Le suicide et les enfants

On explique ça comment à un enfant, toute la douleur qui mène au suicide? J’en ai discuté avec ma mini-sœur de douze ans, Layla, qui en avait huit quand notre père s’est enlevé la vie. Je ne me prétends pas spécialiste du deuil chez les enfants, loin de là. Cependant, la famille s’est organisée autour de la plus petite; mon frère, ma sœur et moi avions respectivement 28, 20 et 25 ans (et oui, même papa et même maman, mais c’est une autre (très belle) histoire). Avec notre mère, nous sommes allés chercher les conseils de spécialistes et nous avons surtout fait de notre mieux avec nos propres émotions à gérer et avec les connaissances que nous avions.

Diverses recherches révèlent que les enfants endeuillés par suicide ont plus de chances de faire une tentative dans leur vie. On a beau ne pas se considérer comme une statistique, celle-ci frappe.

Dans ce qui a aidé ma sœur à comprendre, il y a l’explication de la dépression apportée par la psychiatre de l’hôpital qui nous avait accompagnés pour lui apprendre la nouvelle. Ce récit m’avait aussi marquée et je l’ai moi-même repris plusieurs fois. Il n’est probablement plus exactement le même, mais l’essentiel reste :

« Ton papa souffrait de dépression. Tu sais à quoi ressemble une toile d’araignée quand des insectes y sont pris au piège? C’est un peu la même chose, mais elle était invisible. Ton papa était pris dans cette toile qui était froide et triste. Même si tu voulais le consoler, que tu l’aimais beaucoup, ça ne se rendait pas à son cœur parce que la dépression faisait comme un bouclier de froideur et de tristesse autour de son cœur. Ton papa voyait tout ton amour, mais il n’était pas capable de le ressentir. »

Layla m’a dit que cette explication a grandement contribué à sa compréhension de la dépression. Par contre, elle n’arrivait pas à concevoir pourquoi mon père en avait souffert. « Pourquoi lui? » Ça lui a pris plus de temps pour ce bout-là.

Elle a par ailleurs ressenti certaines frustrations et désaccords avec la façon dont nous l’avons accompagnée. Par exemple, la psychiatre nous avait fortement déconseillé d’amener Layla voir le corps de notre père, qui était pourtant présentable. Avec le recul, Layla comprend bien que nous avons suivi les conseils de cette spécialiste, mais elle lui en a voulu longtemps, car elle est convaincue que ça aurait grandement contribué à ce qu’elle réalise et comprenne ce qui arrivait.

Ce n’est pas évident de suivre les recommandations tout en s’adaptant à la réalité de l’enfant qu’on veut aider et accompagner.

Dans ce qui l’a le plus aidée à traverser son deuil, Layla parle de son imaginaire. Elle s’est beaucoup évadée dans ses histoires et ses personnages. Elle raconte encore aujourd’hui que c’est ce qui lui faisait le plus de bien.

Finalement, elle a fait partie d’un groupe pour enfants endeuillés par suicide. Elle en parle encore avec émotions. Elle a adoré son passage dans ce groupe et est convaincue que ce serait très aidant pour d’autres enfants qui vivraient une situation semblable à la sienne. Elle avait notamment réussi à expliquer ses émotions grâce à une série de dessins représentants son cœur. Sur le premier, le cœur était complètement brisé. Au fil des images, il se réparait doucement pour redevenir entier sur le dernier dessin, mais une cicatrice y était toujours. Layla explique ainsi que son cœur s’est tranquillement reconstruit, mais qu’elle sera toujours marquée par le départ brusque de notre père.

Aussi, lorsque notre histoire est sortie dans les médias, Layla n’était pas en mesure de saisir réellement ce processus. Plus d’un an plus tard, elle a ressenti le besoin d’en parler elle aussi. Elle voulait contribuer elle aussi. Patrick Lagacé a accepté de venir lui parler et d’écrire, comme elle le lui demandait. Je ne sais pas s’il était conscient de l’importance de son geste dans le cheminement de Layla. Pour lire ce texte, c’est ici http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/patrick-lagace/201406/14/01-4775791-trois-dessins-de-papa.php Le message de Layla y est rapporté de manière fidèle, elle y aborde d’ailleurs sa plus grande frustration, le fait de ne pas avoir vu notre père.

Layla m’a dit que ce qu’elle a eu le plus de difficulté à comprendre et, surtout, à accepter, c’est que les gentils ne gagnent pas toujours. Dans le cas de mon père, elle a l’impression que les méchants ont été plus forts. Pour les adultes aussi, c’est difficile à accepter…

Reste qu’à travers ce parcours imparfait, on s’en est tous sortis, Layla aussi. Le deuil est déjà si difficile à expliquer aux enfants. Quand c’est par suicide, ça ajoute une complexité immense à tout ça. Si l’histoire de Layla et ses conseils peuvent aider des parents qui traversent une telle histoire, pourquoi ne pas la partager?

Jessica Archambault



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