Mon accouchement, un an plus tard
Un an. C’est le temps dont j’aurai eu besoin pour démêler les émotions ressenties lors de mon deuxième accouchement. Un an pour en venir à la conclusion que je ne me suis sentie ni écoutée, ni respectée, ni considérée.
Pour vous mettre en contexte, toutes les médecins de mon GMF (groupe de médecine familiale) sont ouvertes aux différentes pratiques, se tiennent à jour sur les nouvelles approches et techniques et sont hyper respectueuses.
Pour ma part, il était hors de question d’accoucher sur le dos pour diverses raisons physiologiques qu’une physiothérapeute périnéale pourrait vous expliquer beaucoup mieux que moi. Je tenais à accoucher sur le côté ou à quatre pattes. J’ai pu le faire pour mon plus vieux. Nous avons eu le temps de nous installer, de discuter avec le médecin qui n’y voyait aucun inconvénient, j’ai pu poser toutes mes questions. Ma sœur était avec chéri-mari et moi pour maintenir ma jambe ; en étant couchée sur le côté, une de mes jambes se retrouve « en l’air » et ma sœur s’assurait que la médecin ou l’infirmière ne recevrait pas de coup de pied. Cela a permis à chéri-mari d’être auprès de moi et de pouvoir sortir bébé, de couper le cordon ombilical, de m’annoncer le sexe et de savourer le moment.
J’espérais un accouchement semblable la deuxième fois. Par contre, plusieurs facteurs en ont fait une expérience tout autre. Tout d’abord, je n’ai pas ressenti de contractions comme à mon accouchement précédent. J’avais une pression dans le bassin, au point de ne pas pouvoir m’asseoir le dos droit parce que ça pesait trop pendant les quelques jours précédents.
La nuit même, la pression est devenue très forte et très douloureuse. Mais comme les sensations étaient vraiment différentes de ce que j’avais connu et que je n’avais jamais entendu parler d’un accouchement sans contractions « qui se calculent » ni perte des eaux… eh bien, je ne pensais pas être en train d’accoucher en tant que tel. C’est la perte du bouchon muqueux qui a donné le signal. Nous avions donc attendu lesdites contractions en vain et j’ai dû en avoir à peine cinq ou six au total.
Ceci étant dit, nous nous sommes rendus à l’hôpital de justesse. Il s’est écoulé 29 minutes entre le moment où nous avons poussé la porte d’entrée et la naissance de notre fils deux étages et une aile plus loin.
De plus, pour diverses raisons, il n’y avait pas de médecin de mon GMF de garde ce jour‑là. Je ne savais donc pas sur qui je tomberais, quelle approche il ou elle aurait…
Quand le médecin m’a annoncé qu’il était trop tard pour la péridurale, j’ai paniqué. Sans perte des eaux ni contractions habituelles, j’étais certaine que j’en avais encore pour quelques heures. La douleur était immense, je ne pensais pas pouvoir la tolérer.
Nous nous sommes installés en catastrophe dans la chambre. Ma mère était présente pour tenir ma jambe et chéri-mari pour me soutenir et accueillir bébé. Mais je n’ai pas pu vivre MON accouchement comme je l’entendais.
Lorsque j’ai mentionné à la médecin que je voulais accoucher sur le côté, elle m’a répondu qu’il n’y avait pas de problème. Par contre, elles m’ont installée avec les deux pieds dans les étriers. Je me rappelle très clairement avoir tenté de me tourner sans en être capable. J’ai réalisé plus tard qu’elles me tenaient les pieds dans les étriers pour que je ne puisse pas me retourner.
J’ai accouché les fesses en l’air parce que je tentais de me positionner sans comprendre qu’on m’en empêchait. Lorsque ma mère a voulu s’installer près de moi comme je le désirais, l’infirmière l’a rabrouée sèchement et l’a écartée du lit. Mon bébé sortait dans sa poche. La médecin a crevé les eaux, la tête est instantanément sortie. J’ai ensuite à peine eu le temps de dire que je ne comprenais pas comment pousser dans la position dans laquelle j’étais (les pieds tenus de force, le bassin en l’air), que mon bébé sortait complètement.
J’ai accouché à toute vitesse, sans aucune intervention médicale nécessaire, pas même un point de suture. Ça aurait dû être une belle expérience, mais j’ai accouché dans la peur et l’incompréhension. Une chance que mon accouchement a été « facile » ; quelles autres décisions auraient été prises sans me consulter sinon?
Quand on a déposé mon enfant sur moi, je tremblais, je ne savais pas comment je me sentais. Je n’arrivais pas à me réjouir, à me calmer. Heureusement, ça s’est passé plutôt rapidement. Par contre, mon corps, mon cerveau, ont refoulé mes émotions bien loin pour que je puisse profiter de ces moments magiques.
Je tiens à préciser ici que ces désirs et convictions faisant partie de mon plan de naissance sont importants pour moi dans la mesure où tout se passe bien. Il est certain que si une complication était survenue, j’aurais tout à fait confiance au médecin et j’aurais suivi ses directives sans rouspéter.
Ce qui me choque ici, c’est qu’aucune raison médicale ne justifiait l’attitude du corps médical autre que la paresse. Les médecins et les infirmières ont bêtement décidé de se simplifier la vie.
Mais ce n’était pas elles qui accouchaient, c’était moi. Elles ont profité du fait que je n’étais pas en mesure d’argumenter et de saisir tout ce qui m’arrivait pour faire à leur tête afin d’être plus confortables.
Nous utilisons souvent la phrase « C’est mon corps, c’est moi qui choisis » avec notre fils de trois ans qui la comprend très bien, mais une médecin et une infirmière n’ont pas su respecter ce concept pourtant si simple et évident : c’est mon corps, mon accouchement, c’est moi qui choisis.
En plus de ne pas me respecter, elles ont acquiescé pour ensuite m’empêcher physiquement de bouger. Je n’étais plus libre de mes mouvements. Comme lorsque les femmes n’avaient aucun droit et que leurs opinions et leurs sensations n’étaient pas considérées. Au cœur même de mon propre accouchement, je n’ai pas été considérée. En 2018. J’en suis outrée.
Et je vois venir les commentaires… Chéri-mari aussi était dans l’urgence et dans l’émotion. Lorsque je lui en ai parlé, il n’avait pas du tout vu ça comme ça et y a été très sensible. Je ne peux malheureusement rien faire. Par contre, j’ai déjà discuté avec ma mère et chéri-mari qui s’imposeront et feront respecter mes choix lorsque viendra le temps du troisième accouchement, en espérant tout de même que ce ne sera pas nécessaire.
Jessica Archambault