Lâche ta roche
Lâche ta roche; laisse-toi aller dans l’courant. Essaie-le au moins une fois. Une toute petite fois. Tu verras, ça va te plaire.
Aujourd’hui, on est tellement pogné dans notre maladie mentale d’une vie parfaite et surtout d’enfants aux comportements irréprochables, qu’on a souvent l’impression que nous n’avons pas le droit à l’erreur. Comme si le simple fait de relâcher d’un millimètre la pédale de la discipline pourrait transformer nos héritiers en réelles bêtes sanguinaires.
Qui d’entre nous n’a pas déjà pensé : « Moi, si mon gars était aussi impoli, je me dirais que j’ai complètement manqué mon coup avec lui »? Ou encore : « Si ma fille s’habille comme ça à l’adolescence, c’est que je n’aurai pas réussi »? Tout ne repose pas sur les frêles épaules des parents que nous sommes. « Ça prend tout un village pour élever un enfant », disaient certains sages. Et avec raison. On a beau leur inculquer de très belles valeurs, nos flos seront toujours influencés par la garderie, la maternelle, l’école, la télévision, l’Internet, les amis, les ennemis, Spiderman… Tout n’est pas notre faute et tout n’est pas grâce à nous.
Nos parents à nous ne se posaient sûrement pas autant de questions. Ils y allaient d’instinct et ils avaient raison puisqu’être parent, ce n’est pas une science. Mais malheureusement, aujourd’hui, on n’a plus confiance en nous; on a des « spécialistes » qui nous disent comment agir avec nos enfants à Deux filles le matin; on a le dernier livre du plus populaire psychoéducateur sur notre table de chevet; on ne vit que par les principes du Mieux vivre… sans oublier l’avis du pédiatre, de l’éducatrice et de Richard Martineau (qui a sûrement une opinion là-dessus). Si ça se trouve, certaines et certains d’entre vous lisent ce texte parce que vous cherchiez une réponse à une question de parents sur Internet et vous êtes tombés sur Ma Famille, Mon Chaos. Parce qu’on est rendu là : on préfère chercher sur Google plutôt que simplement observer notre enfant, l’écouter, discuter… le comprendre.
Combien de fois se dit-on : « Le p’tit pleure, mais si je le prends dans mes bras, je lui donne l’attention qu’il attend et je ne devrais pas faire ça »? Heille, c’est un enfant! Oui, il peut être en train de manipuler, mais il peut aussi avoir simplement de la peine. De la peine parce qu’il n’arrive pas à saisir ce que vous attendez de lui. Il ne comprend peut-être pas lui-même pourquoi il a fait exprès de renverser son verre de lait. De la peine parce que vous avez crié un peu trop fort. Parce que cinq minutes avant de crier après lui, vous avez crié que chez vous, c’est interdit de crier comme ça. C’est illogique, mais comme vous lui avez aussi demandé de ne plus discuter, il a de la peine parce qu’il trouve ça injuste et pense qu’il n’a pas le droit de le dire. Comment être certain qu’il manipule? Il a peut-être juste de la peine.
Des fois, il faut lâcher notre roche. Il faut se laisser aller dans l’courant. Lâcher nos principes, nos idéaux, nos lectures de chevet, nos psychoéducateurs populaires et nos émissions de service, et se tourner vers celui ou celle qui a véritablement la solution en lui : nous. Avec des enfants, la bonne façon n’existe pas; la vôtre, oui.
À go, on lâche notre roche? Essaie-le au moins une fois. Une toute petite fois. Tu vas voir, ça ne sera pas si pire. Tu vas peut-être même aimer ça. GO!
Hugo Bourque