La poupée torturée

D’humaine, je suis passée à poupée
On n’arrête pas de me crier dessus, me taper, m’insulter
Depuis que je déprime
Je suis une victime
Avec moi, tout le monde veut jouer
À la poupée qu’on aime torturer

Ma fille de onze ans est revenue de l’école en me récitant ce poème qu’elle a écrit pour un cours de français. En l’entendant, je me suis sentie inconfortable. L’estomac serré, le hérisson piquant dans la gorge. La puissance des images sombres : bang ! Que ma cocotte hop-la-vie écrive de tels mots m’a bouleversée : ouf…

-Qu’est-ce qui t’a inspirée ?
-L’intimidation.
Heureusement, je sais qu’elle n’en est pas victime. La dernière fois que quelqu’un a essayé de la niaiser, elle a éclaté de rire et l’histoire a été close. Même le grand jack de 6e année qui terrorisait toute l’école n’avait aucune emprise sur elle quand elle était en 2e année. Elle est la reine du « vivre et laisser vivre » (sauf avec son frère…), donc elle met facilement un mur pare-feu blindé entre ce que les autres lui projettent d’elle et ce qu’elle est.

Comme elle a une admiration sans bornes pour son enseignante, elle suit à la lettre ses conseils concernant l’intimidation : ignorer les gestes et les paroles pour éviter d’accorder de l’attention à l’intimidateur, lui montrer que ses agissements ne nous atteignent pas, utiliser l’humour, changer de sujet, s’entourer de personnes de confiance, et bien sûr s’il y a un risque ou que les agissements se poursuivent dans le temps ou empirent, dénoncer.

Mais quand même, son poème m’a fait réfléchir. Pour nos enfants, pour nos adolescents, l’intimidation fait partie de la vie. Il faut investir du temps en famille et en classe pour la prévenir, l’expliquer, la contrer, la réparer.

Dans mon temps (oui oui… dans les années 80-90…), les intimidateurs existaient. On les appelait « les petits bums » du village. Ou d’autres termes moins polis. Ils volaient ta boîte à lunch, tiraient tes couettes, te menaçaient à la sortie de l’autobus. C’est pas mal le pire que j’aie vu. Souvent, ça se réglait rapidement : une réplique qui revolait, un parent ou un surveillant qui intervenait au bon moment, parfois un coup de poing dans le ventre. On s’excusait et on repartait dans le bon sens. Final bâton. Des fois, il fallait monter le ton, faire les gros yeux, mais ça allait rarement plus loin.

Dans mon temps, les intimidés existaient aussi. Ils n’étaient pas outillés pour réagir à l’intimidation, ils ne savaient même pas ce que c’était. Et pourtant, le mot existe depuis le 16e siècle. Mais on s’entend que Rabelais ne connaissait rien aux subtilités de l’intimidation moderne qui implique souvent l’Internet et les photos douteuses. Les parents, les profs, les travailleurs sociaux : quand on se rendait compte qu’un enfant se faisait taper sur la tomate ou écœurer, tout le monde improvisait. Et il faut le dire, quand venait le temps de soigner l’estime personnelle de cet enfant et de guider l’intimidateur vers de meilleures pratiques, on nageait dans le brouillard. Et l’inaction.

Maintenant dans les écoles, même à la garderie, on parle d’intimidation. On fait signer des contrats aux élèves pour leur faire promettre de ne pas intimider et de dénoncer s’ils sont victimes ou témoins d’intimidation. Les enseignants proposent des jeux de rôle pour que les réflexes des jeunes soient plus aiguisés lorsque vient le temps de montrer de l’assurance, de se défendre, d’aller chercher de l’aide. Des conférenciers sont invités, les directions d’école investissent dans la prévention. Des plans d’action sont prévus dans les cas où une réparation est nécessaire après des comportements inadéquats. Les parents savent de plus en plus qu’ils peuvent dénoncer la violence et les menaces verbales et physiques à la police et à la DPJ dans des cas extrêmes (lire : quand la sécurité d’une personne est compromise ou que les voies prévues pour régler le problème ne donnent pas de résultats).

Tout ça n’est pas toujours suffisant. Les « petits bums » modernes font parfois un ravage qui dépasse l’entendement. Parfois, l’intimidation s’avère mortelle. Elle tue le bien-être, la motivation, le sentiment de sécurité, l’estime personnelle de la victime, et aussi de son entourage. Et si elle n’est pas résolue, elle peut tuer l’être. Point.

Si le Littré définit le fait d’intimider par « Donner de la timidité, de la crainte à quelqu’un », on comprend que de nos jours, l’intimidation est plus vaste et dangereuse qu’avant. Elle a un réel impact sur les petits humains que nous avons mis au monde, mais aussi sur les familles et les écoles, et même dans les milieux de travail. Continuons d’en parler et d’agir, pour que nos petites poupées et nos petits oursons ne se sentent plus torturés.

Nathalie Courcy

 



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