« Ouais, mais toi, tu es forte. »
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« Ouais, mais toi, tu es forte. »
C’est ce qu’on a toujours dit de moi, mais surtout, c’est ce que j’ai toujours dit de moi.
Je me pensais forte parce que j’ai toujours été une personne travaillante.
Je me pensais forte parce que j’étais à l’écoute, toujours là pour aider mes amis et pour les faire sourire avec tout plein de petites attentions.
Je me pensais forte parce que j’ai toujours eu beaucoup d’énergie, parce ce que je suis la fille aux mille projets, parce que je fonce.
Je me pensais forte, ou plutôt, je m’imposais de l’être.
Mais il y a eu ce jour d’octobre, où je me suis sentie réellement forte et où j’ai compris que je l’étais réellement.
Ce jour-là, j’ai compris que je touchais le fond.
Ça faisait des mois que j’encaissais les coups, mais que je me relevais parce que je n’avais pas le droit de tomber trop longtemps. Je ne m’en donnais pas le droit. Je ne parlerai pas de ce qui m’a menée là, parce que ça peut être de petites comme de grandes choses qui font qu’on touche le fond, un jour ou l’autre. Je ne parlerai pas des grossesses difficiles, du harcèlement psychologique au travail, des bobos de mes bébés, de la maladie de belle‑maman, etc. Ça serait long pour rien.
Je vais seulement parler de ce jour-là, car il restera à jamais gravé dans ma mémoire.
C’était un dimanche d’octobre, en 2012. Mon bébé pleurait, encore et encore. Il souffrait, le pauvre. Ma grande fille de dix‑huit mois dormait.
Depuis beaucoup trop de jours, je perdais souvent patience. Je n’étais pas bien, je n’allais pas bien. J’étais fatiguée, mais c’était plus que ça. Je n’étais plus moi-même. Moi, une si bonne maman aux yeux de tous. Moi, toujours pleine d’énergie. Moi qui arrivais toujours à tout gérer seule. Moi… J’étais qui, moi?
Ce jour-là, c’en fut trop.
Le bébé a pleuré, comme toujours, quand je l’ai déposé.
Et moi, j’ai crié.
J’ai couru à la salle de bain, le souffle coupé.
J’ai encore crié à en avoir mal à la gorge et au ventre.
Et je suis tombée. Littéralement, je me suis effondrée, sans vouloir me relever.
Puis, une grande porte s’est ouverte en moi et les larmes ont commencé à tranquillement se déverser.
Et c’est vite devenu violent.
J’ai pris place dans le plus petit recoin possible, entre la toilette et un muret, et j’ai laissé brutalement sortir les larmes et tout ce qu’elles pouvaient contenir en elles, en moi.
J’ai crié et ordonné à mon mari de me laisser tranquille lorsqu’il a voulu venir me réconforter.
À ce moment précis, ce dont j’avais besoin, c’était d’avoir mal. La douleur contenue dans chaque sanglot était si intense, si vive, si vraie. Ça faisait mal, mais ça faisait tellement de bien.
Laisser sortir, me donner le droit « d’être ».
Simplement, à ce moment-là, être une femme et une maman imparfaite, qui est fatiguée, qui a mal, qui a trop accumulé.
Deux ou trois heures plus tard, je ne sais plus, la douleur a fini par doucement s’estomper pour laisser place à une grande fatigue et surtout, une grande lucidité.
Ça n’allait pas. Pas du tout.
Ce jour-là, incapable de parler, j’ai écrit à mes amies les plus proches ainsi qu’à mon frère.
Je leur ai clairement dit que j’allais avoir besoin d’eux.
Ne s’en est pas suivie une longue dépression par la suite. Non. L’histoire s’arrête presque là. Décevant comme texte, hein? Mais ce ne fut pas facile pour autant. Je ne parlerai pas de la maladie et des malchances qui ont suivi. De la conciliation travail-famille-école qui m’étourdissait. Du troisième bébé avec ses bobos bien à lui. De la mort. Des troubles sensoriels et anxieux d’un de mes enfants. Ça serait long pour rien.
Mais il reste que cette porte qui s’est ouvert ce jour d’octobre, elle ne s’est jamais complètement refermée.
Et je ne la fermerai jamais.
Grâce à elle, je sais qu’en un simple petit coup de vent, tout peut basculer.
Grâce à elle, j’ai compris que ce n’est pas en la gardant fermée et barrée à clé que je suis la plus forte. Au contraire.
Je suis forte quand j’admets mes faiblesses, quand j’admets que j’ai besoin d’une pause, quand j’admets que je ne suis pas parfaite.
Je suis forte et j’ai de droit de simplement « être ».
Je suis peut-être forte, mais je ne suis pas invincible.
Ma vie a un peu changé, ce jour-là, quand je l’ai compris.
Caroline Gauthier