La cigarette, tabou des tabous.
Dans la famille de mon enfance, il y a peu de tabous. On peut parler de sexe, de religion, d’argent. Mais le tabac et la fumée de cigarette, ayayaye. Si tu veux en parler ou même juste prononcer le mot « cigarette », attache ta tuque avec de la broche d’acier et arme-toi d’un bouclier blindé. Ça va barder.
Je suis pour la liberté. Tu veux fumer? Tu es un adulte informé? Fume. Tu connais les conséquences possibles. Tu es conscient que fumer peut avoir un impact sur ta santé (les campagnes publicitaires, dont certaines très… comment dire… graphiques! ne laissent personne indifférent). Sur tes proches (ça se peut, oui, qu’ils aient moins le goût de te coller, et peut-être que ça fait ton affaire après tout!). Sur ton travail (quarante heures par semaine, quand tu soustrais toutes les pauses-fumée, ça laisse moins de temps pour être efficace). Et évidemment sur ton portefeuille. À moins d’avoir un champ de tabac à même ta cour et de rouler tes propres clopes, fumer, ça coûte cher en ta. Et tu sais aussi que si tu choisis d’arrêter, des ressources existent et sont accessibles facilement.
Je suis aussi pour la liberté d’expression. Je ne te harcèlerai pas pour que tu arrêtes de fumer. C’est une décision qui doit venir de soi, si elle vient un jour. Si j’avais une baguette magique, c’est assez clair que je ferais disparaître cette dépendance. Mais je n’en ai pas. Tout ce que je peux faire, c’est te dire, une fois dans ma vie, jusqu’à quel point j’ai peur. Oui. J’ai peur.
J’ai peur parce que je te vois mourir à petit feu, au même rythme que ta cigarette raccourcit et que ton paquet se vide. Tu me répondras que de toute façon, on va tous mourir. En effet. Par définition, l’humain est un être mortel. Mais es-tu obligé d’accélérer ta mort? Es-tu obligé de te dépêcher de traverser le fil d’arrivée, et de le passer dans la souffrance d’un cancer des poumons ou de la gorge? Je t’entends tousser sans bon sens. Je te vois chercher ton air. Tu me dis que cette année, la grippe a été dure. L’année passée aussi, et l’autre d’avant tout autant. J’ai peur de te voir te battre avec les infirmières pour pouvoir fumer ta cigarette malgré la machine à oxygène qui te sert de meilleur ami. J’ai peur que par orgueil, tu refuses de consulter à temps et que tu nous caches la vérité : la cigarette a eu raison de toi. Elle, elle finira dans un cendrier et sera remplacée par une autre qui lui ressemblera et qui t’apportera autant de plaisir. Toi, tu finiras dans un lit d’hôpital, puis dans un cercueil, et personne ne pourra te remplacer.
J’ai peur parce que je te vois t’éloigner de moi, de nous. Quand j’ai osé mentionner que mon chum asthmatique était en train d’étouffer et devait sortir sur le balcon à -30 pour pouvoir respirer, on s’est moqué de moi, de lui. « Ben voyons donc, tite nature! » Quand j’ai osé imposer ma limite, dire que dans ma maison, il n’y a pas de cigarettes qui s’allument, tu m’as reniée. Des mois sans me parler, parce que j’avais osé parler.
J’ai peur parce que mes enfants commencent à rouspéter quand c’est le temps de te visiter. Ils t’adorent, mais ils ne comprennent pas cette habitude. Ils n’aiment pas cette odeur qu’on conserve des heures après notre départ. Quand ils me demandent pourquoi tu fumes, je leur dis que c’est un choix que tu fais, que c’est très difficile d’arrêter, que tu dois avoir tes raisons. Je sais qu’ils te retourneront la question, que ça créera un malaise parce que la cigarette, c’est tabou. C’est le « sujet-dont-il-ne-faut-pas-oser-parler ». Mais je ne leur dirai jamais qu’ils n’ont pas le droit d’en parler. Quand ils te disent : « Pourquoi tu fumes? » et que tu leur réponds « C’est mon seul défaut, celui-là, je le garde. », tu passes à côté d’un mot d’amour. Dans le fond, quand on ose affronter le tabou, ce qu’on te dit, c’est « je t’aime ».
Journée mondiale sans tabac 2017: http://www.who.int/campaigns/no-tobacco-day/2017/event/fr/
Québec sans tabac: https://quebecsanstabac.ca/
Santé Canada: http://hc-sc.gc.ca/hc-ps/tobac-tabac/quit-cesser/index-fra.php
Eva Staire