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Frapper le mur — Texte : Gwendoline Duchaine

Je me souviens précisément de cet instant. Seule dans une petite chambre du sud de la France, m

Je me souviens précisément de cet instant.

Seule dans une petite chambre du sud de la France, mon esprit a bloqué là. J’ai frappé le mur. J’ai crié en silence « PLUS CAPABLE ». « Je ne suis plus capable, je n’en peux plus ».

Le virus de la Covid-19 avait déjà commencé à m’épuiser mentalement depuis plusieurs mois, et j’avais vraiment besoin d’un break pandémique pendant mes vacances. Sauf qu’arrivée dans mon pays natal, tous mes proches ont testé positif au variant Delta. Le virus a volé les retrouvailles que l’on attendait depuis deux ans.

Alors que j’étais si seule dans cette petite chambre, j’ai reçu un courriel du travail. La goutte d’eau qui a fait déborder mon âme…

C’est à cet instant que j’ai frappé le mur. Je l’ai frappé tellement violemment qu’il m’a garrochée à terre.

À cet instant précis, l’espoir s’est éteint dans mon ciel : « Tout ne fait qu’empirer, je n’en peux plus, je n’ai plus envie »… Je ne verse aucune larme. Je suis juste en état de choc, je me sens prise au piège par cette pandémie. Je n’y arrive plus.

Par miracle, je n’ai pas contracté la Covid-19. Mais elle m’a frappée d’une manière…

De retour chez moi, chaque jour je pleure, mais je pense que c’est normal et que ça va passer.

Mais ça ne passe pas. Et mon ciel s’assombrit un peu plus chaque journée qui me rapproche de mon retour au travail.

Je suis infirmière. Ma job, c’est de composer chaque seconde avec la pandémie. Mais je n’ai plus cette force. Je pleure presque tout le temps.

Poussée par deux humains qui me connaissent bien, je contacte mon médecin. « Aide-moi, je ne suis plus capable, je n’en peux plus ». Au pied du mur, j’ai appelé au secours. Incapable de continuer à avancer. Clouée au sol.

J’ai eu l’immense chance d’être prise en charge très rapidement. Et d’être très entourée.

Depuis, j’essaie chaque jour de remettre du bleu dans mon ciel. Il y a des hauts et des bas. Il y a beaucoup de moments sombres. Il y a aussi des rires et du bonheur. Je me sens comme dans un océan en pleine tempête. Mon humeur ressemble aux vagues. Des fois, ça va pis, des fois ça va pas. Je suis ballotée dans cette eau tumultueuse. Je ne sais pas où je vais. Je ne sais pas comment je vais.

Je crois que j’ai retrouvé un peu d’espoir parce que, poussée par mes proches, j’ai recommencé à vivre, à sortir. Je ne veux plus jamais perdre cette liberté. Je ne veux plus jamais qu’on m’interdise de prendre des humains dans mes bras… L’être si social que je suis reprend vie doucement. Je marche dans la nature, je cours, j’essaie fort…

Pourtant l’étincelle en moi est fragile. Pourtant l’envie, « la drive » que j’ai toujours eue, n’est pas revenue.

Je me sens perdue dans l’océan.

Je me sens éteinte.

Et je ne sais pas comment rallumer la lumière.

 

Gwendoline Duchaine

 

Je suis tannée d’être forte

Je n’y arrive tout simplement plus. Ça fait dix ans que je tire l

Je n’y arrive tout simplement plus. Ça fait dix ans que je tire le navire à bout de bras. On me trouvait donc bonne, on me trouvait donc forte. J’ai élevé trois enfants pratiquement seule. Parfois couchée en petite boule à pleurer toutes les larmes de mon corps parce que j’ai trouvé ça dur.

La vie m’a envoyé des messages clairs en me disant que je devais me choisir. D’arrêter de pagayer seule et de demander de l’aide. Puis un jour, quelqu’un l’a fait pour moi. J’avais un rendez-vous avec mon médecin. Je n’ai pas eu besoin de parler et j’ai craqué.

Prescription en main, je suis ressortie. J’ai arrêté de travailler deux ans. Deux ans à tenter de remonter une pente déjà trop abrupte. Jamais je n’aurais cru un jour ne plus être capable de me lever le matin pour mes propres enfants. Je ne pouvais plus subvenir à leurs besoins. La réalité me rattrapait avec la pire des gifles que j’aurais pu recevoir. Je me suis promis, plus jamais. Plus jamais je ne voulais retomber aussi bas. Pour moi avant tout et pour mes enfants.

Je sais exactement ce que je ne veux plus dans ma vie. Je sais ce qui gruge mon énergie et ce qui pourrait me ramener à ma période sombre. Je le sais que je suis toujours tout près. Malheureusement. Mais on me dit de continuer, que ça va passer. On juge mes décisions, on me remet toujours en doute. Pourtant, je le sais ce que je vaux. Autant que je le sais, autant que je n’arrive pas à faire le saut. Ma relation m’empoisonne. Je suis devenue agressive envers lui. De la patience, je n’en ai plus. J’en ai eu pendant ses dix ans d’alcoolémie. Maintenant qu’il est sobre, qu’il est devenu celui que j’ai toujours rêvé qu’il soit, je n’en veux plus. Je lui en veux. Il n’a pas été là, jamais.

Il faudrait que je sois compréhensive et que je laisse le passé derrière. Parce que toutes les blessures que j’ai eues ne devraient plus me hanter. Parce qu’une relation, c’est au présent. On s’imagine un futur. Parce qu’aujourd’hui, on jette la serviette rapidement. On dirait que je n’ai pas envie de faire partie de ces statistiques-là. Parce que oui, j’y ai cru. Mais plus maintenant. Je suis brisée. Je ne me reconnais plus. J’ai l’impression que j’ai tout donné à mes enfants pendant dix ans et que maintenant, ils côtoient la pire partie que leur mère peut leur donner. De l’impatience et de la colère refoulée. À la limite, de la vengeance. Parce que oui, ça me fait chier de voir leur père revenir dans leur vie comme si de rien n’était. Parce que lui, même s’il n’est pas là souvent, il a le beau rôle.

Une maman fatiguée qui s’occupe de la maison, des lunchs, des activités, des anniversaires, des courses, etc., seule, c’est plate pour des enfants. Parce qu’avec papa, on ne va pas à l’épicerie. Parce qu’avec papa, on peut écouter un film collés. Parce que maman préfère dormir un vendredi à vingt heures quand monsieur est enfin là. Maman est plate.

Mais maman prend soin d’elle. Maman n’est plus capable d’être la mère, la femme, l’amante et la petite fille intérieure forte. Maman n’a plus envie d’être une femme, sa femme, ni une amante. Maman a juste envie de vous aimer et de profiter du temps avec vous. Je n’ai pas envie d’avoir de la rancune. D’avoir envie de crier chaque fois que j’entends sa voix. J’ai envie de vous offrir une famille saine et équilibrée, quitte à ce qu’elle soit éclatée. Éclatée mais en santé.

Eva Staire

Au bout de sa route

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C’est arrivé au fil des jours. Au début, je n’ai pas voulu voir. Je n’ai pas voulu y croire non plus. C’est cliché, mais c’était quand même comme ça : ça arrivait aux autres, mais pas à moi.

 

Je perdais mes couleurs. Je devenais gris terne. Même pas un beau gris. La vie, ma vie, perdait aussi un peu de ses couleurs. Mon travail m’épuisait. Je n’y arrivais plus. Ça m’a pris beaucoup de temps avant de le reconnaître. Probablement trop. Je me suis perdue solide.

 

J’ai commencé à oublier des choses. Futiles, puis importantes. La concentration avait oublié de se concentrer sur moi. Les hamsters qui couraient dans ma tête se sont mis à faire des bébés et dieu sait que ça se reproduit vite ces bibittes‑là. L’anxiété prenait sa place tranquillement mais sûrement. Je perdais le contrôle. Et ça m’effrayait. Et quand on a peur, eh bien, on fait deux choses : on affronte le monstre avec sa lampe de poche ou on se cache en dessous des couvertures. J’ai choisi les couvertures.

 

Je ne me suis pas bien cachée. Je devenais de plus en plus fatiguée, de plus en plus fragile. J’arrivais toujours à maintenir la façade pour moi, pour ma famille, pour mes collègues, mais je sentais bien que quelque chose en moi s’effritait. Je ne voulais pas. Je voulais être un beau paysage de Monet. Un beau lac bleu pastel avec de petits nénuphars dessus. Je me sentais plutôt comme une toile de Picasso. Tout abstraite. Toute défaite. Une belle toile, mais chaotique.

 

J’ai rapporté du travail à la maison. Des fois pour vrai, des fois dans ma tête. J’enchaînais les heures supplémentaires parce que tout était plus long, plus difficile à faire, me demandait plus d’énergie. La fille était brûlée, mais travaillait plus. J’essayais de reprendre le rythme. Ça n’a pas fonctionné.

 

À la maison, rien n’allait plus. Les demandes de mes enfants m’irritaient, tout comme leur insouciance. Ça courait partout, ça riait fort, ça criait quand on les chatouillait. Un genre d’allergie au bonheur. J’ai failli m’acheter des bouchons pour les oreilles. Je me sentais coupable. Je n’y arrivais plus au travail, je n’y arrivais plus à la maison. Mon homme voulait faire l’amour. Moi, je voulais dormir.

 

 

Et le matin est arrivé. Un évènement et je me suis effondrée. J’ai réussi de peine et de misère à sortir du bureau et je suis allée me réfugier dans ma voiture. Milieu neutre et connu. Pas bon et rassurant comme la maison mais bon, j’ai pris ce que j’avais pas loin. Sangloter à ne plus respirer. Je me suis dit que c’était fini. Je me suis dit que je l’étais aussi. Ce matin‑là, je ne suis pas retournée au bureau. Je me suis inventé une urgence avec les enfants. Mais l’urgence, pour vrai, c’était moi.

 

Ça m’aura pris des mois, si ce n’est pas un an pour m’être rendue là. Dans le fond de ma peine, dans mon sentiment d’incompétence au travail qui s’est transformé en sentiment d’incompétence de maman, puis de conjointe, puis de sœur, puis d’amie, etc. J’ai eu mal. Je somatisais de partout, mon corps réagissait au fait que je ne veuille pas arrêter. Mes émotions devenaient de plus en plus difficiles à gérer. J’avais l’impression d’avoir perdu la bataille. J’étais une perdante. Et ça, tout ça, ça m’a fait beaucoup pleurer.

 

J’ai mis mes couvertures dans la salle de lavage et j’ai allumé la lumière, même pas la lampe de poche. J’ai parlé à mon conjoint, il m’a donné sa main et j’ai respiré mieux. Je suis allée voir mon médecin, j’ai arrêté de travailler et je me suis posé un million de questions. J’ai finalement quitté le domaine d’emploi dans lequel je travaillais depuis plus de dix ans. Aujourd’hui, je suis ailleurs. Je suis à la maison. Mais je suis rose. Un beau petit cochon avec une petite patte cassée, mais ça va aller. Ça prendra le temps qu’il faudra. Là, j’ai des enfants qui veulent rire et se faire chatouiller.

 

Eva Staire

« Mais t’as pas l’air malade?! »

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Depuis treize mois, je vis mon quotidien entre les quatre murs de ma charmante maison, mais depuis trente ans, je vis mon quotidien entre les quatre murs de ma tête douloureuse…

J’ai toujours eu mal à la tête. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu cette douleur lancinante entre les tempes, tellement que j’ai longtemps cru que c’était normal. Un mal quotidien, parfois léger, mais plus souvent qu’autrement si intense que le contenu de mon estomac se retrouvait dans la cuvette des toilettes… J’ai vécu ainsi les vingt-trois premières années de ma vie et puis j’ai trouvé un remède… Être enceinte! Neuf mois sans aucun mal de tête, deux fois! Et puis les deux fois, inévitablement, j’ai accouché! Oh misère! Le mal se multipliait à mesure que la famille s’agrandissait. Après bébé numéro deux, la douleur a atteint son apogée. Mais, je gérais, je suis faite forte; pourquoi étaler cette maudite souffrance de toute façon?

Un jour, assise dans le bureau de mon médecin, elle se tenait devant moi le regard grave et un air sévère que je ne lui connaissais pas. J’ai le même médecin depuis plus de vingt ans, elle connaît mes migraines depuis que je suis toute petite. Elle connaît aussi mon caractère, ma carapace, mais surtout ma fierté. Quand elle s’est mise à parler, les larmes sur mes joues suivaient le rythme : « Tu dois t’arrêter, tu dois te reposer, tu dois t’écouter. À partir de maintenant, tu seras à la maison jusqu’à ce qu’on te soulage, même si tu ne veux pas, ce sera ça. »

C’est comme si on me disait que j’avais perdu la bataille. Les maux de tête m’avaient eue. J’ai vécu tout ça comme un immense échec. Des semaines de noirceur et d’inquiétudes, des dizaines de tests, tout autant de médecins. Personne n’arrivait à trouver. J’ai essayé tous les médicaments, toutes les façons de me les administrer et j’ai enduré leurs foutus effets secondaires. Je me suis auto-injecté des médicaments, moi qui avait une peur bleue des aiguilles. J’ai tout fait. Je souffrais de migraines chroniques, comme 1 % de la population québécoise, et personne n’arrivait à me soulager.

Jusqu’à ce qu’on parle du Botox. La solution qui serait peut-être miraculeuse. On allait m’injecter cet agent de comblement dans la tête, le visage, le cou et les épaules de façon à calmer le mal. Un long processus vraiment douloureux combiné à 850 km aller-retour toutes les douze semaines. Sans aucune garantie de succès.

J’ai reçu mon troisième traitement cette semaine, le dernier espoir, le dernier essai, celui qui me dira si enfin, je retrouverai un jour un peu de paix. Dans quelques semaines, je crierai victoire ou je pleurerai un autre échec. Si ça fonctionne, je peux espérer un soulagement d’environ 50 %, peut-être plus, peut-être moins. Mais toute ma vie, toutes les douze semaines, une petite aiguille fera une quarantaine de trous dans ma tête.

Mais pour la première fois en trente ans, je me donne le droit d’avoir mal. J’essaie chaque jour de vivre avec, mais de façon saine. Les personnes qui m’ont déjà vue en crise de migraine, je les compte sur les doigts d’une main. Je peux aussi compter sur les doigts de cette même main le nombre de fois où l’homme qui partage ma vie chaque jour depuis plus douze ans m’a vue perdre le contrôle face à la maudite douleur. JE ME CONTRÔLE, toujours. Quand je suis allongée, à moitié nue sur la céramique de la salle de bain, dans le noir complet à me vomir les tripes tellement j’ai mal, je ne veux que personne ne voie ça, personne.

Alors quand je te croise à l’épicerie et que tu me regardes l’air songeur en me disant : « Ouais, mais t’as pas l’air malade?!», tu sais quoi? Je t’emmerde. Et toi, qui me vois dans la rue ou n’importe où ailleurs et qui me juges, tu sais quoi? Je t’emmerde aussi. Non je n’ai pas l’air malade, et j’espère ne jamais, au grand jamais, avoir l’air malade. Je me suis déjà souhaité un cancer ou une jambe en moins pour qu’on arrête de porter ce regard sur moi. Mais aujourd’hui, c’est terminé! Et je sais que toutes les personnes qui, comme moi, souffrent en silence, sans marques sur leur corps, t’emmerdent aussi!

Quand on insère dans ma tête la douloureuse aiguille qui me soulagera peut-être. Quand j’avale ces foutus médicaments qui brouillent ma mémoire et mes facultés. Quand je me réveille en plein jour et que le soleil qui brille me fait mal au lieu de me faire du bien. Il n’y a que moi qui sais combien c’est difficile. Mais si un jour, un mal invisible s’attaque à toi, je sais que tu me comprendras enfin. Et tu sais quoi? La vie m’a appris que tu auras besoin de mon empathie malgré toutes les fois où, toi, tu as eu le jugement facile.

 

Karine Arseneault