Deux heures pour moi

On a déménagé cet été. On a fait des boîtes pendant des mois. Tous les soirs, tous les congés. En arrivant dans la nouvelle maison, il fallait faire plusieurs travaux. Puis redéfaire des boîtes. Puis préparer la rentrée scolaire. Bref, ça fait trois mois que nous sommes dans notre nouvelle maison, et on commence tout juste à s’y poser réellement.

Lundi arrive, je regarde mon agenda. Je prévois les rendez-vous, prépare les réunions et fais ma traditionnelle to-do list pour la semaine. Et je remarque quelque chose de vraiment inhabituel. Vendredi après-midi. Il n’y a rien à mon horaire. Je vérifie et contrevérifie. C’est bien vrai. De 13 h à 15 h, je n’ai rien de prévu. Rien.

Pour plusieurs d’entre vous, c’est peut-être une chose habituelle. Mais pour moi, c’est juste l’équivalent de la veille de Noël. Faut le prendre quand ça passe, pis j’ai le goût de me gâter. Je réalise que ça fait plusieurs mois que je n’ai pas eu une petite minute pour moi. Je ne suis pas le genre de personne qui s’arrête facilement, disons‑le. Mais là, j’ai deux heures à moi, juste à moi.

Pis ça m’excite! Je pense à tout ce que j’aimerais faire… Je m’emporte à rêver à toutes les petites activités qui me rendaient heureuse, avant ma vie de maman. Qu’est-ce que je pourrais bien faire de tout ce temps? Aller magasiner? Monter à cheval? Prendre un bon bain moussant? Aller dîner avec une amie? Faire une vraie sieste? Les possibilités sont infinies. J’te jure, je suis tellement excitée qu’on dirait que je vais monter le Kilimandjaro. T’sais, quand c’est rendu que deux petites heures pour moi représentent une épopée risquée!

Vendredi arrive. Midi sonne. Je pense encore à ce que je vais faire. Et je pense à tout ce que je ne ferai pas. Pas de vaisselle. Pas de visite ni de bénévolat. Pas de ménage. Surtout, pas de pliage de linge. Pas de correction d’examens. Non, madame. Et surtout, pas de culpabilité.

J’ai pris mes deux petites heures pour moi, et on est allées faire un tour ensemble. Je suis allée manger dans un restaurant que j’adore, et que je ne me permets pas souvent. Je suis allée m’acheter deux paires de bottes. Pas une, deux. C’est la première fois que je m’achète quelque chose pour moi depuis environ cinq ans. J’te jure, je porte encore mes bobettes de maternité. Honte à moi…

Et là, j’entends déjà plusieurs mamans qui seront outrées de ces quelques lignes et qui prôneront le temps pour soi. Mais honnêtement, un p’tit après-midi une ou deux fois par année, j’ai juste pas besoin de plus que ça. Je ne pars pas en voyage dans le Sud, sans mes enfants. Je préfère voir leurs yeux s’émerveiller chaque fois qu’on va à l’aquarium. Je ne vais pas au gym. Je préfère aller courir avec les enfants au parc. Je préfère nettement une soirée de film collée avec mes enfants qu’une soirée où je dois endurer des talons hauts. Je suis peut-être mal faite, mais j’adore ma vie de maman. Et non, je n’ai pas besoin de m’en évader.

À 15 h pile, j’étais debout devant l’école de mes enfants quand la cloche a sonné. Parce que j’aurais pu prolonger mon séjour de congé, mais que j’avais trop hâte de les retrouver. Ma grande fille a vu mes nouvelles bottes dans l’auto. Je vous le jure, elle m’a dit : « Wow! Elles sont trop belles tes nouvelles bottes, maman! T’as bien fait de te faire plaisir! » Et son sourire m’a fait encore plus plaisir que ma nouvelle paire de bottes elle‑même.

Je pense que c’est aussi ça, la vie de maman. C’est rêver d’avoir une minute pour soi, pour ensuite passer cette minute à penser à nos enfants. Parce que dans dix ou quinze ans, les enfants auront quitté la maison. Je pourrai m’acheter toutes les bottes que je veux et prendre tous les après-midis pour moi. Mais je ne pourrai jamais revenir en arrière. Si je ne profite pas de mes enfants maintenant, il sera trop tard. Je ne veux rien manquer de leur enfance. Et je veux que mon amour et ma présence marquent leurs souvenirs. Parce que plus tard, ils ne se rappelleront pas mes nouvelles bottes. Mais ils se rappelleront leur maman qui les attendait devant l’école quand la cloche sonnait.

Joanie Fournier

 



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