Tag poursuite de la grossesse

Nous ne t’attendions pas

D’abord, notre fille est née. Pour mon conjoint, il était clair que nous aurions deux enfants, p

D’abord, notre fille est née. Pour mon conjoint, il était clair que nous aurions deux enfants, peut-être même trois. Pour moi, ce n’était pas si clair, je sentais que j’aurais pu m’arrêter, que j’étais comblée. J’ai recommencé à dormir, j’ai repris une vie normale et en même temps, l’envie d’en avoir un deuxième s’est développée et a grandi.

Trois ans plus tard, mon fils est né. Un bonheur doublé. Une fois passées les mauvaises nuits, les petites purées, les premiers étés à le suivre pas à pas pour ne pas qu’il se blesse, le terrible two, nous avons su sans aucune hésitation que notre bonheur était complet. Nous avions ce sentiment qu’enfin nos nuits blanches et nos efforts portaient fruit et que nous pouvions goûter à un semblant de liberté avec nos deux grands, comme si un monde de possibilités s’ouvrait à nous et à notre famille. Nous sentions que nous avions passé une étape, bien que remplie d’amour, de découvertes et d’émerveillement, pour le moins éprouvante. On se tapait dans les mains, fiers de notre famille, fiers de notre couple, prêts à découvrir la suite avec nos deux superbes enfants.

Puis, l’automne de cette année-là est arrivé. Le repas du restaurant ne passait pas : maux de cœur, malaises, repos forcé. « Voyons! » Mes pantalons étaient serrés. J’avais dû prendre un peu de poids puisque j’avais beaucoup d’appétit depuis quelque temps. « Bizarre! » Tout à coup, mes sens étaient en éveil; je sentais tout. Comme si mon nez venait de déboucher soudainement. J’avais mal aux seins… « Mal aux seins? » J’avais alors couru vers le calendrier; mes règles étaient en retard… mais elles l’étaient souvent. « On va régler ça! » Le test confirmerait, sans aucun doute, que je n’étais pas enceinte.

Une heure plus tard, j’apercevais les deux lignes.

Je ne respirais plus. Je ne réfléchissais plus. Je regardais encore pour être certaine. Il y avait bien deux lignes. Le choc. Je relisais les instructions encore et encore pour trouver la faille. Je repassais mes malaises en boucle dans ma tête. « Non! Impossible! » Lorsque mon conjoint était passé devant moi, je lui avais tendu le test. Il m’avait regardée sans comprendre. Je m’étais alors effondrée. J’étais paniquée. Je ne savais que faire de cette nouvelle.

D’abord, on allait garder la nouvelle pour nous. Cette nouvelle qui nous arrivait comme une gifle en plein visage. Je regardais l’armoire que je venais tout juste de vider et je l’imaginais se remplir de biberons à nouveau. Je voyais déjà les couches dont on n’avait plus besoin depuis peu, recommencer à s’empiler dans la salle de bain et les jouets et chaises de bébé qui allaient sans aucun doute réapparaître dans notre vie. Et que dire des nuits blanches qu’on se félicitait d’avoir laissées derrière nous?

On avait soudainement l’impression de reculer d’un coup, de devoir regarder en arrière plutôt qu’en avant, comme si le temps arrêterait de tourner pour nous durant les prochaines années. Et moi, j’avais la douloureuse sensation d’être si vieille pour avoir un autre enfant. Je me sentais sans aucun doute comme Émilie Bordeleau (vous savez… les filles de Caleb) lorsqu’elle avait appris qu’elle était enceinte de son dixième : prisonnière d’une vie dont elle ne voulait pas.

Puis tranquillement, il est devenu clair que cet enfant allait arriver. Clair parce qu’on avait pris une décision et qu’on n’allait pas changer d’idée. Clair que sur les photos de famille, personne n’allait manquer. Clair pour mon conjoint qui ne se questionnait plus. Moi, je portais cet enfant et surtout, une grande culpabilité : il était là au creux de mon ventre et je ne savais pas si je le voulais. C’était un sentiment terrible; le doute, le duel entre l’instinct maternel et l’envie de reprendre ma vie de femme. Les plans, tels que je les avais prévus qui se bousculaient et s’effondraient.

En apprenant la nouvelle, mes enfants avaient sauté de joie. Ils allaient avoir un frère ou une sœur. Le soir même de l’annonce, alors que je lui brossais les dents, ma fille m’avait dit sur un ton rempli de certitude et d’évidence : « Moi je sais que tu aimerais qu’il ne soit pas là le bébé, tu ne voulais pas un autre enfant. » Le choc à nouveau. Elle nous avait bien, par le passé, entendus dire que notre famille était complète, que nous ne souhaitions pas avoir d’autres enfants. Mais cette phrase m’avait totalement prise au dépourvu et happée en plein cœur. J’étais sans mot.

Cette affirmation m’aura finalement été d’un grand service. Elle m’aura poussée à me poser la vraie question, la seule qui ait un sens. À ce moment, je lui avais répondu sincèrement et de tout mon cœur, que maintenant que je savais qu’il était là, je serais très triste qu’il n’y soit plus. Puis elle était allée se coucher. Ses mots avaient résonné en boucle dans ma tête jusqu’au lendemain matin.

Au déjeuner, seule avec elle, je l’avais regardé et je lui avais dit : « Tu sais, j’ai souhaité de tout mon cœur que tu apparaisses dans mon ventre. Je t’ai attendue et espérée. Mais quand j’ai su que tu étais là, je me suis mise à avoir peur. Peur de ne pas être une bonne maman, peur de ne pas faire les choses comme il faut. Puis, je t’ai sentie bouger. À chacun de tes coups de pieds, j’ai eu moins peur. Tu es née, et je n’ai plus eu peur du tout. Pour ce petit bébé, je sais que ce sera la même chose. Pour l’instant, j’ai peur. Peur de manquer de temps et d’être une moins bonne maman, peur que ma vie soit toute chamboulée. Il me donnera ses premiers coups de pieds, puis tous les autres, et j’aurai de moins en moins peur. Quand il naîtra, je n’aurai plus peur du tout. »

Quelques semaines plus tard, je sentais son premier coup de pied, puis tous les autres. Tranquillement, j’ai eu de moins en moins peur et je me suis mise à l’aimer. Il est né. Je n’ai plus eu peur du tout. Je l’ai aimé de tout mon cœur.

Merci à la vie de t’avoir soufflé, mon bébé, sur notre route. Tu es le petit bout de vie qui manquait à notre famille. Maman t’aime si fort.

 

Eva Staire

 

 

 

Jumeau perdu, jumeau vécu (partie 2)

Vous-trouverez le lien de la première partie de cette collaboration

Vous-trouverez le lien de la première partie de cette collaboration spéciale au bas de la page.

Adieu, bébé jumeau… Les derniers mois de la grossesse allaient servir autant à faire notre deuil d’un bébé parti trop tôt et d’une expérience de vie avec des jumeaux qu’à préparer à accueillir notre bébé survivant.

La naissance d’un survivant

Nathalie : Après quarante semaines à barboter dans mon ventre format hippopotame, mon fils est né. Presque dix livres de bébé! J’avais passé la grossesse à le supplier de s’accrocher et à respirer pour lui envoyer de la force et du calme. En naissant, il a oublié de respirer, son cœur ne battait presque plus. Les soins médicaux l’ont convaincu de ne pas suivre son frère jumeau ou sa sœur jumelle. Il est revenu, et il a grandi. Nous n’aurions pas les photos mignonnes de jumeaux habillés pareil ni celles où ils dorment en se tenant par la main. Mais il arrive qu’on ait l’impression que le jumeau disparu n’est pas si loin…

Mélanie : Tu as hésité longtemps. Je saignais souvent. Je crois que tu hésitais encore entre partir rejoindre ta moitié ou rester. Trente-sept longues semaines à avoir peur, mais tu as décidé de rester et de te présenter plus tôt que prévu à trente-sept semaines et trois jours. La perte vécue pendant la grossesse faisait partie de toi. Tu étais un bébé difficile, tellement anxieux! Tu n’arrivais pas à te séparer de moi, tu avais besoin d’une routine que l’on devait suivre by the book, sinon tu pleurais sans être consolable. Même en vieillissant, tu étais constamment dans mes jupes. On me le faisait remarquer. Ç’a été comme ça, jusqu’à la naissance de ta sœur, vingt-deux mois plus tard. À ce moment-là, tu t’es collé à elle…

 

La place vide

Nathalie : Le bébé jumeau, nommé sans originalité « Bébé Étoile », a toujours gardé sa place dans notre famille. À part la photo de l’échographie et le souvenir de ma réaction à l’annonce d’une grossesse gémellaire, nous n’avons aucun souvenir symbolique de ce petit humain. J’ai donné mes livres au sujet des jumeaux. J’ai donné les pyjamas qui m’avaient servi à annoncer la double surprise à mon mari. Il nous reste l’histoire d’une vie trop courte et invisible.

Il nous reste aussi des histoires dans lesquelles on sent la présence du jumeau perdu. Des inconnus qui nous arrêtaient en s’étonnant que notre nouveau-né dégage une aura si bienfaisante et si puissante. Les nombreuses fois où on s’est fait dire que notre mini bonhomme avait une vieille âme, même avant qu’il parle. Notre fils qui nous dit : « Maman, mon ami Nathan, il est comme mon jumeau. »

Mélanie : Maintenant, il n’y a que le souvenir de toi, bébé jumeau. Ce souvenir du moment où j’ai appris ton existence et ta mort simultanément. Mais tu as laissé quelque chose chez ta sœur. Une empathie démesurée pour une petite fille de sept ans. Une sensibilité hors du commun. Cette sensibilité qui a permis à ta sœur de m’annoncer que j’étais enceinte, avant même que je fasse mon test de grossesse. Cette même sensibilité qui a fait venir ta sœur vers moi un matin en me disant : « Maman, tu n’as plus de bébé dans ton ventre! » avant même les premiers signes de la fausse couche qui allait suivre quelques jours plus tard…

Ce qu’il en reste

Nathalie : On n’a jamais caché l’existence du bébé perdu. Quand mon mari et moi avons démarré notre maison d’édition, on l’a nommée « Quatre et demi » : quatre enfants, plus un qui est à moitié avec nous, à moitié dans un univers parallèle. Chaque 14 juillet, j’ai une pensée silencieuse pour le jour de sa mort-naissance. Il arrive que nos enfants posent quelques questions, mais le deuil est fait. Il restera à savoir si le temps ramènera sa non-présence parmi nous, comme c’est parfois le cas lorsque l’enfant survivant se sent incomplet, cherche à combler le vide en s’inventant un ami presque réel, se sent coupable d’être celui qui reste, même en étant inconscient du lien avec son histoire intra-utérine.

Mélanie : Il n’y a que très peu de personnes au courant qu’il y a eu cette grossesse multiple. Plusieurs parents de jumeaux m’ont dit que ma fille avait un comportement de jumelle. Cette disparition fait partie d’elle. Elle est restée une petite fille anxieuse, qui a peur de tout, mais surtout de l’abandon. Une petite fille qui a besoin de sa sœur pour faire face à de nouvelles situations. L’absence de ce jumeau fait partie de la vie de Jillian tous les jours, on le sent, on le sait qu’il lui manquera toujours quelque chose. Comme si elle lui tendait la main chaque jour, mais sans qu’il puisse la lui serrer…

http://jumeauxandco.com/grossesse-gemellaire-2/le-syndrome-du-jumeau-perdu/

http://jumeauxandco.com/interviews/conseils-dexperts/devenir-parents-de-jumeaux-quels-impacts-psychologiques/

Première partie : http://www.mafamillemonchaos.ca/on-jase/jumeau-perdu-jumeau-vecu-premiere-partie/

Nathalie Courcy et Mélanie Paradis