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C’était mon père

Ça a été un débat, avec ma tête et avec mon cœur. Peu importe, après réflexion, les gens ont

Ça a été un débat, avec ma tête et avec mon cœur. Peu importe, après réflexion, les gens ont le droit de savoir. Savoir le pourquoi, les raisons fondamentales des non-dits de notre famille.

En sixième année, quand j’ai décidé d’aller faire mon secondaire chez papa, j’étais tellement contente de pouvoir profiter d’avoir une sœur! Les bébés, j’adorais ça! Elle est arrivée, je n’avais pas le droit de la voir, de la prendre… pour plein de raisons qui sont hors de mon contrôle.

Un jour, je suis seule à la maison, avec papa. Il est tard. Je devrais dormir, mais ce n’est pas le cas. Je monte aux toilettes, papa écoute la télé. Je ne suis pas à l’aise, je le sens pas. Mais je fais ce que j’ai à faire. J’arrive pour sortir. Papa est là, nu. Il me force à rester dans la salle de bain, il m’assoit sur la sécheuse, de force. Il me dit qu’il veut me montrer c’est quoi, comment ça marche. Je me débats, je crie je frappe, j’ai vraiment peur…. Je finis par pouvoir me sauver, descendre à ma chambre.

À partir de ce soir-là, je ne m’endormirai plus avant de savoir que papa est monté, avant d’entendre ses pas monter l’escalier.

Par la suite, une autre fois, ma belle-mère n’y était pas. Il descend, dans ma chambre. Il met sa main sur ma bouche, je suis sur mon lit. Il me touche, je me débats. Mon instinct de protection embarque, je suis enragée… et tout d’un coup, la belle-mère arrive. Son commentaire: bonnnn… pourquoi elle crie encore? C’est poche mais en même temps, j’ai tellement été contente qu’elle revienne tôt cette journée-là.

Une journée, la nièce de ma belle-mère reçoit son call pour sa transplantation. Elle part pour Québec. Je suis seule avec papa et pour un bon bout… Là, j’panique. Je supplie grand-mère de me ramener chez elle, je veux aller vivre là-bas.

Je pars, je suis démolie mais je survis. Je continue mon secondaire. Un jour, je me fais appeler au secrétariat. Un travailleur social est là, il veut me parler.

Je suis stressée, j’comprends pas trop. Il commence à me parler, c’est léger. Puis bang!, la bombe est lancée. Ma sœur a fait un signalement… Ma petite sœur a fait une plainte. Notre père a eu des gestes déplacés envers elle. Est-ce que j’étais au courant? Comment j’me sens? Est-ce que j’ai vécu une situation déplacée moi aussi?… Beaucoup d’informations, beaucoup de questions, et y a moi, gelée, qui doit tout gérer. Je dois mettre en place mes idées, je dois absorber un esti de choc. Le reste est flou, pour vrai. Le travailleur social repart, je suis laissée avec moi, ma tête, mon cœur… J’comprends pas, j’comprends rien…

Je dois aller dîner chez ma mère… Pas mal la dernière place où je voudrais être. Je marche avec mes amis, eux ils vont dîner chez eux, moi j’dois aller affronter ma mère, ma sœur.

J’finis par arriver, le reste est toujours flou. Pour vrai, tout le reste est dans un brouillard… J’suis brisée enragée…. contre la terre entière. Pourquoi moi, pourquoi nous…. On est allé en cour, ç’a été compliqué. Papa a gagné, si on peut vraiment appeler ça une victoire.

On a été plusieurs années sans avoir de contact. Plus tard, avec ma sœur, on a décidé de passer par-dessus. De connaître notre demi-sœur qui savait même pas qu’on existait. On veut créer un lien. On décide de ne plus parler de cette histoire, de taire tout ça. À la limite, on a même décidé de nier au besoin.

Plusieurs années passent. Un jour l’été d’après, j’ai un déclenchement quand j’le vois jouer avec la fille de mon chum dans la piscine au camping… My god, s’il devait lui toucher, s’il avait un petit geste déplacé, qu’il se passait quelque chose. Comment je pourrais vivre avec ça? Comment je pourrais accepter d’avoir fermé mes yeux?

Je ne peux pas. Pour vrai, je ne me pardonnerais jamais… Je veux que personne ne vive ça, sincèrement.

Voici mon histoire. Désormais, je n’ai plus de contact avec mon géniteur. Pour protéger mes enfants, ceux de mon conjoint, les enfants de mes amis… J’ai décidé de ne plus nier ce qui est arrivé. Si quelqu’un me pose une question, je serai honnête, je n’ai plus à me sentir coupable.

Je le dis maintenant, pour moi mais aussi pour ma sœur. J’ai terminé de m’en vouloir, d’avoir honte, mais surtout, je n’ai pas à le protéger. Plus maintenant. Il doit assumer les conséquences de ses actes, assumer le fait qu’il a brisé des vies… Heureusement, on a eu maman. On a été bien entourées.

Il ne faut pas hésiter à dénoncer, même plusieurs années plus tard… Les gestes que j’ai subis, que ma sœur a subis, ça a brisé des vies, les nôtres mais aussi celles de ma mère, de son conjoint de l’époque.

J’ai cheminé dans ma vie, l’adulte que je suis, c’est certainement pas grâce à lui. Ma vie n’a jamais été un long fleuve tranquille, mais désormais je vis plus en paix, je suis où je suis dans la vie parce que je suis une battante, je suis heureuse et ça, il ne pourra plus jamais me l’enlever.

 

Julie

Je suis « La parfaite victime », et je m’en excuse. Sincèrement.

En juin dernier sortait en salle le documentaire La parfaite victime, un film de Monic Nér

En juin dernier sortait en salle le documentaire La parfaite victime, un film de Monic Néron et Émilie Perreault produit par Denise Robert. Ayant été victime de plusieurs agressions sexuelles dans ma vie, dont la première à quinze ans, j’ai pris plusieurs mois avant de l’écouter. J’étais moi‑même « dans le système » pour un événement datant de plus de deux ans. Va savoir si j’avais suffisamment cheminé pour être solide et ne pas décompenser.

En l’écoutant, j’ai pleuré. Fort. Des vraies larmes. J’ai supplié mon cœur de rester dans mon corps. Entendre et voir ces victimes sur mon écran m’était quasi insupportable. Je les comprenais trop bien, toutefois je ne comprenais pas la narration choisie. Le choix de ton. J’en suis encore bouleversée.

J’ai lu tous les commentaires publics à propos de ce film. Pour la majorité, des victimes envenimées, des menaces, des horreurs contre le système et contre les professionnels ayant accepté de faire ce film qui trouble, qui dérange. Mais peu osaient dire que le système les avait soutenus. Probablement par peur. Par honte. Je comprends, j’ai aussi souvent questionné mon cheminement, et le choix parfois douteux de têtes retenues pour l’écran, et je n’ai pas porté plainte pour mes agressions passées dans mon jeune temps, par honte, peur et découragement également. Mais je me sentais mal d’écouter ce documentaire qui me peignait alors comme la « parfaite victime », puisque le système avait été de mon côté. Mal d’avoir gagné ma cause. Mal d’être allée jusqu’au bout. Comme si ça avait été facile, comme processus, vu que j’avais gagné. Je me souviens, lors de la huitième écoute, m’être dit que je n’avais pas ma place aux côtés de ces hommes et femmes. J’aurais voulu les prendre dans mes bras et leur donner mon « coupable ». Du genre « prends mon verdict, j’vais garder la leucémie ».

Sous une publication de la page principale du film, une femme énonçait que si un jour ça lui arrivait, jamais elle n’irait porter plainte. C’était bien clair, elle était découragée des propos tenus, des statistiques. Ça aussi, je comprends. Parce qu’avoir visionné le film AVANT ma plainte, jamais je n’y serais allée.

Mais comme humain, mon devoir est de rester ouverte à ce que la vie m’amène. D’accepter ce qui est et de changer ce que je peux changer. C’est mon choix d’avancer dans la direction que je crois être juste. J’avoue que ce n’est pas toujours évident.

Dans mon histoire, j’ai vécu les deux côtés du système ; j’ai abandonné une plainte de viol parce que je trouvais injustes les répercussions sur mon amie (#pasbesoindamiecommeca) du temps, qui aurait pu empêcher mon viol, mais qui préférait commettre l’adultère dans la pièce d’à côté. Puis j’ai connu le processus traditionnel avec une enquêteuse et un procureur doux, attentionnés, compréhensifs mais surtout, humains. De le voir apparaître sur mon écran et de lire des commentaires haineux disant que le DPCP ne fait rien pour les victimes… j’pensais crever. La tête me tournait, j’avais la chair de poule. Parce qu’en grande, grande, grande partie sans mon procureur, je ne serais pas ici. Mes enfants n’auraient pu de mère.

Je me souviens exactement de la journée où j’ai dû aller au Palais de justice de Québec afin de remplir la déclaration sur les effets subis suite à cet événement. La fin approchait enfin. Je devais coucher sur papier tout ce que ça m’avait enlevé, coûté. Je l’ai fait en pleurant. Du début au point final, plusieurs pages plus tard.

Dans un élan de détermination et de courage, j’avais demandé à voir la salle où il avait plaidé coupable. Oui, après s’être présenté à mon domicile malgré le jugement qui l’en empêchait, il plaidait coupable, enfin.

J’avais besoin de voir où ça avait été « réglé ». Je l’ai vue dans les jours suivants, après avoir noirci tellement de feuilles avec des mots réfléchis et puissants sur lesquelles je lui souhaitais avec bienveillance de se réhabiliter. Mais que de mon côté, je devais avancer et lui laisser ça. Ça lui appartenait maintenant.

Je me souviens de la vague de violence qui m’avait transpercée au moment où j’ai su que ça ne leur avait pris que quatre minutes.

De quoi ?

Quatre minutes de comparution seulement. J’ai demandé l’enregistrement pour entendre de mes oreilles ces quatre minutes où il plaidait Coupable au chef d’accusation d’agression sexuelle.

Pour plusieurs victimes, juste l’idée de réentendre la voix de son agresseur est insupportable. Mais pour moi, il était fondamentalement crucial que je l’entende prononcer son aveu de culpabilité. C’était viscéral. Les tripes serrées et le cœur en morceaux, j’avais écouté le fichier audio, payé de ma poche, en boucle pendant des heures. En fait, je l’écoute encore, et j’ai le message de mon procureur dans ma boîte vocale.

Si ça prend ça pour avancer ? Je sais pas. Mais d’entendre de sa bouche que ça ne m’appartenait pas, ça valait de l’or. Je partagerai un jour avec vous la lettre lue en cour lors de la sentence. Je viens d’aller chercher l’audio, merci Bureau en gros de faire des transferts CD vers des clés USB. #presqueunedisquette.

J’ai fait un malaise avant de sortir du Palais de justice. Le constable m’a dit qu’il était là, que j’avais rien à craindre.

J’ai fait une crise d’angoisse dans le stationnement.

J’ai dû m’arrêter sur le chemin du retour pour vomir.

Je suis arrivée à la maison en ne voulant qu’une chose : une famille.

Toute la soirée, seule, j’ai essayé de ramasser les bouts de mon cœur brisé. Ce dont j’avais besoin ?

Qu’on me laisse pleurer en me flattant les cheveux.

Qu’on me dise que ce que j’ai vécu, c’est horrible.

Qu’on me laisse crier, ce que j’ai fait, habillée dans le bain, la rage au cœur.

Quatre minutes.

Ça en avait duré dix, y’a deux ans.

Dix minutes.

Deux ans.

Quatre minutes.

Mais j’ai gagné. Parce que j’ai choisi de faire confiance au système. Parce que j’ai dénoncé cet agresseur. J’ai entendu le « Oui, coupable » que je devais entendre et qui a résonné jusque dans mon âme. Si ça a été facile ? Non, c’est vrai que c’est long comme processus. Mais se guérir aussi. Tellement.

Si tu es victime d’agression sexuelle, reste pas dans le silence. Je suis là. Tu m’écris. Je vais te tenir la main pour aller porter plainte. Je vais te flatter les cheveux pendant que tu pleures et j’vais même ramasser ton vomi.

Mais reste pas seule. T’as le droit de te faire entendre, si tu le souhaites. Y’a des gens qui passent leur vie à le défier, le doute raisonnable. Y’a des gens qui sont là pour dire que ce que t’as vécu, c’est horrible. Et certains le font en toge.

Fais-toi le cadeau de la bienveillance. D’y croire. Parce que juste de porter plainte, c’est déjà se libérer de ce qui ne nous appartient pas.

K.

 

Si tu as été victime d’agression sexuelle, je partage avec toi quelques ressources à ta disposition. Je te rappelle que tu peux m’écrire, slide dans mes DM anytime, ok ?

https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/violences/agression-sexuelle-aide-ressources/organismes-d-aide-aux-victimes

 

 

 

 

 

Le système et la famille

Ça fait un petit bout que j’ai envie d’écrire en réaction à

Ça fait un petit bout que j’ai envie d’écrire en réaction à tout ce qui est présentement dénoncé par rapport à notre système de santé et de services sociaux. C’est délicat. Délicat, car il y a plein de professionnels motivés et compétents qui travaillent fort. Loin de moi l’idée de les oublier et de nier leurs efforts. Ce système est aussi rempli de plein de bonnes intentions et de belles promesses électorales, mais il est malade et je me demande si on pourra le sauver. On aura beau afficher fièrement n’importe quelles statistiques à ce sujet, un tour de quinze minutes sur le terrain suffit pour savoir que derrière les beaux chiffres, le système ne fonctionne pas.

Ça fait des mois, des années que les familles, les professionnels et les syndicats qui y travaillent sonnent l’alarme à plein de niveaux et pour plusieurs raisons. Ce n’est pas juste pour se plaindre, ce n’est pas juste pour critiquer ; c’est pour dénoncer un mal‑être profond et malsain.

Je l’ai moi-même quitté ce milieu. Je l’ai quitté parce que le milieu dans lequel je travaillais avait des pratiques qui allaient à l’encontre de mes valeurs personnelles et professionnelles et qu’à plus d’une reprise, je me suis sentie humiliée, intimidée et non reconnue quant à mes compétences. Ces sentiments sont malheureusement partagés par la clientèle du service. J’ai quitté avec déception ce milieu où l’aspect collectif de l’équipe ne me semblait pas valorisé et où les blâmes individuels permettaient à la dynamique organisationnelle de se répéter. Selon moi, le fonctionnement du service perpétuait la chronicité des problématiques, accentuait une hiérarchie malsaine, laissant les familles avec peu de pouvoir sur les décisions concernant leur propre enfant. Je refusais d’y contribuer.

J’ai de la chance, car j’ai pu quitter le milieu malsain ; je suis privilégiée. Je n’avais ni l’horaire des infirmières, ni la surcharge des médecins, ni de grosses contraintes statistiques à remplir comme certains collègues ; et pourtant, j’étouffais, je rageais, je déprimais. Pourtant, sur papier, mon département allait bien. Nous étions efficaces statistiquement parlant, mais c’est assez impressionnant de voir à quel point nous étions essoufflés, désillusionnés et en colère.

Je suis maintenant dans le secteur privé. Quelle lutte avec ma conscience que ce changement professionnel ! J’ai choisi de sauver ma peau, en laissant derrière moi plusieurs familles en détresse. Des enfants blessés, des parents mal en point, des adolescents mutilés. Il y en a là‑dedans qui pourraient se retrouver avec une fin tragique, je le sais, et je suis partie quand même. De toute façon, je ne pouvais pas travailler avec eux dans les conditions qu’on m’imposait. J’avais l’impression de faire semblant d’offrir un service sans me soucier de leurs réels besoins, de leurs valeurs, de leurs rêves.

On ne peut pas faire porter tout le poids du système à une seule personne, qu’elle soit intervenante, mère, père ou enfant. Il y a la responsabilité individuelle, mais aussi la responsabilité collective. C’est pourquoi j’écris aujourd’hui, pour que ma petite voix s’ajoute à celle des autres et qu’ensemble, nous ne cessions de dénoncer l’intolérable. Le Québec et ses familles méritent tellement mieux.

Roxane Larocque