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Je suis une victime. Texte : Arianne Bouchard

C’est comme ça que le système m’appelle. En vrai, je me considère plus comme une survivante,

C’est comme ça que le système m’appelle. En vrai, je me considère plus comme une survivante, parce que c’est ça, j’ai survécu.

J’ai survécu à ses mains robustes, chaudes et rêches sur ma peau. J’ai survécu à toutes ses insultes et à toutes les fois où il me traitait de moins que rien. J’ai survécu à toutes les fois où il m’a fait sentir comme un objet, en me regardant comme un chien baveux devant un steak saignant. J’ai survécu à toutes les fois où il a voulu me faire du mal en s’en prenant à ma famille. Oui, j’ai survécu.

À un certain point, il a failli réussir à me briser. Tellement de fois j’ai souhaité mourir. Tellement de fois j’ai essayé de trouver le courage pour mettre fin à toutes mes souffrances. Tellement de fois j’ai crié à l’aide pour n’entendre que l’écho de ma propre voix. Tellement de fois, j’ai ravalé mes doutes, séché mes larmes et pris mon courage à deux mains pour continuer d’avancer et me battre malgré mon envie d’en finir.

Et maintenant plus encore, j’ai trouvé la force de tourner la page. J’ai donc pris mon courage à deux mains et j’ai porté plainte, contre mon bourreau, ce monstre sans pitié qui m’a tellement pris. Il pensait peut-être m’avoir tout pris, mais il y avait encore en moi les braises ardentes de ma force de caractère, qui m’ont permis de survivre tout ce temps.

Et quand j’ai porté plainte, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas vraiment tourner la page finalement. Le système n’est pas là pour nous aider à aller mieux. Le système n’est pas fait pour les victimes. En fait, les victimes n’ont pas grand rôle au bout du compte, puisque c’est la « Reine » qui poursuit directement et non elles-mêmes. Elles sont seulement la « preuve » que l’accusé est, oui ou non, coupable.

Et puis quand je dis que le système n’est pas en faveur des victimes, c’est aussi parce qu’elles ne choisissent pas leurs alliés. Encore une fois, on choisit pour elles. L’avocat, aussi compétent soit-il, leur est attribué. Elles ne les choisissent pas. Alors, encore une fois, l’accusé part en force avec les meilleurs outils, car lui, il a le pouvoir de choisir. Je trouve que c’est un manque de considération incroyable, à ce stade, d’encore vouloir choisir pour elles. Parce que la plainte, à la base, c’est pour dénoncer justement un vice de consentement, pour un choix qu’elles n’ont pas eu l’opportunité de faire.

De plus, le procès, s’il y en a un au bout du compte, doit se faire dans le district judiciaire où ont eu lieu les évènements. En ce genre de circonstances, on pourrait s’attendre à un minimum de considération pour les victimes, en leur laissant le choix de porter plainte chez elles, avec tous leurs repères, mais non. Si les évènements ont eu lieu à un endroit du passé, il faudra qu’elles prennent leur courage à deux mains pour y faire face, si vraiment, elles souhaitent poursuivre.

L’accusé à la chance d’avoir la présomption d’innocence de son côté, alors que nous, victimes, n’avons pas le droit à la présomption de vérité. Tout ce que l’on dit pourra être retenu contre nous dans le cadre d’un procès. Finalement, c’est comme si on faisait le procès des victimes, puisqu’on reprend toutes leurs dépositions, on les morcelle et on cherche à trouver les failles de leurs témoignages qui pourraient démanteler toute l’accusation. Comme victime, on a l’impression de marcher sur des œufs, tout ce qu’on dit et même tout ce qu’on ne dit pas peut servir à innocenter les monstres de nos cauchemars. Parce que sans trousse de viol, sans preuve matérielle, tout ce qui constitue la preuve, ce sont les témoignages et les preuves circonstancielles. Un fardeau difficile à prouver pour l’accusation.

À certaines étapes du processus, on a l’impression que c’est une vendetta contre les victimes elles-mêmes. Comme si tout le monde se braquait contre elles, pour les faire craquer. À tellement de reprises le système les pousse au bord du gouffre de l’abandon. C’est comme si on accusait les victimes de mentir. C’est comme un double traumatisme. Déjà que leur corps entier et chaque fibre de leur être essaient de les convaincre que ce n’est pas arrivé, que c’est juste un cauchemar… on ne les croit pas.

Et puis il y a aussi le manque de délicatesse de notre système. Je comprends que certaines questions doivent être posées pour établir les faits, mais ce que je ne comprends pas, c’est le raisonnement de certains quand il s’agit de les poser. « As-tu joui ? » NON. On ne va pas là. Et puis même si les victimes avaient, par accident, joui, on n’est plus au Moyen Âge, on le sait que c’est une réaction biologique du corps, qui n’est pas toujours synonyme de plaisir, d’excitation et surtout pas de consentement. Voilà encore une question pour essayer de déstabiliser les victimes, les faire douter d’elles-mêmes et les faire se sentir plus sales qu’elles ne se sentent déjà.

Ensuite, il faut qu’on parle des ressources, parce que bien honnêtement, je pense que notre système, encore une fois, est problématique. Pour recevoir de l’aide, il y a tellement de formulaires à compléter… Laissez-moi vous dire que dans l’état comateux dans lequel se trouvent certaines victimes suite à leur agression, remplir des formulaires, c’est parfois trop demander. Pourrait-on trouver un moyen de faciliter l’accès aux services d’aide sans passer par les douze travaux d’Astérix ?

Et le pire dans tout cela, le plus gros problème selon moi, c’est vraiment une question de délai. Pourquoi est-ce que ce doit être aussi long ? Pourquoi est-ce que les procédures peuvent prendre des années ? Pourquoi est-ce que comme victimes, on nous refuse ce droit légitime de tourner la page ?

Je n’ai hélas aucune réponse à ces questions, mais j’espère que dans l’avenir, le système sera fait en considération des victimes, en arrêtant de les victimiser, pour les aider à réaliser qu’elles ne sont pas des victimes, mais des survivantes.

Arianne Bouchard

La culture du viol, l’ombre de beaucoup de gens — Texte : Eva Staire

La culture du viol. Un terme qui nous colle à la peau même si on n

La culture du viol. Un terme qui nous colle à la peau même si on ne veut pas. Non. Quand on retrouve le mot viol, on s’éloigne. Ce n’est pas nous. Mais sais-tu réellement ce qu’est la culture du viol ? Tu y as probablement déjà pris part, sans trop le savoir. Notre société y contribue. Ton chum y contribue peut-être. Ta mère aussi. Ta sœur. Ton oncle.

La foulée de #metoo a pris d’assaut les réseaux sociaux ces dernières années. Non pas que j’adhère à cette manière de dénoncer les agresseurs, mais j’adhère au mouvement étant donné que notre système de justice est clairement défaillant dans ce domaine. Je ne donne pas raison à toutes les dénonciations. Non. Mais je ne juge pas. Si un homme ou une femme décide de parler de son agresseur et de le balancer publiquement, c’est parce que quelque part, la justice n’a pas été adéquate. Après ça, il faut faire quoi ? Se taire ? Vivre avec ce traumatisme, ces blessures difficiles à cicatriser ? Après tout, nous ne sommes que des victimes, aussi bien continuer à se victimiser et à vivre dans le silence pendant que notre agresseur nie et continue à vivre comme si de rien n’était. Dénoncer, c’est difficile. Beaucoup plus que tu ne peux le croire, si tu ne l’as jamais vécu. Et je te souhaite sincèrement de ne jamais avoir à le vivre. Mais souviens-toi que souvent dans la vie, il faut le vivre pour le comprendre.

Est‑ce que le mouvement conclut que 100 % des dénonciations sont véridiques ? Bien sûr que non. Il y a toujours des exceptions. Mais je le dis : des exceptions.

L’enseignante qui a abusé de son élève est si chaude. L’élève est si chanceux. « Hey, moi dans mon temps, si ma prof avait ressemblé à ça, je ne me serais pas plaint. » Ah non ? Si c’est ta fille de quinze ans qui a des relations sexuelles avec son tuteur de vingt-cinq ans, vas-tu avoir le même discours ? Tu participes activement à la culture du viol ! Tu adhères à un comportement qui banalise et transforme en plaisanteries les agressions sexuelles. Le corps des femmes n’est pas plus un objet destiné à assouvir les besoins des hommes. Pas plus ni moins que celui des hommes. Tes commentaires sexistes sur leur physique et leur habillement créent un climat complètement normatif pour les agresseurs. Comme si quelqu’un de sexy devait être toléré comme abuseur. Comme si une personne plus laide devait absolument être plus « dégueulasse » que le bel homme d’affaires dans son beau complet.

Quand tu te fais pénétrer, toucher, étrangler… contre ton gré, que la personne soit à ton goût ou non n’enlève absolument rien au geste ! Que la personne soit un de tes bons amis, ça non plus, ça n’excuse en rien ses agissements. Même chose si cette personne est ton conjoint ou ta conjointe. Si on ne doit pas porter plainte contre les pères et les mères de famille, les personnalités connues, les gens qui ont un bon métier, que nous reste‑t‑il ? Non, les bandits ne sont pas tous des pauvres. C’est une fausse mentalité.

Souviens-toi surtout que chaque petite phrase, chaque petit mot que tu oses écrire sur une potentielle victime lui fait mal à une puissance extrêmement élevée. Dans les agressions de ce type, la responsabilité de l’agression repose sur la victime. Ce sera toujours sa parole à elle qui sera remise en cause. La victime est un témoin dans son dossier. Personne n’est là pour la défendre, contrairement à l’abuseur. Lui, le système de justice le défend.

La parfaite victime n’existe pas dans le système de justice au Québec. La parfaite victime existe cependant pour chaque agresseur. Et toi qui te permets de juger la personne qui dénonce, tu fais malheureusement partie de la culture du viol. Par tes mots, par tes actions et par ton ignorance.

Rappelle à ton enfant que son corps lui appartient. Apprends à ton enfant à parler, à dénoncer. À analyser. À réfléchir. Jugerais-tu aussi sévèrement ton frère qui s’est fait abuser par ton oncle ? Ta mère qui a subi les sévices de son père, jadis ?

Pense avant d’écrire. Étais-tu là ?

Eva Staire

Gros dégueux ! Texte : Nathalie Courcy

Avertissement : Si vous n’êtes pas prêts à lire ma hargne prof

Avertissement : Si vous n’êtes pas prêts à lire ma hargne profonde envers les gros dégueux, arrêtez tout de suite, parce que ce texte est un déversement assumé de fiel.

Mais qui sont les gros dégueux ? Les abuseurs, les agresseurs, les harceleurs, les violeurs. Ceux (et celles, parce que ça se conjugue aussi au féminin ! Ça fait « grosses dégueuses…) qui s’en prennent aux enfants, aux bébés, aux ados, aux femmes, aux hommes, aux personnes âgées. Parfois même aux chiens, aux chèvres… J’ai même déjà entendu des hommes dire qu’ils se faisaient… par des veaux. Je vous jure.

Vous commencez à comprendre, hein, de quoi je parle? Ça n’a rien à voir avec la grosseur physique du gros dégueux. C’est juste qu’il faut être immensément colons et plein de m… pour faire des choses aussi dégoûtantes et horribles.

Que tu sois militaire, pauvre, curé, femme au foyer, père de famille, vedette, grand frère, ado frustré ou vieillard emmerdé, tu n’as pas d’affaires à toucher les autres sans leur consentement clair. Tu n’as pas le droit de mettre ta main ou ta bite sur eux ou en eux. Tu n’as pas le droit de cruiser avec insistance, de suivre une personne avec tes pieds, ton regard ou une application sur un cellulaire. Tu n’as pas le droit de dénigrer, de détruire l’estime de l’autre et les liens avec son entourage pour devenir son seul porc d’attache. Tu n’as pas le droit de menacer, de forcer, de frapper, d’étrangler, de brûler, d’assassiner. Tu n’as pas le droit de forcer à la prostitution pour faire du cash sur le c… des autres.

C’est interdit, illégal. Tu te retrouveras devant un juge, dans une cellule de prison, peut-être. Tu perdras ton emploi et ta crédibilité, peut-être. Mais chose certaine, ta victime, tes victimes, se retrouveront piégées dans tes griffes et dans un mal-être immense et pénible à guérir. Tu auras beau leur offrir des fleurs, des bijoux ou de la drogue pour leur prouver que tu les aimes les manipuler, ça ne réparera pas les plaies que tu leur fais au corps et à l’âme. Et on le sait, si tu leur offres des fleurs, c’est juste pour leur casser le vase sur la tête par la suite.

Gros dégueux, tu me dégoûtes. Tu m’écœures. Tu me répugnes. Chaque fois que j’entends parler de toi aux nouvelles, j’ai le goût de vomir. Mon corps te rejette. Je ne comprends pas que tu ne sois pas capable de garder tes mains dans tes poches et ta queue dans tes jeans. C’est simple pourtant :

– Veux-tu ?

– Non.

– OK.

That’s it.

Pas d’ostinage, pas de niaisage. Pas de « Envoye donc ! ». Pas de « Je le sais que tu veux… ». Pas de « Si tu me suces pas, ton patron va recevoir des photos de toi et tu vas perdre ta job ». Non. NON ! Si tu n’entends pas OUI, tu ne fais rien, tu t’éclipses et tu laisses tranquille.

Je ne comprends pas non plus pourquoi tu ne te fais pas soigner. La honte, j’imagine. Le manque de conscience ? De lucidité ? Quelque part en dedans de toi, il doit bien y avoir une petite partie qui te dit que c’est mal et malsain de forcer quelqu’un à avoir des contacts sexuels. Il doit bien y avoir une tite lumière rouge sang qui allume quand tu cognes, quand tu étampes dans le mur, quand tu cries. Les vois-tu, les yeux apeurés qui te regardent faire ton power trip ? Le vois-tu, le corps qui se vide de toute présence pendant que tu assouvis tes pulsions animales ? Ça t’excite, de défoncer une poupée de chiffon sans âme ? Vraiment ?

Je vous avais dit, hein, que mon texte serait sans compassion ? En réalité, j’ai de la peine pour ces hommes, ces femmes, qui sont si malheureux et mal dans leur peau qu’ils cherchent désespérément la peau des autres pour se l’approprier. Mais j’ai surtout de la colère et du dégoût envers eux. Envers le système aussi, qui les innocente trop souvent, faute de « preuves hors de tout doute raisonnable ». La parole de l’un contre la parole de l’autre. Les souvenirs brouillés d’une victime traumatisée contre des années de pratique en manipulation de la part du bourreau. Combien de victimes aura-t-il le temps de faire avant d’être forcé à l’introspection ?

Je sais bien que des gros dégueux, il y en a toujours eu, il y en aura toujours (ça m’écœure juste de l’écrire). Je sais aussi qu’on en entend plus parler dans les médias parce que les médias sont partout. Merci #MeToo et autres mouvements de dénonciation. Merci aux victimes qui dénoncent et affrontent ce long parcours du combattant que sont la mise en accusation et le procès. Vous tracez la voie pour d’autres, vous montrez l’exemple, vous aidez à  sensibiliser la population. Peut-être que grâce à vous, quelques gros dégueux sauront aller chercher de l’aide avant de s’en prendre à des personnes innocentes et souvent vulnérables.

On a tous un rôle dans la lutte contre les abus sexuels et la violence. Mon rôle aujourd’hui, c’était d’écrire ce texte et de le signer.

Nathalie Courcy

La faute à qui?

- Allez-vous vraiment attendre qu’elle tue quelqu’un?

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– Allez-vous vraiment attendre qu’elle tue quelqu’un?

– Allez-vous vraiment attendre qu’il mette le feu à l’école?

– Allez-vous vraiment attendre qu’elle la pousse encore dans l’escalier?

– Allez-vous vraiment attendre qu’il la mette enceinte?

 

Ben non, madame…

 

Zéro convaincue. Quand on l’entend, ce « Ben non, madame », que nous reste-t-il à part notre frustration et nos inquiétudes? Vers qui se tourne-t-on? On ne peut tout de même pas devenir criminel à notre tour en kidnappant l’enfant pour le protéger…

Que le « Ben non, madame » vienne d’un médecin, d’une travailleuse sociale, d’un représentant de la DPJ ou d’un témoin, on a tendance à rejeter la faute sur le messager au lieu de remonter jusqu’au vrai coupable. Même les médias s’en mêlent en protégeant l’identité des accusés et en dénonçant le système, avant même que le procès et les preuves remontent à la surface.

Je ne dis pas là que ce système est efficace et qu’il protège vraiment les droits humains. Ce que je dis, c’est que si on cherche les fautifs à la suite d’un drame familial ou social, il ne faudrait pas oublier l’identité des coupables.

Avant même que l’histoire se rende (ou non) aux oreilles de la DPJ, il y a un ou des humains qui ont choisi de vivre dans le déni au lieu de régler leurs problèmes. Eux aussi, ils (se) disent et répètent « Ben non, voyons ». Il n’y a rien là, les autres exagèrent, personne n’est en danger, ça n’arrivera plus, ce n’est pas eux, c’est l’autre. L’autre? La drogue? La fatigue? Le manque d’expérience? L’enfance terrible? Come on. Les fautifs, ce sont ceux qui transforment des innocents en victimes. Ce sont ceux qui réinventent la vérité, la maquillent, la cachent, jusqu’au jour où ils n’ont plus le choix :

– 911? Ma fille ne respire plus.

La petite partira en ambulance ou en corbillard. Les autres avec des menottes aux poignets.

À qui la faute, alors? Ce n’est tout de même pas le médecin, la travailleuse sociale, le représentant de la DPJ ou le témoin qui a tenu l’arme tueuse ou qui a ouvert son pantalon. Ce n’est pas le voisin qui a vu et qui n’a rien dit, ni l’enseignant à qui l’enfant s’est confié et qui n’a pas rempli son devoir citoyen. Ils ont peut-être commis une faute, ou plusieurs. Peut-être aussi avaient-ils, comme vous et moi, une version partielle de l’histoire. C’est si facile de diminuer le drame avant qu’il n’éclate pour vrai! Si facile pour les manipulateurs de faire comme si et de passer pour les gentils de l’histoire. Si facile pour les victimes de ne rien dire parce qu’elles ont peur.

Peut-être aussi que le médecin, la travailleuse sociale, le représentant de la DPJ ou le témoin avait les mains liées par un système social duquel nous faisons tous partie. Vous votez comme moi, n’est-ce pas? Vous avez le droit de signer des pétitions, de manifester, de contacter votre député, de vous présenter aux élections pour défendre vos idées, de faire du bénévolat auprès des familles. Alors vous avez le pouvoir de faire une différence. La faites-vous? Chialer contre les institutions règle rarement les problèmes et sauve rarement des vies si l’action s’éteint après le commentaire hargneux sur Facebook.

Donc, à qui la faute? À lui, à elle, à eux. À ceux qui refusent d’admettre leur faute et leur rôle dans l’histoire, que ce soit le père qui tue, l’oncle qui agresse, la belle-mère qui frappe ou le frère qui menace. Même le jeune qui refuse l’aide dont il a besoin pour se reprendre en main a sa part de responsabilités. S’ils avaient osé dire « coupables », le dénouement de l’histoire aurait sûrement été différent.

À qui la faute? À ceux qui ne se regardent pas dans le miroir. À ceux qui ne se font pas aider avant que ça dérape. À ceux qui mentent, qui brassent, qui agressent, qui frappent, qui violent, qui tuent. À ceux qui enlèvent aux victimes leur pouvoir et leur bonheur. Et trop souvent leur vie. Point.

Nathalie Courcy

 

Quelle évolution?

Aujourd’hui, j’ai lu un article qu’une amie et collaboratrice

Aujourd’hui, j’ai lu un article qu’une amie et collaboratrice a partagé sur son mur Facebook. L’article parlait d’une personne travaillant comme massothérapeute et qui a eu un client… particulier. Un client qui a posé des gestes sur sa propre personne. En fait, il complétait le massage qu’il recevait avec la main sous la couverture, sous la ceinture. Le tout en regardant tout sourire le témoin silencieux de ses frasques.

La personne qui le massait en était consciente, mais n’a rien dit. N’a rien fait. Pourquoi? À cause du malaise, à cause de cette honte qui nous envahit lorsque nous sommes confrontés à ce genre de situation et qu’on se croit «responsable » d’avoir fait, dit ou pas quelque chose qui l’aurait provoquée.

Encore aujourd’hui, en 2018, le malaise face à de tels agissements est toujours aussi présent. La fille sexy qui était fière de son look du vendredi soir a probablement causé consciemment l’abus dont elle n’est plus la victime, mais l’instigatrice. L’homme qui s’est donné le temps de choisir son habillement a bien entendu mis un écriteau sur son pantalon invitant les autres à lui « ramasser » une fesse au passage. Il fait des histoires s’il réagit. Il ne serait forcément pas « homme » s’il venait à s’en plaindre.

Pourquoi l’intrusion d’une tierce personne dans notre intimité nous rend-elle si mal au point où on se tait?

La femme avec un joli décolleté se sent belle et même si oui, elle fait étalage de sa beauté, même si sa chaire est un peu plus exposée, elle ne recherche pas assurément un plongeur pour s’y engouffrer. Nous sommes des êtres humains qui aimons les jolies choses.

Mot clé de ma phrase : «choses». Tout ce que les victimes d’attouchements et plus ne sont PAS.

Arracher un regard approbateur est flatteur. Se faire arracher ce qui nous couvre, ne serait-ce que notre assurance, est un abus. Dans cette ère de body fitness parfait (à mon humble avis un peu excessif), RIEN ne justifie qu’une main s’approprie le bien-être d’autrui.

Un abus est souvent physique, mais parfois, comme ce client qui n’a pas «abusé physiquement» de sa victime (OUI, VICTIME), c’est aussi malaisant et souffrant.

Cette personne dans l’article s’est, pour emprunter ses propres mots, auto-jugée et critiquée :

« J’suis pathétique ».

NON, tu ne l’es pas!

Le pathétique, c’est l’autre. Celui qui s’est permis de te faire sentir «comme une marde». Je comprends ce sentiment pour l’avoir vécu plusieurs fois dans ma vie. Cette culpabilité d’avoir « provoqué». Assurément, l’abuseur n’est pas responsable! Il/elle n’a aucun contrôle sur ses actions, perd complètement tout jugement et son contrôle de lui ou d’elle-même! Ne sommes-nous pas des animaux sans réflexion? (Ironie).

Toi, toi qui as été cette personne qui n’a pas été capable de parler. Ne te sens pas comme si tu n’étais rien. Comme si tu étais coupable d’être la belle personne que tu es. Tu as le DROIT de t’aimer et de te défendre. Ce pouvoir, garde-le, ne le laisse pas à quiconque voulant te l’enlever.

Il peut sembler démesuré d’avoir des réactions spontanées, mais non.

« Bah c’était juste pour rire! »

Qui a ri? Pas toi. Alors, n’oublie pas que tu es digne de respect. Tu n’es pas, et ce, peu importe ce que tu portes, RESPONSABLE. Avec les récentes « sorties» d’abus de toutes sortes dans le monde artistique, il est notoire de dénoncer ses agissements. Mais tu n’as pas besoin d’être connu pour te défendre et pour attaquer ton agresseur/e.

Je suis mère de trois jeunes enfants, dont une fille. Voyez-vous à quel point sont ancrés les principes de « fais pas exprès! »? Depuis sa naissance, j’ai toujours refusé et évité que ma fille porte des vêtements trop «sexués». En contrepartie, j’ai contribué sans m’en apercevoir à lui inculquer inconsciemment que son habillement était directement responsable si, un jour, elle se faisait abuser ou pas.

Pardonne-moi ma puce.

En écrivant ces mots, un frisson me parcourt à l’idée que malgré mon bon vouloir, je SAIS que je vais toujours l’encourager à rester prudente, à respecter certaines limites vestimentaires. Les mêmes que je m’impose parfois, ou pas. Je porte des décolletés, j’aime cela. Comme toute femme, j’aime recevoir des regards approbateurs. Ne nous mentons pas mesdames, nous en sommes toujours flattées et en quelque sorte… fières. Tout comme nous sommes fières d’avoir une coiffure qui nous sied bien. Pourquoi le faisons-nous? Pour nous-mêmes? Pour nous sentir bien? Quel est le réel «bien» dans cette façon de se sentir?

Je me questionne, mais en même temps, je sais. Nous sommes ainsi faites, nous aimons plaire, simplement. Mais réfléchissons quand même de temps en temps à la nécessité de nous dévêtir parfois un peu trop. Pas pour éviter les abus, car même vêtus en habit cravate, certains peuvent nous agresser malgré tout. Mais pour nous-mêmes. Que recherchons-nous réellement?

Notre regard plongé dans le miroir de ceux des autres a-t-il réellement tant d’importance? Je réfléchis ce matin, à partir d’un petit rien qui revêt un aspect de grand tout. Je vais quand même continuer à apprécier de l’être. Mais à vous, les énergumènes qui se croient tout permis. Sachez que vos gestes sont agressants, déstabilisants et surtout, qu’ils laissent une saveur amère en nous, un sentiment lourd à porter et qui est malheureusement bien trop présent dans notre société soi-disant évoluée.

Avoir un regard ou un sourire approbateur n’a rien du regard et du sourire du prédateur. Apprenez à faire la différence. Mais surtout, les victimes, ne vous taisez plus.

Simplement, Ghislaine.

 

Je suis une maman, pas une martyre

Épouse et mère dévouée. Vous trouvez que ça sonne bien?

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Épouse et mère dévouée. Vous trouvez que ça sonne bien?

Avant de répondre, allons vérifier ce que ça signifie, se dévouer… « Se consacrer entièrement à quelqu’un, à quelque chose, se sacrifier. » O.K. Merci Larousse.

Merci, mais… non merci. L’abnégation, très peu pour moi. Il ne m’intéresse pas, le rôle de la mère dévouée qui n’ose pas faire patienter son enfant de l’autre côté d’une porte de salle de bain barrée. J’ai besoin de mon intimité aux toilettes, alors je ferme la porte. Un point, c’est tout.

Si je devais comparer ma famille à un beau gros sapin de Noël… Hé! bien, ce ne serait pas une étoile scintillante qui trônerait à la cime de l’arbre pour être vénérée. Non. La pièce maîtresse serait une glorieuse et fière banderole multicolore affichant : Respect.

Chez nous, cette valeur est non négociable et applicable à tous. Oui, j’ai donné naissance à deux petits bouts d’Hommes que j’adore, mais je n’ai pas renoncé à établir mes limites ni à prendre soin de moi.

Je suis un modèle pour mes enfants, ces minuscules fragments du futur. Seules quelques années me sont données pour influencer leur destin. Lorsque je m’accorde le droit de dire non, j’offre à mes enfants cette même liberté sur un plateau d’argent. Quel cadeau incroyable : le pouvoir sur leur propre vie! Savoir qu’ils n’ont pas à s’enfermer dans des rôles écrits à l’avance. Qu’ils n’ont qu’à faire des choix qui ont du sens pour eux (et à en assumer les conséquences, bien évidemment!)

Très honnêtement, toutes mes décisions parentales sont guidées par cette notion de respect. Je suis constamment à la recherche du précieux équilibre entre mes intérêts et les leurs. C’est la clef qui permet à notre relation de continuer à évoluer de façon harmonieuse. Et bien sûr, j’étends le principe jusqu’à respecter le fait qu’ils ne possèdent pas encore la maturité d’un adulte. Ce n’est pas parce qu’ils ont la capacité de tendre la main vers ce qui leur plaît à l’épicerie qu’ils ont nécessairement ce qu’il faut pour choisir notre souper…

Je pense que cette façon de voir les choses élimine cette espèce d’étiquette de bourreau qu’on colle trop facilement aux enfants. Il ne faut pas se le cacher : les enfants sont les bourreaux parfaits pour qui se cherche une position de victime. La recette est simple : on se soumet à leurs exigences sans fin tout en renonçant à faire valoir nos besoins. Puis on engourdit notre mal‑être d’un grand verre de vin (ou de toute autre béquille) pour supporter l’intolérable sacrifice de la maternité.

Et si au moins ça s’arrêtait là, ce ne serait pas si pire… mais le jeu de la victime et du bourreau, c’est un joyeux pattern où on s’échange les rôles allègrement. La victime se transforme en bourreau et vice versa. C’est peut-être très répandu comme modus operandi… mais ça n’en fait pas un environnement sain pour autant. Oui, on peut toujours se partir un club pour détester la maman de Caillou et son calme légendaire, mais ça n’annulera jamais ce fait : faire preuve de patience envers nos proches, ça reste une bonne idée. Quand l’irritation devient quotidienne, on peut se demander ce qui pousse un parent à tant de colère.

Ça m’arrive, malgré mes grands principes, d’avoir moins de plaisir avec mes enfants et de prendre des airs de maman-dragon. On passe presque toutes nos journées ensemble à faire l’école à la maison. Parfois, on s’enligne sur une mauvaise pente et je m’entends dire, après quelques jours : « Je n’aime pas vous parler comme une gardienne de prison. Et je ne pense pas que vous avez envie de vous sentir surveillés par une policière non plus. Alors je crois qu’il est temps qu’on travaille sur notre relation. » Et c’est comme ça qu’on arrive à se réajuster… C’est aussi ma réponse à cette fameuse question qu’on me pose régulièrement : comment fais-tu pour passer la journée avec tes enfants?

Elizabeth Gobeil Tremblay

La poupée torturée

D’humaine, je suis passée à

D’humaine, je suis passée à poupée
On n’arrête pas de me crier dessus, me taper, m’insulter
Depuis que je déprime
Je suis une victime
Avec moi, tout le monde veut jouer
À la poupée qu’on aime torturer

Ma fille de onze ans est revenue de l’école en me récitant ce poème qu’elle a écrit pour un cours de français. En l’entendant, je me suis sentie inconfortable. L’estomac serré, le hérisson piquant dans la gorge. La puissance des images sombres : bang ! Que ma cocotte hop-la-vie écrive de tels mots m’a bouleversée : ouf…

-Qu’est-ce qui t’a inspirée ?
-L’intimidation.
Heureusement, je sais qu’elle n’en est pas victime. La dernière fois que quelqu’un a essayé de la niaiser, elle a éclaté de rire et l’histoire a été close. Même le grand jack de 6e année qui terrorisait toute l’école n’avait aucune emprise sur elle quand elle était en 2e année. Elle est la reine du « vivre et laisser vivre » (sauf avec son frère…), donc elle met facilement un mur pare-feu blindé entre ce que les autres lui projettent d’elle et ce qu’elle est.

Comme elle a une admiration sans bornes pour son enseignante, elle suit à la lettre ses conseils concernant l’intimidation : ignorer les gestes et les paroles pour éviter d’accorder de l’attention à l’intimidateur, lui montrer que ses agissements ne nous atteignent pas, utiliser l’humour, changer de sujet, s’entourer de personnes de confiance, et bien sûr s’il y a un risque ou que les agissements se poursuivent dans le temps ou empirent, dénoncer.

Mais quand même, son poème m’a fait réfléchir. Pour nos enfants, pour nos adolescents, l’intimidation fait partie de la vie. Il faut investir du temps en famille et en classe pour la prévenir, l’expliquer, la contrer, la réparer.

Dans mon temps (oui oui… dans les années 80-90…), les intimidateurs existaient. On les appelait « les petits bums » du village. Ou d’autres termes moins polis. Ils volaient ta boîte à lunch, tiraient tes couettes, te menaçaient à la sortie de l’autobus. C’est pas mal le pire que j’aie vu. Souvent, ça se réglait rapidement : une réplique qui revolait, un parent ou un surveillant qui intervenait au bon moment, parfois un coup de poing dans le ventre. On s’excusait et on repartait dans le bon sens. Final bâton. Des fois, il fallait monter le ton, faire les gros yeux, mais ça allait rarement plus loin.

Dans mon temps, les intimidés existaient aussi. Ils n’étaient pas outillés pour réagir à l’intimidation, ils ne savaient même pas ce que c’était. Et pourtant, le mot existe depuis le 16e siècle. Mais on s’entend que Rabelais ne connaissait rien aux subtilités de l’intimidation moderne qui implique souvent l’Internet et les photos douteuses. Les parents, les profs, les travailleurs sociaux : quand on se rendait compte qu’un enfant se faisait taper sur la tomate ou écœurer, tout le monde improvisait. Et il faut le dire, quand venait le temps de soigner l’estime personnelle de cet enfant et de guider l’intimidateur vers de meilleures pratiques, on nageait dans le brouillard. Et l’inaction.

Maintenant dans les écoles, même à la garderie, on parle d’intimidation. On fait signer des contrats aux élèves pour leur faire promettre de ne pas intimider et de dénoncer s’ils sont victimes ou témoins d’intimidation. Les enseignants proposent des jeux de rôle pour que les réflexes des jeunes soient plus aiguisés lorsque vient le temps de montrer de l’assurance, de se défendre, d’aller chercher de l’aide. Des conférenciers sont invités, les directions d’école investissent dans la prévention. Des plans d’action sont prévus dans les cas où une réparation est nécessaire après des comportements inadéquats. Les parents savent de plus en plus qu’ils peuvent dénoncer la violence et les menaces verbales et physiques à la police et à la DPJ dans des cas extrêmes (lire : quand la sécurité d’une personne est compromise ou que les voies prévues pour régler le problème ne donnent pas de résultats).

Tout ça n’est pas toujours suffisant. Les « petits bums » modernes font parfois un ravage qui dépasse l’entendement. Parfois, l’intimidation s’avère mortelle. Elle tue le bien-être, la motivation, le sentiment de sécurité, l’estime personnelle de la victime, et aussi de son entourage. Et si elle n’est pas résolue, elle peut tuer l’être. Point.

Si le Littré définit le fait d’intimider par « Donner de la timidité, de la crainte à quelqu’un », on comprend que de nos jours, l’intimidation est plus vaste et dangereuse qu’avant. Elle a un réel impact sur les petits humains que nous avons mis au monde, mais aussi sur les familles et les écoles, et même dans les milieux de travail. Continuons d’en parler et d’agir, pour que nos petites poupées et nos petits oursons ne se sentent plus torturés.

Nathalie Courcy