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J’ai pleuré en faisant un pain aux bananes

La grande avait la bouche pleine de sucre, la petite les deux mains

La grande avait la bouche pleine de sucre, la petite les deux mains dans la farine. La cuisine était un foutoir total. Ma tête aussi. Pleurer moins fort que le bruit de la mixette était la meilleure option que j’ai trouvée.

Je voulais travailler les fractions dans un contexte réel. J’avais des intentions et des attentes. Des bananes et des pépites.

Je me suis retrouvée à faire la vaisselle seule. Mais pourquoi dans ma classe de 26, je réussis à faire une soupe géante d’Iroquoiens et que j’ai tellement de volontaires pour laver et essuyer que je dois piger? C’est un secret bien gardé après le secret de la Caramilk ou quoi? Je sais par contre pourquoi les bananes congelées de novembre 2019 me rappellent ma tendance à procrastiner. Ça, c’est d’une évidence.

Pendant que le four cuisait ma déception, je suis allée nettoyer mon mascara. Mais pourquoi je me maquille pour faire un foutu pain aux bananes? Je suis en isolement total. En attente du résultat du test de la COVID-19 de la petite voisine que j’ai gardée le jour de la tempête. Je me regarde dans le miroir. Les doutes, ça fait vieillir.

Je n’ai pas voulu que tout soit parfait. 2019 me l’aura appris. J’ai voulu donner ce que je croyais le mieux. J’ai voulu être ce parent efficace comme Thomas Gordon le décrit dans son livre. J’ai voulu me reprendre…

Depuis une semaine, j’essaie de créer une routine sécuritaire pour les filles. Des choix, de la liberté, du temps, du plaisir dans l’incertitude. J’ai voulu me reprendre. Que tout ce que je donne à mes élèves depuis vingt ans, l’énergie, les sacrifices et les compromis, rejaillisse enfin sur ma famille.

J’ai voulu me reprendre en faisant de ma table de cuisine un quartier général, un bureau géant, et de la fenêtre, un tableau. J’ai voulu recréer la classe. J’ai voulu aider dans ma posture de prof.

Mais ça reste la maison, avec le chat qui marche sur la table. Et je reste la maman qui fait du pain aux bananes avec du mascara pas waterproof.

Je ne suis plus dans ma classe. Je n’y remettrai probablement pas les pieds avant septembre. Je vis une forme de deuil. J’avais des projets pour mes élèves que je suivais depuis deux ans. J’aurais dû le faire, ce feu dans la cour pour faire cuire du pain banique avec les parents. J’aurais dû les accrocher les cabanes dans le boisé. Les mésanges ne savent rien de la pandémie. Elles ne sont pas confinées.

Dans ma classe extérieure, j’étais utile. Pas comme dans ma cuisine. J’avais le sentiment de transmettre le goût d’apprendre. C’était ma plus grande mission. Les missions héroïques tombent dans les cuisines. Les projets nobles font place aux dictatures de la gestion du temps d’écran. Je me sens inutile pendant que mon chum travaille au sous-sol pour trouver des solutions pour sa compagnie. Il s’adapte, collabore et crée. Je l’admire. Pendant que la fille de la pharmacie place des Tylenol sur les étagères, que l’emballeur emballe le souper de la famille de cinq, que la femme teste des gens dans leur char et que tous les autres font des heures supplémentaires. Je les admire. Je souhaite presque que les « mesures de guerre » viennent me chercher pour contribuer.

J’ai voulu me reprendre… Mais je passe à côté de ce qui compte, on dirait. Il faudrait me déprogrammer. Nous déprogrammer. La pédagogie sociale, c’est quoi sans les autres? J’ai perdu mes repères, mes projets. Mes filles aussi ont perdu leurs repères. Elles ont dû dire au revoir à leur papa hier, sans trop savoir quand elles le reverront. La garde partagée n’est pas recommandée en temps de pandémie. Surtout quand un des deux parents travaille. Je n’ai jamais été maman à la maison. Je les admire, les mères pleines d’espoir et de force. Mes grands-mères. Je les admire.

Je suis née pour aider. Pour créer des liens. Je ne vis pas sans les autres. J’ai besoin des autres. Mes filles aussi. Les autres, c’est nous maintenant. Avoir toutes ces idées, mais devoir attendre. J’implose dans ma cuisine.

Ma grande, celle qui avait la bouche pleine de sucre, a vidé un pot pour le remplir de petits billets écrits sur des écorces de bouleau. Des prénoms à piger pour leur rendre des services, leur faire plaisir. Sa dysorthographie est évidente sur chaque petite écorce. Et puis? Elle l’a fait pour les autres.

Ma petite, celle qui avait les deux mains dans la farine, vient de m’embrasser par en arrière et dessine un arc-en-ciel avec « Ça va bien aller ». Elle le place dans la fenêtre. Pour les autres.

Le pain aux bananes embaume la maison. Cette maison qui abrite les doutes, de la musique, les chicanes d’enfants, les danses improvisées, la peinture éclatée, la cuisine en bordel, les poèmes à minuit moins quart, les crayons sur la table de la cuisine, l’amour qui se reconstruit. La maison qui est ce repère de la famille. Cette cellule commune qui était il y a cinq jours diluée dans le travail et les faux désirs de consommation depuis trop longtemps.

Je voulais me reprendre. Je suis les réflexions qui appellent aux changements. Je suis les doutes et la force. Je suis les bananes et les pépites. Je suis la prof et la maman. Vous êtes ces parents qui doutent dans leur cuisine. Vous vous pensez seuls. Vous vous trompez. Nous sommes ensemble dans cette cuisine. Et c’est avec vous aussi que j’aimerais partager ce pain aux bananes, même si les bananes sont de 2019.

Quand tout sera terminé, que l’école aura repris, que les familles seront revenues à l’essentiel, que les mésanges auront de nouvelles cabanes, que je me sentirai utile même dans une cuisine, nous ferons un pain aux bananes collectif digne du Record Guinness. Ensemble. Nous contribuerons. Ensemble. Nous nous reprendrons.

Catherine Lapointe

https://ecolebranchee.com/pleurer-en-faisant-un-pain-aux-bananes-covid-19/

 

Parce que toi, t’es ce gars-là

Parce que toi, t’es ce gars-là:

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Parce que toi, t’es ce gars-là:

T’es celui qui est entré dans sa vie, avec tes airs de bon gars. Même moi, j’y ai presque cru. Je dis presque, parce que pour une raison que j’ignore, j’ai été mise au monde avec un sixième sens assez puissant. T’avais l’air d’un bon gars, mais tout en moi me disait de faire attention.

Ça a commencé de manière insidieuse, on a même eu de bons moments nous deux. Mais rapidement, j’ai vu les changements en elle. Sa liberté, tu te l’es appropriée. Son sourire sincère, tu l’as effacé. Son regard, tu l’as aveuglé. Son bonheur, tu t’es assuré qu’il n’est accessible qu’à toi, tu l’as mis dans ta petite poche arrière.

Outre ma présence, je ne pouvais faire plus. Tu sais, tu es quand même celui qu’elle a choisi et qu’elle aime, alors je devais te tolérer pour ne pas la perdre.

Sauf que vois-tu, avec le temps, c’est allé trop loin et tu es devenu son cerveau. On aurait dit qu’elle ne pouvait plus réfléchir par elle-même. En plus d’oublier toutes les paroles blessantes que tu pouvais lui dire, elle a fini par oublier qui elle était, aussi merveilleuse soit-elle. Je le sais que pour toi, j’étais menaçante simplement parce que j’étais sa confidente et que je voyais ta game.

Toi, t’es ce gars-là,

alors tu ne t’es pas arrêté là. Après lui avoir enlevé tout ce qu’il y avait en elle, tu t’es mis à éliminer tout ce qu’il y avait autour d’elle. Chaque fois qu’elle perdait un lien, toi, tu t’assurais d’être à ton meilleur à ce moment-là. Tu voulais lui montrer à quel point tu étais indispensable à sa vie, le seul à la comprendre. J’ai fini par faire partie des dommages collatéraux et malheureusement, ça, je ne te le pardonnerai jamais.

J’ai longtemps souffert de sa perte et je vais longtemps en souffrir. J’ai dû lâcher prise, pour elle. Ça m’a demandé tout l’amour du monde de la laisser partir. Sauf qu’à un moment donné, j’ai dû le faire parce que tu lui as demandé de choisir. Pour moi, c’était inadmissible de lui imposer ça, alors j’ai fait la seule chose qui devait être faite pour elle et pour mon intégrité. Si je lui avais demandé de faire ce choix, ça aurait été comme me rabaisser à ton niveau. Elle avait bien assez de toi, elle ne méritait pas que son amie lui fasse ça.

Toi t’es ce gars-là,

t’as jamais été capable de la laisser partir, même quand elle t’en suppliait. Tu refuses d’envisager qu’elle puisse être heureuse sans toi, alors tu l’emprisonnes dans votre relation. J’espère qu’un jour, elle trouvera la force nécessaire pour se libérer de ton emprise, parce que ça, personne ne peut le faire à sa place.

Toi t’es ce gars-là,

celui qui va détruire tellement de relations, de liens et d’humains sur ton passage pour une seule raison : tu n’as jamais appris à t’aimer toi-même.

Eva Staire

Même si ce texte s’adresse à ce gars-là, il pourrait aussi s’adresser à cette femme-là. La violence psychologique touche les hommes et les femmes.