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Le cœur en courtepointe — Texte : Liza Harkiolakis

Enfant, j’adorais regarder ma grand-mère coudre. J’ai encore un souvenir très clair de ses mai

Enfant, j’adorais regarder ma grand-mère coudre. J’ai encore un souvenir très clair de ses mains vieillissantes et délicates qui passaient le fil à l’endroit puis à l’envers d’un morceau de tissu. Chaque fois qu’elle y piquait son aiguille, ses anneaux de mariage descendaient sur sa jointure, puis ils remontaient quand l’aiguille réapparaissait à la surface. Ses mouvements étaient lents, doux, précis, presque hypnotiques. Elle reprisait des bas, des linges à vaisselle, des rideaux, des couvertures, des vêtements déchirés. Elle faisait partie de ces gens qui réparent les choses au lieu de les jeter.

Quand j’avais neuf ou dix ans, elle m’a appris comment faire. On a commencé par des boutons, puis des coutures droites, des carrés de tissu pliés en deux et des bas de rideaux. Vers l’âge de vingt ans, elle m’a appris comment réparer la manche d’une chemise que j’avais brisée. Elle était un peu défraichie, un peu trop étroite à la taille et fendue du coude à l’épaule. Cette chemise, je l’avais mise aux poubelles et, elle, elle l’avait récupérée. Moi, je faisais partie des gens qui jettent quand c’est abimé.

Elle est montée dans sa chambre de couture, puis elle est redescendue avec trois bobines de fil rose. Elle a choisi la teinte la plus ressemblante, a enfilé une aiguille, fait un premier point puis un deuxième et m’a demandé de continuer. « Toutes les choses utiles méritent d’être réparées. Tu commences par réparer des petites choses, puis des plus grandes et, avec de la pratique, tu sauras réparer n’importe quoi. Ta chemise, ton manteau et peut-être même ton cœur. Ça te prend juste de la volonté, de la patience et du fil assez fort pour faire tenir tes morceaux. »

À cette époque, j’étais bien loin de comprendre que cette chemise, cet après-midi avec elle, allaient influencer le reste de ma vie. Sans le savoir, à partir de ce moment, j’ai commencé à réparer les choses et mon cœur aussi. J’ai appris la patience et la résilience. À chaque peine d’amour, à chaque fois où j’ai senti mon cœur se briser, je l’ai réparé. Quand le fil n’était pas suffisamment solide pour faire la job ou lorsque la blessure était trop profonde, je l’ai patché. Souvent, j’ai dû recoudre le même endroit en repassant une, deux, trois, quatre fois, car toutes les choses utiles méritent d’être réparées.

C’était l’anniversaire du décès de ma grand-mère, il y a quelques jours. J’ai beaucoup pensé à elle. J’ai imaginé toutes les fois où elle avait dû, avec les moyens du bord, se repriser. Je me suis demandé dans quel état était son cœur quand elle est décédée. S’il était solide, si ses coutures avaient tenu le coup, si, au fil du temps et de l’usure, ses patchs s’étaient décolorées. Et je lui ai demandé qu’elle me dise comment on fait pour continuer d’aimer sans retenue et sans peur quand on s’est reprisée si souvent qu’on a fini par avoir, à l’intérieur de soi, une courtepointe en forme de cœur.

Liza Harkiolakis

Ma famille courtepointe

J’ai une sainte horreur du qualificatif « RECOMPOSÉE » que lâ

J’ai une sainte horreur du qualificatif « RECOMPOSÉE » que l’on affuble aux familles qui se sont décousues et qui choisissent une nouvelle option. Une nouvelle direction. Selon le dictionnaire, recomposer signifie : composer de nouveau ce qui a été détruit, dispersé, décomposé. Faire à nouveau : refaire en modifiant.

Lorsque j’ai rencontré mon conjoint, il avait à ses côtés une fille. Moi, mis à part quelques meubles et ma vie dans quelques boîtes, je n’avais rien d’autre.

Moi qui n’avais rien, je n’avais tout autant rien composé. Je n’avais pas de famille à ma charge. Que pourrais-je recomposer alors ? Pour mon conjoint, c’était autre chose. Il avait déjà composé une famille. Mais l’idée de la reconstruire avec la même personne s’était dissipée de part et d’autre. Ils auraient pu recomposer ce qu’ils avaient autrefois fondé. Mais plus là. C’était maintenant plus une addition qui se soustrayait. Je n’aime pas être définie par un qualificatif qui nous ramène en arrière. Ma famille à moi, c’est celle qui va de l’avant. Celle qui s’invente. Celle qui se vit maintenant et à jamais.

De ce principe est née « ma famille courtepointe ». Je n’allais pas devenir une famille recomposée. J’étais une famille qui se composait. Qui se déterminait. Qui se dessinait. Je n’avais jamais détruit ni dispersé de famille, je ne l’avais jamais vue se décomposer. Je ne faisais pas à nouveau en modifiant, non. Je faisais, point. Point par point.

Je ne suis pas du genre à faire dans la dentelle. Mais j’aime sentir ma famille tricotée serrée. J’aime sentir que nos différences mises les unes à côté des autres font un joli ensemble. J’aime que le sentiment qui nous rapproche, c’est la chaleur de notre amour les uns envers les autres.

À la façon des courtepointes, nous avons cousu notre famille. Nous avons choisi le dessin qu’elle arborerait. Notre famille est, de mon œil d’artiste, la plus belle. Du moins, celle qui est le plus à mon goût. Qui est la plus appropriée à notre réalité. Elle est nôtre et nous pourrons toujours nous y lover pour ressentir cette chaleur familiale lors des coups de vent dans nos vies. Des instants de froideur qui viendront à notre rencontre. Et ce poids sur nos épaules pour ressentir que nous ne sommes jamais seuls. Et il n’y a rien de mal à replacer un bout de tissu maladroitement posé. C’est le labeur de la confection de la famille. Voir l’ensemble et s’ajuster, retirer ce qui a mal été confectionné et réessayer. Puis être satisfait du travail accompli.

Nous n’avons jamais exclu la mère de ma belle-fille. Elle est présente et fait partie de notre quotidien. Elle a sa place dans notre courtepointe. Comme ceux qui ont choisi de se greffer à elle. Lui soustraire sa place aurait fait un grand trou près des motifs de ceux de ma belle-fille. L’exclure m’aurait donné le sentiment de renier une partie de ma belle-fille. J’ai une belle-fille à part entière et rien de moins. Quand elle revenait de chez sa mère une semaine sur deux, on écoutait ce qu’elle avait vécu pendant cette semaine sans nous. On s’impliquait dans sa vie, sa réalité. Cela lui a permis de se définir dans son propre vécu, même si partagé une semaine sur deux.

J’aime tant les couleurs que mes filles ont choisies. Elles diffèrent de celles que j’aurais probablement sélectionnées, mais c’est ce qui rend l’ensemble si beau. Cette complémentarité. Ce côté hétérogène. Nous brodons notre courtepointe avec amour, avec soin, avec respect.

Je transmettrai, qui sait, ce principe de famille courtepointe, cette composition et cet art de créer ce que l’on appelle « la famille » à mes filles. Actuellement, dans leur tête, se dessinent peu à peu des croquis qui, un jour, prendront forme dans la courtepointe de leur famille, de leur vie qu’elles confectionneront un jour avec leur être aimé et qui sait, avec leurs enfants.

Le résultat aux yeux des autres importe peu. C’est notre histoire à nous. C’est la plus belle. C’est notre composition. Nous sommes une famille courtepointe.

Mylène Groleau