon adolescente de presque quinze ans alors que je sais très, très bien que c’est son stress qui s’exprime, une petite partie de moi est fâchée et inquiète. Je voudrais qu’elle apprenne plus vite à naviguer à travers ses émotions, surtout que les mêmes reviennent souvent ! Je me demande si un jour (mettons, avant ses cinquante ans), elle y arrivera. Je me demande ce qu’elle fera quand elle n’habitera plus chez moi. Je me demande si je fais le mauvais choix en allant la chercher, et si je ferais le mauvais choix si je n’y allais pas. Il n’y a pas de bonne réponse, apparemment.

Dans ce temps‑là, j’applique la stratégie de la travailleuse sociale : je me mets en time‑out pendant vingt minutes, je respire, je bois de l’eau, j’essaie de voir quelles sont mes sources de stress dans cette situation, et je dédramatise. Ben oui, elle apprend de tout ça, et moi aussi. Ben oui, elle pourra gérer son stress quand elle partira de la maison, sinon, elle partira un peu plus tard. Et ben oui, je fais les meilleurs choix parentaux que je peux faire, avec ce que je suis, avec ce qu’elle est.

Nathalie Courcy