C’est ton histoire

Je te vois patauger dans la détresse, ma grande, et je m’inquiète. Les premières années de l’adolescence, les premières années au secondaire, la quête identitaire, les hormones affolées, l’intimidation, la transition entre le moi-enfant et le moi-pas-encore-adulte, ce n’est pas facile. Et ça prend le temps que ça prend.

Je te regarde aller et je me vois, à ton âge, avec mon désespoir que ne dépassait que mon désir d’en finir. Je n’ai pas quitté la vie, mais j’ai quitté ma vie et ma famille, temporairement. J’ai fui, en courant, en sourdine. Tu sais quel fil m’a retenue sur terre? Je ne voulais pas faire de peine aux gens que j’aimais. J’avais peur de décevoir. J’avais peur de laisser derrière moi plus de mal que celui que je ressentais en dedans.

J’aimerais te dire qu’avec le temps, tout s’est arrangé, que je suis parfaitement et tout le temps heureuse. Mais ce serait un mensonge. Ça me rassurerait de pouvoir te dire ça, de pouvoir t’en convaincre en étant moi-même l’exemple évident que la vie est belle et lumineuse et bienheureuse. Mais encore maintenant, avec toutes mes années de vie adulte derrière la cravate et plusieurs formations en mieux-être sur mon curriculum vitae, je plonge, souvent. Je vois noir même quand je perçois la lumière. Même quand je consacre toute ma volonté à créer de la lumière pour ne jamais la perdre de vue.

Je te vois te battre contre la gravité émotionnelle qui te tire vers les bas-fonds. Je le sais, moi, ce que tu y rencontres quand tu me dis « Maman, ça ne va pas ». J’ai si longtemps et si souvent séjourné dans ces cavernes remplies de mes démons… Je ne peux que te comprendre et t’écouter. Et espérer qu’à force de partager mes outils et mon espoir avec toi, tu vas toi-même construire tes propres outils et ton propre espoir.

Mon vécu m’appartient et je veux m’en servir pour t’épauler dans ton quotidien, mais je dois me souvenir que c’est mon histoire, pas la tienne. Tu as beau me ressembler, tu n’es pas moi et tu ne vis pas la vie comme moi. Je te souhaite que ton histoire s’adoucisse très bientôt et de façon durable.

Te voir sourire, t’entendre rire me fait du bien. Ça me rassure que tu me parles autant, que tu recherches mon affection, que tu te confies à ta meilleure amie, que tu fasses confiance à ta mamie. Tu me rassures quand malgré tout, tu me parles de tes passions, de tes rêves d’avenir, de la carrière que tu souhaites. Mais je ne suis pas dupe. Je sais bien que derrière tes mots ouverts, il y a parfois un cœur renfermé qui n’ose pas dire sa peine de peur de la réveiller. De peur de faire de la peine.

Je ne peux pas te dire que tout ira parfaitement, que le bonheur est juste là à la portée de tes doigts. Mais je peux te dire que le temps avance et toi aussi. Je peux te dire que l’âge ne règle pas tout, mais il dénoue des fils emmêlés dans notre cerveau et libère le cœur. Je peux te dire, ma fille, que je suis là. Et que je comprends ton histoire.

 

Nathalie Courcy



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