Tu ne seras jamais papa – Texte: Kim Boisvert
Ça fait étrange à écrire, parce que depuis que je te connais, j’ai toujours cru que tu serais un papa exemplaire. Le genre de papa qui joue par terre avec son fils ou qui écoute les vidéos sur YouTube pour savoir comment faire une couette à sa fille. Tu sais, le genre de papa qui prendrait le temps de tout lâcher juste pour essayer de deviner ce qui est dessiné sur le bout de napperon du resto. Le genre de papa qui montrerait à son fils comment conserver sa gang de chums tout en honorant sa femme, et qui enseignerait à sa fille à ne jamais se laisser traiter comme si elle n’était pas au moins égale à ses confrères à l’atout externe. Le genre de papa qui aimerait prendre des selfies d’été dans le monde avec sa petite famille, sa femme à ses côtés, tenant un enfant sur une hanche et tenant l’autre sur ses épaules. Tu ferais probablement des crêpes en forme de dinosaure pendant que ta femme dormirait le samedi matin parce que t’sais, toi, te lever pour voir leur bouille, ça ne te ferait pas un pli. Et ça te rendrait heureux que ta douce dorme un peu. T’sais, un papa cool, honnête et présent.
Tu ne seras jamais papa, pas parce que ton corps ne le permet pas, c’est ta douce moitié qui a dit non. Et comme elle était là avant, et bien tu te dis que ce serait bête de balancer ces dizaines d’années de vie commune d’amour pour des petits êtres qui ne sont pas encore là et qui n’arriveront peut-être jamais. Parce que tu sais bien que c’est un non final, tu dois donc t’y faire. C’est ton deuil, votre choix. Un peu plus le sien quand même, mais un choix que t’as accepté, de travers un peu.
On en a souvent parlé, ou du moins on a effleuré le sujet. C’est tellement sensible que je le vois bien dans tes beaux yeux de mâle viril que ce sujet-là te fend l’âme. T’en parles pas souvent, mais le peu de fois où tu le fais, on entend les mots résonner sur une porte qui ne s’ouvrira jamais. C’est moins douloureux d’éviter le sujet et de continuer de jaser de cinéma ou de musique.
Ça me fend le cœur, probablement parce qu’à la base, j’ai toujours dit que j’étais pas prête à avoir des enfants. Et quand le moment est finalement arrivé, la vie m’en a donné trois d’un coup. Qui rira bien, rira le dernier, t’sais. Bien que seulement deux soient restées dans mes entrailles, si ça fonctionnait comme ça, je pense que je t’en offrirais une, de mes poulettes. Quand je t’ai annoncé ma grossesse, j’t’ai vu te décontenancer devant moi et me souhaiter Félicitations avec le plus d’amour dont tu étais capable, le plus de courage et quand même un peu d’envie.
Tu ne serais jamais papa. Et ça me rend tellement triste, parce que dans le monde, des papas comme toi, y’en manque à plein.
Kim Boisvert