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La mémoire du coeur – Texte : Marie-Ève Massé

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Je suis préposée aux bénéficiaires dans un CHSLD. Une institution comme les autres qu’on appelle « milieu de vie » mais qui a, malgré tous nos efforts, malheureusement la froideur d’un hôpital. Nous nous efforçons, jour après jour, d’y répandre toute la douceur et tout l’amour du monde, mais la solitude et l’odeur des médicaments sont difficiles à chasser quand elles résonnent entre les murs. Parfois, certains résidents ont l’immesurable chance d’avoir la visite de gens qu’ils aiment. Ils les aiment au travers de la maladie et de la souffrance. C’est tellement touchant de voir leur sourire s’éveiller comme d’un long sommeil, leurs yeux briller silencieusement. Je sais que la démence est difficile à affronter pour l’entourage, la mémoire s’effrite lentement jusqu’à ce que la personne n’arrive plus à se rappeler votre nom ou le rôle que vous avez occupé dans sa vie. Mais la présence de ces personnes aimées reste tellement importante… plus qu’elles ne peuvent l’imaginer. Silencieux témoin des miracles qu’a sur eux cette présence, je suis toujours touchée, souvent émue, de voir leur amour percer leur regard.

Je travaille justement avec un résident que j’aime particulièrement. Un peu perdu à cause de la démence, il reconnait de plus en plus difficilement ce qui se passe autour de lui et il entre en communication de moins en moins. Ses enfants vivent loin et sa femme prend également de l’âge. Les visites se font rares pour lui. Sa conjointe lui a offert un chien en peluche récemment. Ce matin, à son réveil, il était vraiment fier de me le présenter et tentait de m’expliquer qu’il l’a nommé Gustave et qu’il le place toujours dans le coin de son lit, comme ça il ne dort plus seul, que sa conjointe est comme un peu là. Il a de moins en moins de mots dans lesquels piger pour construire ses phrases, mais il y mettait toute la passion possible pour arriver à m’expliquer la place de Gustave dans son quotidien. Une fois le repas du midi achevé, sa belle est justement venue le visiter. Il était tellement heureux de la voir, c’était bouleversant. Je me suis arrêtée un instant pour la saluer, pour souligner l’importance de sa présence et à quel point il était heureux de la voir. Je sais qu’il a de la difficulté à exprimer ce qu’il ressent et je trouve important d’essayer de le transmettre un peu pour lui. Elle me raconte comment elle s’ennuie et trouve la maison vide depuis qu’il ne vit plus avec elle. Elle me raconte la monotonie de son quotidien et le vide de sa solitude. Mon boulot est de m’occuper de mes résidents, mais il n’est pas rare que ce soit aussi de tendre la main à leur entourage l’espace d’un instant. Je l’écoute, n’ayant que ça à lui offrir pour alléger sa souffrance, de l’empathie. Au travers de la brume de ses idées qui s’est éclaircie en voyant sa conjointe arriver, il m’a soufflé :

— 66 ans de mariage, ma petite. Je suis tellement chanceux…

Cet homme dort généralement beaucoup, parfois je me demande s’il est vraiment fatigué à ce point. Avant la covid, il passait une partie de ces nuits debout avec moi, on regardait la télé ou il lisait un grand livre sur l’histoire. On jasait un peu, il me parlait, les yeux brillants, des trains qu’il conduisait quand il était plus jeune, des enfants, de l’anglais qu’il avait appris sur le tas à force de voyager. Il me racontait la langue amérindienne qu’il avait regretté ne pas avoir pris le temps d’apprendre quand il travaillait près de la réserve. Mais depuis quelque temps, je le croise aux repas ou lors des soins mais sinon, il dort tout le temps. Aujourd’hui, il est resté éveillé. Tout l’après-midi, il l’a passé avec elle. Le cœur un peu lourd, j’ai réalisé qu’il dort constamment peut-être juste par ennui. On fait notre possible, mais on n’arrivera jamais à remplacer leurs êtres aimés.

Au moment de partir, je les vois du coin de l’œil se dire au revoir près de l’ascenseur. Moi, je m’affaire auprès d’un autre résident, puis mon regard revient à lui. Il est là, la marchette devant lui, fixant son reflet dans la porte de l’ascenseur fermée.

Je m’approche de lui et mets doucement ma main sur son épaule.

— Qu’est-ce que vous faites ?

— Je suis allée reconduire ma femme.

— Oh ! Vous êtes galant !

— Oui.

— Venez, on va retourner dans la salle commune.

Il acquiesce et on marche lentement et en silence en écoutant le claquement de sa marchette qui accompagne ses pas. Je vois une grosse larme couler sur sa joue. Je m’arrête, passe un bras derrière ses épaules.

— Vous pleurez ? Ça ne va pas ?

— …

— Qu’est-ce qu’il y a, mon homme ?

— Je l’aime tellement…

Quoi répondre à ça…

Nous sommes allés la saluer dans la fenêtre donnant sur le stationnement. Il a attendu longtemps, trop pour ses jambes tremblantes. Posté là, debout entre deux fauteuils vides, il a attendu jusqu’à voir la belle tête blanche qu’il aime tant marcher vers le véhicule d’un pas assuré. Et il a attendu qu’elle trouve ses clés au fond de sa sacoche. J’ai espéré fort qu’elle se retourne, mais en voyant la voiture démarrer, j’ai lâché prise.

— Venez.

— Attends.

On regarde la voiture s’éloigner, puis je vois une main délicate saluer par la vitre du côté conducteur. Il a renvoyé le salut, un sourire fier au visage. De la fierté de l’homme qui ne pleure pas, celui à qui on a appris à se tenir droit malgré les remous. Puis, en marchant vers la salle commune, il a pleuré dans mes bras un bon moment. Laissant enfin place à toute la peine du monde…

« Je l’aime tellement. »

Ces moments-là sont tellement importants, mais parfois, la séparation est déchirante…

L’âge et la maladie font que la mémoire s’effrite comme un arbre à l’automne perd ses feuilles au gré du vent. Mais saviez-vous que la mémoire émotive, elle, ne meurt jamais ? Que même si, un jour, les personnes que vous aimez n’arrivent plus à se souvenir de votre nom ou du rôle que vous avez, elles se rappellent l’amour que leur inspire votre présence ?

La mémoire se dissipe telle une cuillère de sucre dans un verre d’eau, mais l’amour reste fleurissant et éclatant à jamais.

Marie-Ève Massé

Ne te fâche pas, on est là pour toi.

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Du haut de tes quatre-vingts ans, tu es fière. Tu as vécu une vie remplie de rire et de plaisir. Mais depuis quelque temps, tout te paraît lourd. Tu fronces les sourcils plus souvent qu’avant. Je sens les nuages gris passer dans tes beaux yeux bruns. Grand‑maman, fâche-toi pas, je suis là pour toi.

Le plaisir a toujours été une priorité dans ta vie

Dans ta jeunesse, tu as travaillé de soir comme garde-malade, tu avais ton propre compte en banque et ta propre voiture. À ton époque, c’était remarquable. Tu aimais les arts, la musique classique et les grandes histoires d’amour du répertoire cinématographique. Ma mère m’a souvent raconté les soirées que tu organisais dans ton sous-sol avec tes amis. Les grandes robes, la musique de bal et le plaisir étaient de mise. Que j’aurais aimé t’y voir !

La culpabilité s’est installée dans ton cœur en novembre 1956.

Ayant eu ta première fille deux ans auparavant, tu rêvais d’avoir un beau petit garçon à cajoler. Le 13 novembre 1956, ton souhait le plus cher s’est enfin réalisé. Tu as accouché d’un petit garçon au sourire charmeur. Mais ce sourire, tu n’auras pas eu le temps de le voir tout de suite. Les médecins ont quitté rapidement la chambre sans te montrer ton bébé. Quelle inquiétude ! Les infirmières ont mis des jours à te dire la vérité. Ton petit bonhomme ne serait jamais celui que tu attendais. Le verdict est tombé : le Spina Bifida. « Madame, votre enfant ne vivra que quelques années ! Il ne marchera jamais et aura un retard intellectuel important. » Bang ! Soixante ans plus tard, tu n’as pas oublié ce moment. La culpabilité est aussi présente dans ton cœur qu’à ce moment. Mais mamie, ce n’est pas ta faute. C’est la vie. Pardonne-toi.

La solitude

Grand-papa est un homme fort et travaillant. Il était pompier et avait une compagnie de planchers de bois franc. Souvent, tu ne le croisais que le matin lorsqu’il revenait de son poste et qu’il repartait pour son deuxième chiffre. La solitude pesait sur tes épaules comme un gros nuage avant les orages. Mais tu avais la vie que tu avais toujours rêvée. On t’enviait tellement. Mais toi, tu aurais bien aimé qu’il soit présent. Il te manquait terriblement. Un jour, il t’a promis que lorsqu’il serait à retraite, il serait enfin là pour toi. Depuis trente-deux ans, ton homme prend soin de toi. L’attente en a valu la chandelle non ? Vous êtes si beaux.

Le changement s’est fait de façon insidieuse.

J’ai toujours été extrêmement proche de toi. Je t’ai aimée comme ma deuxième mère. Ton opinion comptait comme de l’or. Je me faisais un devoir de ne jamais te décevoir. Je voulais tant lire la fierté dans ton regard. Mais depuis quelque temps, tu m’inquiètes. Les pertes de mémoire se font de plus en plus fréquentes. Les colères de plus en plus grandes. Mon cœur a beaucoup de peine de te voir ainsi… Je me suis renseignée et je crois que la démence commence à cogner à ta porte. Je sais que c’est inévitable, mais s’il te plaît, ne te précipite pas trop vite pour ouvrir le passage. Nous avons encore beaucoup de bons moments à passer ensemble. Je sais que lorsque tu te mets en colère, c’est ta façon de combattre. Sache que je te comprends. Je t’aime et tu peux compter sur moi, je serai toujours là !

 

Alexandra Loiselle-Goulet

 

Mon cerveau débranché

Est-ce que ça vous arrive, vous aussi, de retrouver votre portefeui

Est-ce que ça vous arrive, vous aussi, de retrouver votre portefeuille dans le frigo, d’essayer de débarrer la porte de la maison en pitonnant sur la clé de l’auto, d’enfourner la pizza dans le lave-vaisselle ou de vous tromper d’auto dans le stationnement?

Si oui, vous êtes probablement un parent très (trop) sollicité! Ce n’est pas forcément signe d’une démence sénile (précoce!)

Alors voici une liste, non exhaustive des signes que mon cerveau est débranché :

– J’ai déjà amené mes enfants à l’école un dimanche matin…

– J’oublie régulièrement d’aller chercher les enfants aux activités.

– D’ailleurs, je me trompe souvent d’activité : mon gars est en kimono et je l’amène aux scouts.

– Parfois, je fais le tour du stationnement et j’oublie de m’arrêter pour débarquer mes petits au karaté.

– Je change TOUT LE TEMPS le nom des gens.

– J’ai failli appeler le 9-1-1 parce que je croyais que mon auto avait été forcée et qu’on m’avait volé mes affaires, mais ce n’était pas mon auto!

– Je réalise souvent que j’avais rendez-vous chez le dentiste la veille…

– J’ai déjà égoutté des pâtes sans mettre de passoire…

– Je me fais chauffer de l’eau, j’oublie, je refais chauffer de l’eau, je verse l’eau dans la tasse, j’oublie de boire mon thé, je le réchauffe au micro-ondes, mais ça ne goûte rien… j’ai oublié de mettre le sachet de thé…

– Je ne sais JAMAIS quel jour on est.

– Quand je ne me rappelle plus des mots, j’en invente des nouveaux : je manque « d’attentivité »!

– L’autre jour, au travail, j’ai remercié l’imprimante pour la feuille qu’elle venait de me donner…

Ça donne de grands moments de solitude et de beaux fous rires! Heureusement, mes enfants sont très compréhensifs et patients.

Et vous? Avez-vous des cerveaux branchés ou plein d’anecdotes à nous raconter?