J’avais quinze ans
Pour les uns, j’étais celle qui s’impliquait dans les sports, en littérature, dans les activités et à la bibliothèque scolaire. Pour les autres, ceux qui étaient majoritaires, j’étais simplement, personne.
Heureusement, pour quelques rares, j’étais l’amie, importante et surtout forte à leurs yeux. Cela contrebalançait ces années où j’avais été celle que les plus populaires avaient prise en grippe.
Des insultes, des rires et des moqueries. Des injures et des coups.
Toi qui me lis, si tu savais comme j’avais mal. En dedans, pleine de douleur prisonnière. Je me sentais parfois brûler comme si j’allais céder à une auto-combustion. Mon masque était parfait, tous n’y voyaient que du feu, personne ne regardait au fond de mes yeux.
Le feu qui couvait semblait parfois sur le point de me consumer. Alors je courais. Je frappais de mes poings ce sac suspendu qui recevait ma hargne. Ma colère, ma peur de moi-même, mon enfer.
Alors je courais encore.
Les années précédentes, lorsque le feu frôlait mes lèvres, je courais vers cette amie qui m’est toujours aussi importante aujourd’hui. Mais au moment où mes quinze ans ont sonné, elle n’était pour un temps pas accessible. Je ne savais plus où courir. Vers qui me tourner. Alors j’ai bravé.
Résistant aux règles, je me suis débrouillée pour me perdre. J’ai dormi sous des bancs, dans des lieux que beaucoup ignorent et que moi-même, je préfère oublier. Puisque mon âme avait si mal, je forçais mon corps à endurer plus fort. Je ne comprenais pas toute cette rage, ce vide. J’avais envie de crier autant que de pleurer à la fois. J’aimais et je détestais autant en quelques instants.
Je refusais de lier avec quiconque plus qu’un semblant de sentiments. J’avais un toit qui m’attendait et malgré tout, j’y revenais. Je devais avoir envie de ce que je niais. Un certain après-midi, après avoir reposé le téléphone et retiré cette lame rougie de mon bras, je me suis dit, non, je ne peux pas.
Je ne peux pas laisser ce mal en moi prendre autant de place. Comment accepter de me blesser moi-même de cette façon? Je suis allée me faire refermer comme si je souhaitais coudre à mon âme une envie de vivre. Je suis revenue et j’ai confronté.
Les années ont passé, où la poudre aux yeux je me suis moi-même lancée. Car je continuais de souffrir. Un vide, un mal que je ne comprenais pas. Même aujourd’hui, en totalité, je n’y arrive toujours pas. J’ai eu longtemps cette envie de trépas.
Pourquoi je ne l’ai pas fait ultimement, alors que d’autres s’y ressoudent?
Pourquoi n’ont-ils pas réussi à résister à l’envie d’y rester?
C’est qu’on se résigne, soit à vivre, soit à mourir. Je sais que c’est un choix. Que la destination, qu’importe de quel côté elle va, est difficile à trancher. Je sais que la douleur réussit parfois à effacer toutes les peurs. Mais à d’autres moments, ce sont les peurs qui nous dirigent.
Peur d’échouer
Peur de réussir
Peur de se réveiller
Peur de dormir
La peur est parfois vectrice et à d’autres moments, elle rouvre les cicatrices.
Alors plus que la peur de la mort, s’installe la peur de vivre.
Je crois, pour ma part, que l’envie de mourir n’a jamais été une solution, je la voyais plutôt comme une issue, la seule qui m’attendait. J’ai consulté, un peu. Très peu.
J’ai lu, j’ai écouté. Je me suis vue et enfin acceptée. Mais je sais que pour toujours, je porterai en moi la cicatrice que ses vautours m’ont laissée comme un vice. Je ne flancherai plus, je ne croirai plus en cette issue. Mais je comprends que parfois, certains s’y précipitent. Ceux qui restent en souffrent. L’incompréhension est ce qu’il y a de pire. Le sentiment de culpabilité est profond et destructeur.
Égoïstement, je ne suis pas restée pour eux. Humblement, je vous avouerai ce soir que si je ne suis pas passée de l’autre côté du miroir, ça n’a été que de peu. Mais pour le mieux. J’ai choisi la vie, ma vie. Je vous souhaite tout autant de toujours avoir envie de vivre pleinement. Dans le doute, souvenez-vous : il n’y a pas dans notre vie plus important… que nous.
Simplement, Ghislaine