Celles qui savent
Un petit plus sur un bâton. Un cœur qui bat. Une silhouette parfaite sur un écran d’hôpital. Quand on tombe enceinte, pour la toute première fois, on ne le sait peut-être pas encore, mais on se situe entre deux mondes. On est une pas-tout-à-fait-maman. Une maman… qui ne sait pas encore. Parce que quand on met un enfant au monde, là, et seulement là, on bascule du côté de « celles qui savent ». Et tout ce que nous avons pu observer chez les déjà-parents et qui nous semblait étrange jusque-là, tout ça, prend subitement un sens incroyable. Parce que maintenant, on sait.
On sait ce que ça fait d’accoucher. Peu importe la manière. Maintenant, on sait. Parce que même si on avait assisté à des accouchements en personne, et même si on avait lu tous les livres sur le sujet, je vous assure qu’on ne savait pas encore.
On sait qu’il est possible de passer des nuits blanches, des jours et des jours sans dormir… des semaines et des semaines sans dormir… des mois et des mois en carence totale de sommeil. Pas juste parce qu’on doit répondre aux besoins d’un petit être totalement dépendant de nous, mais parfois tout simplement parce qu’on passe des heures en parfaite admiration à regarder ce petit être dormir paisiblement.
On sait que les sujets de conversation qui nous passionnent peuvent parfaitement passer de la couleur d’une selle, à sa consistance et à sa fréquence… Et on sait que parler de caca peut tout à coup nous rendre très fières, oui, sans aucune honte.
Il fut un temps où on s’habillait à la dernière mode des magasins, et où on prenait le temps de se coiffer et de se maquiller au réveil. Et tout à coup, on sait à quel point tout cela est futile. On sait qu’on retire toute la fierté du monde à habiller et à coiffer ce petit être plus que soi-même.
Avant, on pensait qu’une paire de souliers et un sac à main suffisaient pour pouvoir sortir de la maison. Maintenant, on sait que toute sortie est impossible sans une valise contenant un nécessaire de survie, des vêtements pour une semaine et le magasin Costco au complet. J’exagère à peine.
On pensait qu’on savait bien manger. Jusqu’à ce qu’on révise notre guide alimentaire, pour être sûre de donner à notre enfant tout ce qu’il faut. Jusqu’à ce qu’on cuisine des purées, sans sel, sans sucre, et dans l’ordre indiqué sur le guide.
On pensait qu’on connaissait bien la vie et tous les petits trucs du quotidien. Maintenant qu’on a mis un être humain au monde, on sait qu’on ne connaissait rien à la vie. Rien du tout.
On ne savait pas à quel point un sourire pouvait nous faire fondre. On ne savait pas que le rire de notre bébé nous ferait pleurer à coup sûr. On ne savait pas que la Terre arrêterait de tourner et que le temps se figerait lors de ses premiers pas. On ne savait pas qu’un bisou donné de bon cœur, aussi baveux soit-il, pouvait nous inonder d’une émotion si forte.
On pensait qu’on ne se souvenait plus d’aucune chanson. Puis tout à coup, notre cœur se rappelle comment chanter. Il se rappelle comment offrir les mots les plus précieux à notre enfant pendant qu’on le berce le soir.
On ne savait pas ce que c’était l’amour. On pensait qu’on savait. Mais on a appris jusqu’où il était possible d’aimer. On a réappris ce qu’était l’amour et le bonheur.
On a appris que le plus beau cadeau de la Terre, c’était nous-mêmes qui pouvions nous l’offrir. Peu importe les trophées gagnés et les diplômes obtenus, on se couche maintenant le soir en se répétant qu’on a offert au monde la plus belle chose qui soit. On a créé un être humain, et c’est ça, le plus bel accomplissement d’une vie. Parce que maintenant, on sait.
Joanie Fournier