Mes cinquante-trois printemps
Je suis une fille, mais je ne suis plus une jeune fille. Je suis une femme, mais je ne suis plus une jeune femme. Je suis une mère, mais je ne suis plus une jeune mère. J’ai dépassé le cap de la cinquantaine. J’ai cinquante-trois printemps.
Mes enfants sont maintenant de jeunes adultes. J’ai plus de temps libres, mais je ne sais pas toujours quoi en faire. Ils ont moins besoin de moi. Mon plus vieux a même quitté le nid familial. Mes deux plus jeunes ont dix-huit ans et ils travaillent à temps partiel, plus les études, les amis, les sorties, les amours… Je suis en déséquilibre maternel.
Je pourrais enfin profiter de mes temps libres avec mon conjoint, faire des sorties entre amis, partir une fin de semaine en amoureux, concrétiser certains projets… mais mon amoureux est maintenant l’heureux propriétaire de son entreprise, donc beaucoup moins présent et disponible. Je me retrouve plus souvent seule à la maison. J’ai perdu mes repères.
J’ai moins d’énergie lorsque je reviens du travail. Mes batteries sont plus longues à recharger. Mon corps change. Mon corps a changé. Je fais de l’apnée du sommeil depuis cinq ans. J’ai des douleurs aux articulations, j’ai pris du poids et je suis ménopausée. J’ai toujours chaud. La peau de mes mains est plissée. Je n’ai pratiquement aucune ride, puisque je suis bien enrobée. J’ai des cheveux gris, de plus en plus. Mes lunettes sont toujours bien installées sur le bout de mon nez.
Les fossettes que j’avais sur les joues sont maintenant de petits sillons. J’ai des petits points rouges sur la peau qu’on appelle des rubis. De petits poils s’incrustent sur mon menton et je ne les vois pas toujours, car ma vue a baissé.
J’ai besoin de faire une sieste en après-midi. J’aimerais bien faire la grasse matinée aussi, mais dès six heures, mon corps se réveille. Maintenant que je pourrais dormir plus longtemps puisque les enfants sont grands, c’est le contraire qui se produit. Eux dorment jusqu’à onze heures et moi, j’écoute les émissions du matin.
Si j’éternue, je dois croiser mes jambes pour ne pas faire pipi dans ma culotte. Lorsque je ris, c’est pareil.
Ma mémoire me joue aussi des tours. Je cherche plus souvent mes choses, je me questionne sur ce que j’allais faire. J’oublie et je suis facilement déconcentrée.
Si je fais une sortie avec des amis, à dix heures, je tombe de sommeil. Mes enfants, eux, quittent la maison à dix heures pour sortir dans les bars.
Dans mon nouveau milieu de travail, mes collègues sont assez jeunes pour que je sois leur mère. En fait, j’ai l’âge de leur mère. Ouche!
Pourtant quand je pense à moi dans ma tête, j’ai toujours trente ans.
Mais bon! C’est la vie! Je suis contente d’avoir dépassé le cap des cinquante ans. Je me considère choyée de pouvoir me réveiller chaque matin, d’avoir la chance d’ouvrir les yeux. J’ai grandi, vieilli, mûri et compris que c’est dans le cœur que l’on entrepose notre jeunesse et dans la tête que les souvenirs se déposent. Je vais bien trouver une façon de rééquilibrer ma vie. Juste d’en prendre conscience, c’est un début.
Merci la vie!
Line Ferraro