Le bouquet de fleurs suspect
Le soir de la St-Jean-Baptiste, mes garçons brandissaient fièrement leur drapeau du Québec à un spectacle de Kevin Parent en Outaouais (ha! Nostalgie quand tu nous tiens!) Le samedi suivant, c’est en Italie que nous célébrions la fête du Canada avec nos compatriotes expatriés à Naples. Je croyais vivre un choc culturel ce soir-là alors que mon 9 ans me souriait, les bajoues remplies de mozzarella confectionnée avec du lait de bufflonne (une spécialité de la région) et qu’un crooner italien nous servait sa version up tempo d’O sole mio. Mais évidemment, un plus grand dépaysement m’attendait encore…
Une semaine plus tard jour pour jour, me voilà qui traverse les vignes qui nous séparent de nos voisins, serrant contre moi un coquet bouquet de fleurs que je compte offrir à nos hôtes. La famille qui nous louera une maison pour les trois prochaines années nous a invités à les rejoindre chez le « nonno » (le grand-père) des petites filles. Nos villas sont regroupées au sommet d’une montagne qu’on appelle Monte di Procida. Le paysage est celui de la côte amalfitaine, une paroi escarpée qui plonge dans la mer. Perchés ainsi, nous sommes aux premières loges pour admirer le petit village italien se couvrir lentement d’un voile rosé de coucher de soleil.
Honnêtement, je me sens comme dans un film. Un instant d’émerveillement, gracieuseté d’un réalisateur qui serait dissimulé derrière les oliviers argentés. Mon chum et moi, on se regarde et on se comprend. Tous les deux, on vient d’ajouter mentalement ce moment à la liste de nos plus beaux souvenirs.
Une vingtaine de personnes (frères et sœurs, cousins et cousines, bons amis…) sont regroupées autour de trois longues tables de bois placées bout à bout. Sur chaque table trônent les bouteilles du vin produit par la famille. Nous sommes déjà invités aux vendanges. Quelques lampes suspendues à la pergola nous baignent d’une douce lumière et nous permettent d’apprécier la lune et les étoiles qui apparaissent une à une dans le ciel. Rapidement, nous nous retrouvons entourés d’enfants, attirés par le papier et les crayons de couleur que j’ai apportés. En pointant des éléments de leurs dessins, j’apprends avec plaisir quelques nouveaux mots d’italien : cane, occhi, rosa… L’atmosphère est chaude et détendue jusqu’à ce que les enfants aperçoivent une souris et qu’on sermonne le chat de ne pas accomplir son travail avec diligence. L’atmosphère reste chaude, mais plus fébrile. L’énorme four à pain multiplie les pizzas, toutes plus savoureuses les unes que les autres. Et les moules. Mmmmm! Les moules fraîchement pêchées, cuites dans leur jus épicé… Je me promets de rester plus près du cuisinier la prochaine fois pour découvrir comment préparer des moules aussi savoureuses.
J’espère qu’il y aura une prochaine fois et en même temps, j’apprécie profondément cet instant envoûtant. Je déborde de reconnaissance envers cette famille qui n’avait aucune obligation envers nous. Nous aurions pu vivre trois ans ici, sans jamais être invités à la table d’une famille italienne. Quelle chance nous avons!
Et question de bien graver cette soirée dans leur mémoire à eux aussi, mon moment digne d’un film se transforme tout à coup en comédie au moment du départ. Je n’ai pas encore mis le doigt précisément sur mon faux pas culturel… Est-ce qu’il arrive aux Italiens d’offrir des fleurs aux gens qui les reçoivent à souper? Est-ce le fait que j’ai remis mon bouquet de fleurs à l’homme de la maison au lieu de la femme? Je ne sais pas encore. Mais vers 11 heures, alors qu’on remercie et qu’on dit au revoir, quelqu’un se met à courir derrière moi en criant « Elizabeth, tu oublies tes fleurs! » Le bouquet que j’avais offert à notre hôte à l’arrivée avait été précieusement mis de côté et on voulait maintenant me le remettre. J’ai donc dû me lancer dans une curieuse performance de mime pour essayer de dissiper la confusion entourant le mystérieux bouquet de fleurs. Les rires qui accompagnaient notre sortie m’en disent long sur mes talents de mime…
Elizabeth Gobeil Tremblay