Wo! Les préjugés!
Vous savez, la vieille blague sur les fonctionnaires qui dorment au bureau ? Ou celle sur les policiers mangeurs de beignes ? Que vous soyez coiffeur, infirmier, enseignant, fleuriste, chiro… il y a des préjugés qui circulent par la bouche de gens mal informés. Et ces préjugés ont la couenne dure !
Quand j’étais étudiante en littérature, on me voyait comme une pelleteuse de nuages. J’étais boursière, donc je me faisais vivre par le gouvernement pour… rien. Parce que la littérature, c’est rien, voyons ! Aucune utilité !
Quand je suis devenue enseignante à l’université, je suis devenue la snob, la péteuse de broue. Autour de moi, les gens s’étonnaient que je ne parle pas en trou de cul de poule. Des personnes m’ont déjà dit : « J’ai failli refuser de te rencontrer parce que j’étais certain que tu te prendrais pour une autre. » Ces personnes étaient surprises que je sois « normale », que je parle normalement, que je m’intéresse à des sujets normaux, que je ne sois pas hautaine, et même que j’aie le sens de l’humour. Comme si en signant un contrat dans une université, on signait un pacte avec le diable des chiants.
Pendant quelques mois, j’étais sans emploi. J’avais passé l’année à courir entre deux emplois à temps plein et simultanés, le cerveau à ON vingt-deux heures par jour, les cernes en dessous du bras, le salaire qui entrait en double. Je recevais des prestations de chômage qui me semblaient nécessaires à la préservation de ma santé et qui, je le savais, étaient temporaires. Malgré mon retour déjà prévu sur le marché du travail, on me faisait sentir comme une moins que rien, une « pas intéressante ». Dans une soirée, les autres invités tournaient les talons dès que je répondais à leur question : « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? »
– Pour l’instant, je suis sans emploi.
Je n’avais même pas le temps de parler d’un projet à venir ou de la façon dont j’occupais mes journées. J’avais la lèpre. On était en plein « faire », bien loin de l’être…
Puis, je suis devenue fonctionnaire. Au fédéral, en plus. Ça, dans l’opinion populaire, c’est une coche pire que « juste » fonctionnaire. C’est connu, pour faire avancer le pays, ça prend juste des paresseux, des incompétents, des personnes qui passent leur journée à regarder YouTube ou à boire du café. Des commentaires, j’en ai reçu, j’en reçois encore, malgré mes protestations. Un fonctionnaire, quand ça prend un congé, c’est payé à ne rien faire. Un fonctionnaire, quand ça prend deux heures pour célébrer Noël, c’est gras dur. Même si ledit fonctionnaire paie son propre repas, son propre taxi pour se rendre à l’activité pour laquelle il a payé sa propre inscription. Et un fonctionnaire, quand ça travaille, ça fait juste semblant. À la limite, ça tape sur un clavier pour se donner bonne conscience. Des pousseux de crayon. Invisible, tant qu’à y être.
Vous voulez connaître mon opinion là-dessus ? La voici.
Qu’on soit fonctionnaire, électricien, médecin, camionneur, ingénieur, parent au foyer ou étudiant, on peut être paresseux, ou dynamique, ou motivé, ou travaillant, ou profiteur, ou honnête, ou workoholique. On peut être désagréable avec nos collègues ou sympathique. On peut faire des heures supplémentaires ou prendre des pauses exagérément longues. On peut changer le monde ou s’asseoir sur son steak. On peut être un atout pour la société grâce à notre bon travail ou un poids à cause de notre mauvais travail.
Ce qui définit une profession, ce ne sont pas les préjugés qui circulent et qui font de la peine aux travailleurs fiers de leur métier. Ce qui définit une profession, ce sont les personnes qui exercent ce métier. Au lieu d’être aveuglé par l’image que vous avez des éducatrices en garderie ou des plombiers, regardez le travail qu’ils font vraiment, regardez leurs yeux qui brillent, écoutez leur fierté. Regardez à quel point leur travail améliore et parfois même change la vie de plusieurs.
Si on attend longtemps à l’urgence, ce n’est pas à cause d’un médecin ou d’une infirmière qui dort sur la switch. Si le format du bulletin de nos enfants a des lettres au lieu des pourcentages et que ça ne fait pas notre affaire, ça ne sert à rien de s’attaquer aux profs. Si les constructeurs de maisons tapent du marteau trop tôt dans notre quartier, ce n’est pas parce qu’ils veulent nous faire suer.
J’ai la chance de travailler avec des gens d’une cinquantaine de métiers différents et qui proviennent de partout au Canada. Je peux vous dire qu’il y a des bons travailleurs dans tous les domaines, comme il y en a des mauvais. Faque… est-ce qu’on peut s’entendre pour dire un gros « À bas le racisme de profession » ? Au lieu de juger votre beau-frère parce qu’il travaille chez Postes Canada ou votre sœur parce qu’elle est comptable, ou plutôt que de juger votre cousine qui accumule les congés de maternité ou votre mère qui a pris une retraite méritée, vous pourriez peut-être vous intéresser à ce qu’ils font réellement de leurs journées. Et surtout, à ce qu’ils sont.
Nathalie Courcy