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Le bruit, ce terrible ennemi

Depuis plusieurs années, le bruit m’affecte beaucoup et je n’ai

Depuis plusieurs années, le bruit m’affecte beaucoup et je n’ai jamais pu découvrir pourquoi. Il m’a fallu des années pour m’en apercevoir aussi, car je n’étais pas capable de m’observer. D’autant plus que j’étais atteint d’une blessure mentale et que je n’étais pas prêt à l’accepter…

J’ai tellement cherché et cherché que je ne pouvais avoir la réponse à ma question. Déjà depuis un an maintenant, je mets des bouchons dans mes oreilles lorsqu’il y a trop de bruit, surtout en présence de public. Je ne peux pas gérer cette douleur avec ma blessure de stress opérationnel. C’est tout simplement trop pour moi.

Des fois, je dois faire face au public. J’ai de jeunes enfants et je dois m’impliquer à l’occasion. Je vous avoue que ma femme fait beaucoup d’activité avec les enfants sans moi mais parfois, je fais des efforts pour leur donner le papa qu’ils auraient le droit d’avoir leurs côtés. Pas toujours évident!

Lorsque ma femme prend la voiture et que je la prends par la suite, devinez quoi? Elle a laissé la radio ouverte. Avant, lorsque cela m’arrivait, je devenais immédiatement en rage. Maintenant, j’arrive mieux à me contrôler. Il n’y a pas très longtemps lors d’une séance avec ma psychologue, j’ai découvert pourquoi. Je vous dis, cette psychologue est merveilleuse pour moi. Elle m’en fait découvrir des choses.

Je me rappelle mon retour de mission en Bosnie en juillet 1996. Je m’étais placé dans une situation d’isolement pendant environ cinq mois. Je vivais dans les quartiers pour célibataires à la base de Petawawa et je devais aller manger à la cuisine. Pour moi, il y avait trop de bruit à cet endroit. Après être revenu de mission après six mois de vie communautaire, je ne pouvais plus aller manger dans une cafétéria. Je préparais mes repas dans ma chambre ou j’allais chercher du restaurant. Je limitais le plus possible mes contacts avec le bruit du public.

Par contre, je devais m’endormir avec une télévision ouverte et pas trop bruyante, habitude dont je n’ai pas réussi à me défaire aujourd’hui. Pourquoi? Parce que nous étions habitués de nous endormir dans le bruit. Je l’ai découvert récemment. En 1996 en Bosnie-Herzégovine, nous avions le bruit des unités de chauffage au diésel (appelé cochon) qui réchauffait nos tentes la nuit. En 2001 en Bosnie-Herzégovine, nous avions le bruit des génératrices sur le camp nuit et jour. Même chose pour l’Afghanistan.

Le fait de vivre constamment dans le bruit le jour avec beaucoup de gens m’a beaucoup irrité. Sans oublier le bruit des véhicules ou des armes. Il ne faut pas oublier les séances de drill élémentaires où on se faisait crier par la tête. Et bien sûr mes années en Ontario où il était fréquent de se faire crier par la tête…

Je me suis finalement rendu compte que cet ennemi, le bruit, était dû à une accumulation de toute ma carrière militaire. Pourquoi j’en souffre autant aujourd’hui? Parce qu’avec ma blessure de stress opérationnel, j’ai de la misère à gérer ce surplus. Comme d’autres surplus également, comme mes douleurs physiques.

Mais aujourd’hui est une victoire pour moi. J’ai enfin pu enfin découvrir pourquoi ce bruit était si nocif pour ma vie. Lorsque je découvre la source d’un problème, cela m’aide à mieux le gérer par la suite.

Aujourd’hui est une autre grande victoire pour moi.

Demain sera un jour meilleur.

Je garde espoir qu’un jour, je vais me sortir de ce cauchemar.

Carl Audet

 

Hommage à un frère d’armes

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Au mois d’août 2001, j’apprenais que j’étais encore déployé à la dernière minute en Bosnie-Herzégovine. Mon nouveau commandant m’a appelé personnellement pour s’informer de moi et s’assurer que je pouvais prendre mon congé d’été avant de partir. Le camp était à Velika Kladuša et j’y suis arrivé le 23 septembre 2001.

J’avais déjà remarqué l’énorme changement dans le pays depuis ma dernière visite, cinq ans auparavant. La reconstruction des maisons était bien établie. Les voitures circulaient sur les routes, ce que je n’avais pas eu l’occasion de voir lors de ma première visite. Par contre, les trous de balle sur les murs étaient toujours visibles et les cimetières étaient encore plus grands. Des tours avec des haut-parleurs étaient dressées et les prières pour Allah nous réveillaient le matin.

Au lieu de vivre dans des tentes, nous vivions dans des conteneurs maritimes meublés. Wow! Quelle gâterie de voir cela! Pour moi, c’était presque comme des vacances comparativement à ma première mission (façon de parler, bien entendu).

Ce que j’ai trouvé difficile cette fois a été de passer Noël loin des miens. J’ai téléphoné à ma mère la veille de Noël. Elle était chez ma grand-mère maternelle. Pendant notre conversation, j’entendais la musique en arrière-plan et tout le monde qui avait du plaisir. Je me sentais si loin et si seul en les entendant…

Après la conversation, je me suis dirigé vers la cafétéria où nous avions notre souper de Noël. Là, je me rappelle, j’étais debout devant ma chaise et j’observais la belle table et tous les efforts mis en place pour nous faire plaisir. Je me serrais les dents pour ne pas verser une larme. J’étais triste. Triste de ne pas pouvoir passer Noël avec ma famille. Triste de me sentir seul, même si j’avais de bons frères d’armes avec moi. C’était la première fois que je vivais un Noël à l’étranger.

La veille du jour de l’An, j’étais à l’extérieur sur le camp. À minuit, les coups feu se sont mis à retentir. Je me demandais vraiment ce qui se passait. La panique a monté. Puis, un collègue m’a rassuré en me disant que c’était la coutume des gens d’ici. Même coutume que pour les mariages.

Il y a une chose, ou plutôt une personne, qui a fait toute la différence sur ce camp. Il était caporal-chef. J’ai perdu beaucoup de frères d’armes, mais lui revient souvent dans mes pensées. Pourquoi? Parce qu’il était un bon vivant. Il aimait toujours rire et faire des blagues. C’était le genre de gars qu’on écoutait parler et soudainement, tout allait mieux. C’était un frère d’armes qui pouvait remonter le moral à tout le monde. Toujours joyeux, avec un beau sourire, il savait comment s’y prendre pour nous faire rire. Je le voyais presque tous les jours quand j’allais prendre mes pauses. Et quand il n’était pas là, c’était décevant!

Lorsque j’ai appris son décès en décembre 2013, je ne voulais pas y croire. Pourquoi lui?

Cet article, je le dédie à toi, mon cher ami. Tu resteras toujours dans mes pensées en tant que bon frère d’armes et Gaspésien joyeux. Repose en paix et jamais je ne t’oublierai. Je me souviendrai.

 

Carl Audet

 

 

 

Savoir apprécier les petites choses de la vie

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C’était à la fin de l’année 1995. Les Casques bleus commençaient à se retirer de la Bosnie-Herzégovine, car les troupes de l’Organisation des Nations Unies n’étaient pas capables d’établir un maintien de la paix. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord a donc décidé d’envoyer des troupes. Les troupes de l’OTAN avaient beaucoup plus de marge de manœuvre que les troupes de l’ONU en ce qui concerne les règles d’engagement.

À ce moment, j’étais affecté avec un régiment blindé de la base de Petawawa. Nous étions à la mi-novembre et j’apprenais de mes supérieurs que je serais déployé. Quelle joie dans mon cœur! Moi qui avais 25 ans et qui rêvais de partir en mission à l’étranger pour servir mon pays. C’était un des plus beaux cadeaux qu’on pouvait me faire.

Mais c’était rapide, car nous avions seulement deux semaines d’entraînement et on devait prendre notre congé de Noël. Je ne vous l’ai pas encore mentionné, mais je ne savais pas où je m’en allais. Personne ne pouvait me donner l’information à propos de l’endroit du camp parce que celui‑ci n’avait pas encore été déterminé. On m’avait dit : « Prépare-toi à vivre dans un véhicule blindé pour quelque temps peut-être. »

Le 23 janvier 1996, j’atterrissais à Zagreb en Croatie. Par la suite, on a tous embarqué dans des autobus. Et je me rappelle quand nous sommes passés de la Croatie à la Bosnie, le paysage avait soudainement changé. Plus on avançait sur les routes et pire c’était. Il y avait des maisons entièrement détruites. La plupart avait des trous de balle dans les murs. Celles qui tenaient encore debout n’avaient aucune fenêtre et aucune porte. Les gens demeuraient quand même dans leur maison. Il y avait environ 15 cm de neige au sol. Et là, je me suis dit : Mais qu’est ce que je fais ici? C’était beaucoup plus effroyable que ce qu’on voyait à la télévision. J’étais dedans cette fois au lieu d’être dans mon salon. Mais j’étais toujours fier d’être là et de faire partie des Canadiens qui pourraient faire la différence.

Arrivés au camp à Velika Kladuša, nous avons dû rester là pendant deux semaines parce que notre camp n’était pas prêt. Ce fut la joie lorsque nous sommes arrivés au camp Maple Leaf à Zgon. On savait que ce serait notre maison pour les six prochains mois. Les journées de travail débutaient à 8 h et se terminaient souvent à 23 h ou même plus tard. Tout le monde était très occupé à finaliser le camp et à partir sur la route pour effectuer des patrouilles. Nous avions le strict minimum pour un peu plus de 400 hommes. Une seule télévision, une table de billard, quelques appareils de musculation et trois lignes téléphoniques que nous avons obtenues trois semaines après notre arrivée. À ce moment‑là, les gens n’avaient pas de cellulaire et ne pouvaient pas contacter leur famille au tout début.

L’eau était pompée de la rivière et décontaminée par la suite dans un bassin. Cette eau était utilisée pour les douches. Nous avions de l’eau chaude pendant deux heures pour laver dix hommes à la fois dans une tente. Il était quelquefois impossible de se laver, car l’eau était trop contaminée. N’oubliez pas, nous sommes dans un pays en guerre et dehors, des carcasses se trouvent sur le sol et dans les rivières.

De vraies toilettes pour six mois? Non, oubliez cela. Que des toilettes chimiques pour geler l’hiver et te faire envahir par les mouches l’été ou te faire piquer.

Mais malgré tout cela, nous étions heureux. L’esprit de camaraderie était tellement fort! Même si nous n’avions rien, ce n’était pas grave. On avait des frères d’armes sur qui on pouvait compter. Même si tous les soirs, je devais me coucher sur mon lit de camp avec mon oreiller improvisé (un t-shirt rempli de serviettes). Même si tous les matins, je devais inspecter mes bottes pour vérifier s’il y avait un petit lézard dedans. J’étais heureux de me lever le matin et d’enfiler ma chemise de combat avec le drapeau canadien.

4 juillet 1996, une semaine avant notre retour au pays, un des nôtres perdait la vie dans un accident routier. C’était la première fois que je vivais cela et c’était difficile à vivre. Lors de la cérémonie, le clairon s’est mis à jouer et je me serrais les dents pour ne pas pleurer. Bien voyons! Il n’était pas question que je verse une larme devant les autres…

De retour au pays peu de temps après… même si j’avais aimé l’expérience de ma première mission, j’étais content de rentrer chez moi.

Enfin, le premier soir dans mon lit, je retrouvais le côté douillet qui m’avait manqué les six derniers mois. Et quoi dire de mon oreiller! Jamais je n’aurais pensé qu’un oreiller pouvait être une chose que j’appréciais autant dans la vie. Souvent, on tient tout pour acquis, mais quand on vit dans la misère un peu, on devient capable d’apprécier les petites choses banales de tous les jours. Laissez-moi vous dire que nous sommes très chanceux d’avoir grandi dans notre beau pays.

Ma première mission fut la meilleure des trois missions que j’ai faites à l’étranger. Pourtant, nous n’avions rien côté logistique et la nourriture laissait parfois à désirer. C’était la première fois que des soldats canadiens étaient déployés sans aucune permission de prendre de l’alcool. L’esprit de corps était au maximum et nos supérieurs étaient fantastiques. C’est pour cela que je garde d’excellents souvenirs de cette mission même si le décor extérieur était horrible. Je garde les moments de joie passés avec mes frères d’armes. Je garde aussi une pensée pour les frères d’armes que j’ai perdus.

 

 Carl Audet