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Pour s’entendre il faut s’entendre – Texte: Nancy Pedneault

Jamais je n’aurais pensé qu’un simple bout de tissu pourrait autant changer ma vie. Le masque.

Jamais je n’aurais pensé qu’un simple bout de tissu pourrait autant changer ma vie. Le masque. Essentiel en ces temps de pandémie, je le sais, mais qui empêche les sons de parvenir à mes oreilles déficientes. Et je ne suis pas seule. Au Québec, 25 % de la population vit avec une déficience auditive (source ReQIS).

Être malentendante, ça ne paraît pas. C’est un handicap qui est invisible jusqu’à ce que je te demande de répéter. Et crois-moi, lorsqu’on me parle avec un masque, je fais répéter. Malheureusement, dans une même conversation, il est possible que je te fasse répéter plus d’une fois.

Je sais, c’est vraiment désagréable quand je te demande de répéter. Je sais, je ralentis le processus de communication. Tu as parfois envie de t’impatienter (et ça arrive que tu le fais) mais je t’en prie, résiste.

Pour moi, et pour toutes les personnes malentendantes, le port du masque a rendu notre monde flou. Les sons qui étaient autrefois faibles sont maintenant sourds ou même absents. Les mots que je lisais sur tes lèvres ont complètement disparu.

Parfois, en plus du masque, nous sommes séparés par un Plexiglas. C’est l’horreur ! Je cherche les sous-titres (comme dans ma télé) mais il n’y en a pas.

Je dois vraiment faire un effort pour t’entendre. Je mets toute mon attention pour comprendre les mots déformés qui sortent de ta bouche. S’il y a du bruit ambiant, c’est pire, c’est épuisant. Mon cerveau doit éliminer les sons superflus avant de saisir le message qu’il n’a pas entendu.

Il arrive que ma réponse n’ait ni queue ni tête, car il se peut que j’aie compris tout de travers. C’est que j’essaie, tant bien que mal, de mettre les mots que j’ai entendus ensemble. Je les assemble rapidement selon le contexte et j’essaie de faire une phrase logique. Parfois, je me trompe. Alors, j’ai l’air un peu perdue avec ma réponse hors sujet.

Je dois même t’avouer que parfois, j’évite les situations qui nécessiteront un effort de communication. Des fois, je reste chez moi, dans le silence, avec ma famille qui est habituée à ma surdité.

Désormais, si tu croises quelqu’un qui, comme moi, est malentendant, s’il te plaît, prends le temps qu’il faut et répète un peu plus fort. Essaie de ne pas avoir ce ton impatient que nous entendons trop souvent. Et surtout, rappelle-toi que c’est plus difficile pour nous que pour toi.

Un jour, les masques seront retirés et les mots reviendront sur tes lèvres. Je ne comprendrai pas parfaitement, mais la communication redeviendra plus facile. D’ici là, pour mieux s’entendre, il faudra parler plus fort.

Nancy Pedneault

L’étiquette s’est décollée…

Si vous avez déjà lu mes derniers textes, vous avez compris l’en

Si vous avez déjà lu mes derniers textes, vous avez compris l’enjeu de vivre avec un enfant présentant des retards de développement. Aujourd’hui est un grand jour pour notre famille. Parce qu’aujourd’hui, je vous raconte comment une si petite vie peut changer.

Quand on colle à notre enfant l’étiquette rouge de l’enfant handicapé, on a l’impression qu’elle le suivra toute sa vie, comme une ombre menaçant sa réussite ou son bonheur. On s’inquiète, des jours durant. Puis des mois. Puis des années. Puis, on se fait à l’idée que ce handicap fait partie de lui, et qu’il fait aussi partie de nous.

Après l’opération aux oreilles de notre fille, nous devions attendre cinq longues semaines avant de savoir si l’intervention avait fonctionné. Cinq longues semaines avant de savoir si toute cette épreuve ferait une différence, aussi minime soit ‑elle. Le chirurgien nous avait répété que ça changerait sa vie. On voyait déjà, au quotidien, de grandes différences dans son développement.

On a appris à connaître une petite fille enjouée, prête à découvrir le monde. Une petite fille qui pose maintenant des questions et qui chante sans arrêt. Vraiment sans arrêt. Une petite fille qui court, qui saute, qui tourne, et tout ça sans tomber.

Cinq semaines plus tard, le jour J arrive. On rencontre le chirurgien. Les tympans ont bien cicatrisé, tout semble parfait. On nous réfère en audiologie, pour voir si l’audition de notre fille a changé. Avant l’opération, elle ne pouvait entendre ni chuchotement, ni discussion sereine, ni paroles à travers une foule. Sa surdité était sévère, selon eux. On repasse donc le test… Audition à 100 %. Dans les deux oreilles. Plus de surdité. Du tout. Évaporée, la surdité!

On rencontre ensuite la physiothérapeute qui suit notre fille depuis des années. Parce qu’à neuf mois, on lui avait déjà diagnostiqué un retard moteur. On a vu la physio, et l’ergo, pendant des semaines, des mois et des années. Avant l’opération, notre fille de trois ans n’avait pas les acquis moteurs d’un enfant de 18-24 mois. Plus d’un an de retard. Cinq semaines plus tard, on la réévalue. La physio n’en croit pas ses yeux. Notre fille défie tous les pronostics. Aujourd’hui, on nous annonce qu’elle a les acquis d’un enfant de son âge, et même plus. Son évolution tient du miracle. Fini le retard moteur aussi.

J’ai pleuré. De joie. « Quand on colle à notre enfant l’étiquette rouge de l’enfant handicapé, on a l’impression qu’elle le suivra toute sa vie, comme une ombre menaçant sa réussite ou son bonheur. » Décoller cette étiquette, ça relève du miracle. Et croyez‑moi, quand ce jour arrive enfin, on se sent rempli d’une gratitude infinie.

Aujourd’hui, sa petite vie a changé. Et la nôtre aussi. Je peux rayer de notre calendrier tous les rendez‑vous en physio, en ergo, en audio et alouette! Il reste l’orthophonie. Parce que réapprendre à parler, après trois ans sans entendre totalement, ça prend du temps. Du temps, de l’amour et de la volonté. Et on n’en manque pas!

Mais aujourd’hui, des spécialistes ont retiré l’étiquette « enfant handicapé » qu’ils avaient collée sur le front de mon bébé, il y a des années. Et je pleure. De joie. C’est le premier jour de sa nouvelle vie.

Joanie Fournier

 

 

Maudit système…

Notre petite dernière ne suit aucune norme. Elle a son propre déve

Notre petite dernière ne suit aucune norme. Elle a son propre développement et elle a décidé, le jour de sa naissance, qu’elle ne ferait jamais rien comme les autres. Je pense que c’est sa philosophie de vie… Et si on parlait un peu du système ?

Déjà bébé, on se doutait qu’elle n’entendait pas tout ce qu’on lui disait… À neuf mois, son pédiatre recommande un test d’audition et l’envoie sur la liste d’attente. Il nous dit que les audiologistes devraient nous appeler rapidement.

À un an, comme rien n’a bougé, il nous réfère en orthophonie pour elle. Je me dis que c’est peut-être exagéré d’envoyer un bébé d’un an en orthophonie, mais son pédiatre m’explique qu’il y a des années d’attente. En attendant que le téléphone sonne, nous sommes allés chercher un diagnostic au privé.

« Atteinte sévère à la communication » selon l’orthophoniste et « retard moteur significatif » selon l’ergothérapeute. Aucune cause n’est plausible… Personne ne comprend pourquoi elle ne parle pas ni pourquoi elle prend du retard…

À ses deux ans, toujours pas d’appel. Son pédiatre insiste pour vérifier et on nous apprend que sa requête a été perdue… On a attendu quinze mois pour rien ! Ils nous remettent sur la liste d’attente.

On veut que notre fille ait tout de même les suivis dont elle a besoin, donc on continue de voir tous les spécialistes au privé. Orthophoniste aux deux mois. Physiothérapeute aux trois semaines. Ophtalmologiste aux six mois. On se dit qu’au moins, en attendant que le système public la prenne en charge, on pourra lui offrir des outils pour l’aider au quotidien.

Plusieurs mois plus tard, toujours aucun appel. On consulte un audiologiste au privé, qui nous explique qu’il est impossible dans notre région de faire les tests auditifs complets avant trois ans… Il appelle à l’hôpital et demande à nous mettre sur la liste d’attente « prioritaire ».

Le jour de son troisième anniversaire, un audiologiste de l’hôpital nous appelle enfin. Deux jours plus tard, les résultats du test auditif confirment une « grosse surdité ». Elle n’a jamais fait d’otite ; pourtant, elle a beaucoup de liquide qui bloque les sons derrière ses tympans. L’audiologiste nous fait monter à l’étage de l’otorhinolaryngologiste. L’« ORL » pour les intimes. Il a eu le temps de lire le dossier et rencontre notre fille. Il est étonné qu’une enfant ayant une surdité comme la sienne soit aussi réactive. Selon lui, avec une telle surdité, les enfants sont habituellement complètement refermés sur eux‑mêmes. Notre fille, elle, se tourne vers lui, lui sourit et chantonne… Il planifie une chirurgie le plus rapidement possible.

Le jour de la chirurgie arrive. Elle entre au bloc, souriante. On lui pose des tubes et retire les adénoïdes. C’est une chirurgie anodine, fréquente, voire banale. Tellement d’enfants se font poser des tubes !

Le système public prend enfin la relève. Les orthophonistes la rencontrent à l’hôpital aussi. Des femmes professionnelles, bien sympathiques, mais il y a un gros hic… Au privé, nous avions des suivis individuels, qui répondaient parfaitement aux besoins de notre fille, et qui, en plus, donnaient de très bons résultats. À l’hôpital, on nous présente des suivis de groupe, qui ne donnent clairement pas les résultats escomptés… Tout le monde est très gentil et rempli de bonne foi, mais la réalité du système public nous désenchante rapidement. Deux orthophonistes tentent d’observer les enfants et d’outiller leurs parents, à travers leurs horaires surchargés.

On nous a offert quatre rencontres. De groupe. À la suite de ces rencontres, on nous a simplement dit de rappeler dans six mois si on pensait encore en avoir besoin… Qu’est‑ce que c’est que ce service ? Aucun outil concret, aucun jeu, aucun conseil utile. Simplement quatre périodes et au cours de celles-ci, aucun suivi concret ou individualisé pour notre fille… C’est tout simplement aberrant.

J’ai compris qu’il y avait des cas plus urgents que nous. J’ai compris qu’ils manquaient de temps, de personnel et de ressources. Honnêtement, j’aurais préféré qu’on soit honnêtes avec nous et qu’on nous dise d’emblée qu’il était préférable d’aller au privé. Au lieu de cela, nous avons perdu notre temps à attendre un service qui ne sera jamais à la hauteur…

Mes mots sont durs, peut-être choquants. Mais la vérité, c’est qu’une petite fille de trois ans commence à peine à parler, et que ses seuls progrès sont dus à l’acharnement de ses parents et aux efforts des orthophonistes au privé. Si nous avions tout bonnement attendu que le téléphone sonne, elle aurait fêté son troisième anniversaire dans un monde rempli de silence et de solitude…

Nous comprenons aujourd’hui que c’est le système privé qui pourra nous épauler. « Tant mieux si vous avez les moyens ! », vous pensez. Eh bien non. Notre salaire familial est minimal, mais nous établissons des priorités. Plusieurs emplois, de plus grosses semaines de travail, aucune vacance depuis des années… Mais nous offrirons à notre enfant les meilleurs services possible. Nous n’attendrons pas qu’elle vive des échecs à l’école pour aller chercher de l’aide. Il est encore temps de rattraper son retard et c’est notre devoir d’aller chercher tous les outils pour l’aider.

Et vous ? Quelles ont été vos expériences avec les professionnels au privé et au public ?

Joanie Fournier

 

Deux petits tubes qui changent une vie…

Le jour de la chirurgie arrive. Notre fille, du haut de ses trois an

Le jour de la chirurgie arrive. Notre fille, du haut de ses trois ans, entre au bloc, souriante. Aujourd’hui, on lui pose des tubes et on retire les adénoïdes. C’est une chirurgie anodine, fréquente, voire banale. Tellement d’enfants se font poser des tubes ! Mais ça reste une anesthésie générale, et ce n’est pas une mince affaire. Après la chirurgie, les infirmières la transportent, encore inconsciente, jusque dans la salle de réveil.

Assise dans le corridor, j’ai regardé mon si petit bébé passer sur sa civière. Sans aucun signe de vie. Mon cœur n’a fait qu’un bond pour tenter de la rejoindre. Il a cessé de battre en la voyant inconsciente. Je ne pensais pas que cette image allait me hanter à ce point. Ma tête savait qu’elle n’était qu’endormie, mais j’avais l’impression qu’on m’arrachait le cœur.

Dans la salle de réveil, le chirurgien vient nous voir. Tout s’est bien passé. Elle va bientôt se réveiller. Il veut quand même nous expliquer que le liquide derrière son tympan était exceptionnellement épais. Il s’étonne que ça ne se soit jamais infecté. Il nous dit : « Cette intervention‑là va changer sa vie. » Je ne mesurais pas l’ampleur de ces mots sur le coup… J’avais trop hâte de serrer ma fille dans mes bras…

Quelques heures plus tard, elle obtenait son congé de l’hôpital… et sa vie avait changé. Je l’ai compris dès que je l’ai posée sur le sol, dehors. Elle regardait ses pieds, en tapotant le sol avec. Elle marchait solidement, d’un aplomb qu’elle n’avait jamais eu. Elle ne titubait pas et ne trébuchait plus sur ses propres pieds. « Cette intervention‑là va changer sa vie. » Maintenant, je comprenais ce que le chirurgien tentait de m’expliquer, alors que je ne pensais qu’au réveil de ma fille. Notre petite fille, depuis trois ans, n’entendait pas. Elle percevait certains sons, surtout les plus forts. Elle n’avait aucun équilibre non plus. Aucun spécialiste ne comprenait d’où ça venait.

Et là, tout bonnement, les mots du médecin prennent un tout nouveau sens. « Cette intervention‑là va changer sa vie. » La voix du chirurgien résonne encore dans ma tête. Ma fille me regarde, debout dans le stationnement. Elle fige sur place, les yeux grands ouverts, et me dit : « Maman ? C’est quoi ça ? » Je m’arrête sec. Tout d’abord parce qu’elle ne m’avait jamais posé une question, même aussi simple soit ‑elle. Mais surtout, je m’arrête parce que je veux prendre le temps de redécouvrir ce nouveau monde avec elle. Je m’agenouille à sa hauteur et tends l’oreille. Au loin, on entendait un seul son : le croassement d’un corbeau. Et je lui dis : « C’est un corbeau, Mélina. » Et tout naturellement, elle répète en prenant ma main : « Un corbeau, maman. » « Cette intervention‑là va changer sa vie… »

Ce jour‑là, on a roulé en silence jusqu’à la maison. Pas de radio dans l’auto. Juste les fenêtres baissées. Le vrombissement du moteur. Un chien qui aboie au loin. Une sirène de police. Un bébé qui pleure. Une nouvelle vie, remplie de sons qu’elle n’avait jamais entendus… Cette intervention‑là a changé sa vie.

Dans sa nouvelle vie, elle entend ses sœurs rire. Elle entend sa chanson préférée. Elle chante et danse sans arrêt. Et surtout, elle m’entend lui dire que je l’aime quand je la couche dans son lit le soir…

« Bonne nuit mon cœur, je t’aime. »

Joanie Fournier