Ce soir, je n’ai plus de bébé

Quand un bébé a 18 mois, ça change beaucoup de choses. Parce qu’un poupon, ça a entre 0 et 18 mois. Après ça, ce n’est plus un bébé. Il peut dormir dans un grand lit, manger à la grande table, et faire toutes ces choses que les plus grands font. Et tous les parents savent que cette nuit est bien spéciale…

Lorsque ma première fille a eu 18 mois, j’ai eu un serrement au cœur. Un gros serrement. Je me sentais tout à coup tellement inutile. Elle parlait tellement, donc elle n’avait plus besoin de moi pour s’exprimer, pour s’affirmer. Elle était propre, de jour comme de nuit, donc je n’avais même plus de couche à changer. Elle se développait, toute seule, comme une petite femme en devenir. J’avais tout-à-coup l’impression qu’elle n’avait plus besoin de moi.

Lorsque ma deuxième fille a eu 18 mois, j’ai eu un serrement au cœur. Encore un gros serrement. Elle s’était sevrée seule, quelques mois plus tôt, sans que je ne sois vraiment prête moi-même. En fait, elle évoluait tellement vite que j’avais surtout peur d’en manquer des bouts. Le temps filait à une allure impressionnante et j’arrivais à peine à croire qu’elle était si grande, déjà. Je la voyais tellement minuscule dans son grand lit, toute seule.

Cette nuit, ma troisième fille a 18 mois. Elle dort en ce moment. Elle ne se rend même pas compte qu’elle se réveillera en laissant son titre de bébé derrière elle. Et j’ai un serrement au cœur. Un serrement qui, cette fois-ci, prend toute la place. Je la regarde dormir, si paisiblement, et je me rends compte que j’ai un deuil à faire. Elle sera peut-être mon dernier bébé… Et si c’est le cas, je suis fière d’avoir profité de chaque seconde passée avec elle, avec mon bébé. Je l’ai cajolée, consolée, allaitée, portée, aimée… tellement aimée. J’ai profité de chaque moment, chaque sourire, chaque chanson, chaque câlin…

Ça me fait mal, tellement je l’aime. Mais je sais une chose, c’est que malgré ce serrement au cœur, elle franchit une grande étape. Et jamais, au grand jamais, vous ne m’entendrez dire : « Je voudrais tellement qu’elle arrête de grandir ». J’ai entendu des dizaines de parents répéter ces mots. Ces horribles mots. Je pense à tous ces couples, qui n’auront jamais la chance de devenir parents. Je pense à tous ces parents, qui ont vécu l’ultime perte d’un enfant. Je pense à ces enfants qui n’auront pas la chance de souffler leurs bougies. Et je pense à ces enfants qui ont arrêté de grandir…

Voir mes enfants grandir est le plus beau privilège du monde. Avoir la chance d’être à leurs côtés… Avoir l’honneur de découvrir qui ils sont… Avoir ce serrement au cœur à chaque étape franchie… C’est aussi la preuve qu’ils sont vivants et en santé. Alors mon bébé, cette nuit, dort paisiblement. Je veille sur toi. Tu deviens, cette nuit, une grande fille. Et je te souhaite de grandir, encore et encore. Je te souhaite de découvrir toutes les beautés de ce monde. Je veux te voir courir, tomber et te relever. Je veux te voir découvrir, échouer et apprendre. Je veux te voir aimer, détester et pardonner. Je veux te voir changer, grandir et évoluer.

Ce soir, j’ai un deuil à faire parce que je n’ai plus de bébé. Mais je me réjouirai d’avoir l’honneur d’assister tous les jours au miracle de la vie.



Commentaires