Le pigeon voyageur – Texte: Solène Dussault

Le pigeon voyageur est un oiseau docile, qui exécute tout ce qu’on lui demande sans poser de questions. Il vole, d’un lieu à un autre, livrant un message dont il ignore le contenu. Cet oiseau fragile mais puissant peut porter l’espoir ou l’amour, la vengeance ou le mépris, mais il n’en sait rien. Il est le messager. Toutefois, il perçoit dans l’œil de celui qui accroche cette missive l’éclat de l’intention et le timbre de voix enflammé.

Tu avais deux ans et demi lorsque j’ai mis la clé dans la porte de ma relation avec ton papa. Je suis partie pour moi, pour me trouver. À ce moment, je me suis fait la promesse suivante : ne jamais me servir de toi comme d’un pigeon voyageur… Lorsque tu avais besoin d’un nouvel habit de neige et de bottes, tu n’as jamais transporté la facture entre deux adresses.

Ton papa et moi nous étions choisis depuis très longtemps. Nous avons été des amis, des complices, des amoureux, des confidents. Nous avons tellement ri et déconné. Nous avons assez cru en l’autre et en nous pour choisir de t’avoir, toi. Je l’ai assez aimé pour qu’il devienne ton papa. J’ai vu en lui un être assez digne pour former une famille. J’ai toujours eu un grand respect pour lui, pour nous. Un jour, la flamme amoureuse s’est éteinte, pour toutes sortes de raisons. Il n’est pas devenu un monstre du jour au lendemain, méritant que je lui déverse tout mon venin. Non, ce n’est pas à toi de faire le pigeon voyageur, de faire le trait d’union entre nous.

Il était primordial que nous continuions de former une équipe. Lui et moi avions ce cadeau inestimable : toi. À nous deux, il fallait se retrousser les manches pour collaborer ensemble à ton éducation, t’inculquer les valeurs qui nous étaient si chères.

C’est pourquoi nous nous sommes retrouvés à l’hôpital un soir, alors que tu étais encore au CPE et que tu avais foncé dans un poteau de balançoire. Il m’a appelée en panique : « Viens tout de suite nous rejoindre à l’urgence, ti lapin ne va pas bien du tout ». S’échanger le lit, à tes côtés, pour te veiller, pendant que l’autre allait prendre une marche pour s’aérer et se convaincre que tout allait bien se passer.

C’est pourquoi nous nous sommes assis l’un à côté de l’autre lors des rencontres de parents, en septembre, dans une classe déjà bondée. Nous tenions à être présents pour ce qui compte vraiment. Nous avons collaboré tous les deux lorsque, après des recommandations de l’école, nous avons pris la décision de débuter une médication pour traiter un TDA.

Ton papa et moi avons toujours pu compter l’un sur l’autre. Les reproches, la hargne, la rancœur n’ont jamais fait partie de nos armes pour détruire l’autre. Qui en aurait le plus souffert ? Toi. Je sais que notre relation de parents séparés est enviable. Lorsque nous avons eu notre dernière discussion ce fameux soir, ton papa m’a dit : « Je t’aime assez pour te laisser partir ».

Notre plus grande richesse, notre appui dans ce monde d’incertitude est que nous savons que grâce à toi, nous sommes liés jusqu’à ta mort ou jusqu’à la nôtre. Si tu n’étais pas là, il y a fort longtemps que nos routes se seraient éloignées, sans jamais se recroiser… À mes yeux, il n’est pas et ne sera jamais mon « ex ». Au contraire, il est présent plus que n’importe quel autre conjoint de passage que j’ai pu avoir, puisque rien ne me reliait à eux. Ton papa n’est pas mon ex, il est mon présent, pour toujours, puisque tu y es…

Oui, il y a plusieurs soirées où tu as pleuré, en demandant « pourquoi » et en nommant toutes tes peurs. Au moins, nous étions deux, dans des maisons différentes, pour nous en parler. Toutes les décisions que nous avons prises étaient pour ton bien-être.

Nous avons continué de signer tes dictées, tes évaluations, chacun de notre côté. C’est lui qui t’a accompagné à chacune des rentrées scolaires, même si ce n’était pas « sa semaine ». Jamais tu n’as été de trop pour nous. Jamais nous ne t’avons donné un rôle qui n’était pas le tien. Si j’ai une fierté dans ma vie, c’est bien celle d’avoir réussi à te préserver de nos tempêtes. Nous avons réglé nos désaccords lorsque tu dormais et que tu ne pouvais nous entendre.

Alors que tu es retourné sur les bancs du secondaire 2, nous avons tenu une rencontre au sommet il y a quelques semaines, papa et sa conjointe, toi et moi. Tous les quatre, assis autour d’une table (il ne manquait qu’une petite bière) à discuter des outils que nous allions te donner pour que ton retour en classe se passe bien et que ton attitude soit plus adéquate dans leur maison. Oui, c’est possible de jaser entre adultes sans s’arracher les cheveux. Trois adultes qui t’aiment et qui veulent ton bonheur sans aucune rancœur pour ce qui est : un couple de parents qui n’a pas poursuivi sa quête ensemble.

Lorsque c’est la fête des Pères, je le remercie pour le soutien qu’il m’apporte et l’amour qu’il t’offre. Il n’y a plus de sentiment amoureux entre nous deux, mais celui de la reconnaissance de l’apport de l’autre. Nous sommes prêts à beaucoup pour te faire évoluer sainement dans une séparation que tu n’as pas choisie. Est-ce qu’il fait comme moi je le ferais ? Non ! Et souvent, ça m’enrage ! Est-ce que je lui tape sur les nerfs parfois ? Sans doute !

J’espère que tu garderas dans ton cœur ce cadeau que nous t’offrons tous les jours, du mieux que nous le pouvons : vivre dans le respect et l’harmonie.

Solène Dussault



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