Moi aussi j’ai peur pour toi, ma fille

Il pleut ce soir, et j’ai les blues. Mes trois enfants — toutes de sexe féminin — dorment et rêvent d’être grandes, sans se douter de ce qui les attend.

La récente pluie de #MoiAussi qui se dynamise sur les réseaux sociaux depuis quelques jours donne malheureusement l’impression à certains hommes pleins de mépris que les femmes sont toutes des saintes-nitouches en quête d’attention. Plusieurs grandes intellectuelles bien mieux outillées que moi pour leur répondre ont pris la parole. Pourtant, j’ai envie aujourd’hui de déposer mon petit grain de sable dans ce sablier médiatique. Et ce grain que je dépose a les couleurs et la texture d’une mère de trois petites filles qui rêvent au prince charmant.

Tout d’abord, j’aurais envie de dire que j’ai toujours été féministe, mais que je le suis devenue de façon encore plus appuyée le 11 décembre 2012 lorsque ma belle Lilianne est née. Les batailles livrées par ces clans de femmes fortes sont alors devenues les miennes, car je ne supportais pas l’idée que ma fille puisse être traitée différemment à cause de son vagin. L’idée qu’elle soit moins payée à cause de lui m’horripilait (et m’horripile toujours), l’idée qu’elle puisse se faire prendre moins au sérieux dans un contexte hiérarchique à cause de lui me hantait (et me hante toujours), l’idée qu’elle puisse être considérée comme une agace parce qu’elle se montre sympathique me damnerait…

Et je me suis rendu compte que je serais détruite que mes filles vivaient des situations semblables à certains événements de mon passé de jeune adulte. Avant de rencontrer l’homme de ma vie et le père de mes enfants, j’ai vécu un an de célibat durant lequel j’ai été pas mal sur le party, et durant lequel j’ai fait beaucoup de rencontres : des merveilleuses comme des affreuses. Durant cette année, j’ai appris à me méfier des buissons et des coins sombres dans les bars, des hommes intoxiqués aux mains baladeuses et aux paroles vicieuses.

Ces souvenirs, déposés sur mes filles plutôt que sur moi-même, auraient le potentiel de me tuer. Pourtant, à voir le nombre de #MoiAussi, peut-être vaut-il mieux que je me prépare psychologiquement à cette triste probabilité. Car même si la majorité des hommes ne sont pas des harceleurs et des agresseurs, les cas récents mettant en scène des vedettes montrent que pour un seul prédateur, il y a un nombre écrasant — et écrasé et écrasable, du moins à leurs yeux — de proies.

Sommes-nous rendus là, à préparer nos filles à cette traque ? À préparer nos filles à cet assaut plutôt qu’à préparer nos garçons à l’amour ?

Ma fille, tu rencontreras un ou plusieurs hommes significatifs dans ta vie. Ces hommes des amis, des amoureux t’adoreront, te chériront. Tu te marieras peut-être avec l’un d’eux, et vous aurez peut-être même des enfants.

Mais il est fort à parier qu’au moins une fois dans ta vie, un homme glissera soudainement sa main dans ton chandail pour empoigner tes seins durant un 5 à 7 à ta résidence cégépienne.

Il est fort à parier qu’un autre soulèvera ta jupe dans un bar pour te pogner le cul en te murmurant à l’oreille une cochonnerie que tu n’as jamais même entendue même dans un film porno.

Un autre essayera peut-être de glisser sa main dans tes culottes pendant que tu dors sur le sofa d’une amie à la fin d’un party.

Oh ! Peut-être aussi qu’on essayera de te forcer à faire une pipe à un gars que tu connais ni d’Ève… et ni d’Adam surtout.

Il y a aussi des risques que tes signaux de détresse ne soient pas pris en compte au moment d’expérimenter une nouvelle pratique sexuelle avec un gars qui visiblement ne te respectera pas tant que ça — ton petit chum d’une certaine époque.

Tu seras harcelée. Traquée, objectivée, agressée.

Tu seras peut-être même violée.

Et j’ai peur pour toi, ma fille.

Et après, on te dira que tu n’avais qu’à rester chez toi en pyjama.

Toutes ces expériences sont les miennes. Si elles n’ont pas été traumatiques pour moi, j’ai peur qu’elles le soient pour elles — et le mot peur est une atténuation. Je préfèrerais revivre mille fois ces intrusions si ça pouvait épargner une seule de ces situations à une seule de mes filles. Ces expériences ne sont pas les plus sensationnalistes que vous pourrez trouver lors de cette ruée médiatique : elles sont somme toute banales dans ce contexte, et c’est justement ça qui fait peur. Des mains glissantes et des bouches sales prêtes à susurrer des dégueulasseries, il y en a partout.

Je ne sais pas trop quelle conclusion je veux donner à ce billet, car je n’ai pas inventé la roue à trois boutons et ne prétends donc pas avoir quelque chose d’original ou d’inédit à proposer pour dénouer ce nœud sociétal. Je ne suis pas une journaliste établie, une chercheure en études féministes, une politicienne de gauche engagée. Je ne suis qu’une maman inquiète, qui souhaite un monde meilleur pour mes enfants : pour mes filles.

Véronique Foisy

 

 

Les idées exprimées dans ce texte appartiennent à l’auteure. Elles ne représentent pas l’opinion générale véhiculée par Ma Famille Mon Chaos ou par les responsables du blogue.



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