Je porte mon tout dernier enfant…

Nous avons choisi de commencer notre famille alors que nous étions encore jeunes. Notre plan était pourtant clair comme de l’eau de roche… On voulait avoir des enfants « rapprochés » et vite, pour pouvoir profiter d’eux alors que nous avions toute l’énergie pour le faire. Puis, on s’imaginait déjà à 40 ou 50 ans, être de jeunes grands-parents et profiter d’une vieillesse où nos corps pourraient encore suivre le rythme.

Quand tu es jeune, tu te sens tellement invincible que tu arrives à croire que tu auras le dernier mot sur ton propre destin… La jeunesse est remplie de naïveté. C’est une belle naïveté, parce qu’elle te porte à croire que tu peux tout surmonter. Et tout contrôler.

La Vie a été bonne pour nous, nous avons eu beaucoup de chance. Quand nous étions jeunes, nous pensions qu’il n’y avait rien de plus normal que d’avoir un enfant. Nous étions heureux, mais pas si reconnaissants. Nous avons eu un, puis deux beaux bébés en santé. Puis, La Vie nous a apporté sa première grande leçon : La Vie d’un si petit être est précieuse et fragile. La santé n’est pas quelque chose que l’on doit tenir pour acquis et on se doit d’être reconnaissants pour chaque petit cœur qui bat. Quand nous avons enfin mis au monde un troisième bébé en santé, nous avons remercié La Vie chaque jour de nous l’avoir offert.

Puis, la jeunesse a fait son temps. Nous avions suivi le plan. Avoir plusieurs enfants rapprochés était une mission accomplie. Mais les années ont passé et les chandelles se sont accumulées sur les gâteaux de fête. Les enfants sont entrés à l’école. On a décidé avec notre tête d’opter pour une contraception définitive. On avait suivi le plan et on se voyait vieillir comme prévu.

Et La Vie a encore décidé de nous surprendre, de décider pour nous. Elle nous a offert une dernière chance de la remercier, un dernier cœur qui bat dans mon ventre. Je sais cette fois avec certitude que je porte mon dernier enfant. C’est un sentiment bien étrange. Je profite de chaque coup de pied. Je vis chaque instant avec un sentiment de fierté qui me noue la gorge parfois.

Je regarde notre parcours. Je regarde nos vies derrière. J’ai passé le sixième de ma vie à porter un enfant. J’ai passé le sixième de ma vie à partager mon corps avec un autre petit humain. J’ai passé plus du tiers de ma vie à prendre soin d’eux avant de penser à moi.

Notre plan a changé. La vie l’a changé pour nous. Vous pouvez lui donner le nom du dieu que vous voulez, moi, je l’appelle juste La Vie. Quand nous aurons 40 ans, il nous faudra patienter encore avant de profiter de notre vie à deux. Quand nous aurons 50 ans, il y a de fortes chances que notre maison soit vide et bien grande tout à coup. Ça repousse les plans de quelques années de plus…

Et c’est très bien comme ça. Je porte mon tout dernier enfant. J’ai vieilli. Je ne suis plus la mère remplie de naïveté d’autrefois. Je sais que cette vie est fragile et qu’elle vaut tout l’or du monde. Je compte bien en prendre soin. Je compte bien remercier La Vie pour chaque seconde qu’elle m’offre. Je compte tellement en profiter. Notre nouveau plan, c’est d’arrêter de faire des plans. Parce que La Vie sait ce qu’elle fait et qu’on a appris à lui faire confiance. Le seul plan qu’on a, c’est d’être heureux. Et ça, c’est le seul réel pouvoir qu’on a sur notre destin.

Joanie Fournier

 



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