Réflexion d’un papa
Je suis seul à la maison depuis six jours. J’ai fait le plein de sommeil comme personne d’autre. J’ai eu du temps libre à profusion. Mais là, j’en ai assez. Ma tête et mon cœur de papa sont en manque de vous, mes enfants. Je ne peux plus rien faire d’autre que d’attendre le moment de nos retrouvailles et les minutes passent trop lentement. Bon, enfin, c’est l’heure. J’y vais.
« Papa, as-tu une amoureuse, là? » me demandes-tu, mon fils en bouclant ta ceinture comme un grand. Ta question spontanée, que tu me lances pendant que mon regard croise le tien à travers le rétroviseur, m’amuse, car elle est nouvelle. Six jours ont passé sans se voir et c’est à ça que tu penses en premier. Ta question me travaille aussi, car elle est naturelle et sincère. L’effet de surprise passé, je retrouve mon équilibre et te réponds : « Non mon fils. Tout l’amour que j’ai, eh bien, il est pour ta sœur et toi ».
La vue soudaine du gros chien blond sur le trottoir te ramène à tes priorités d’enfant et m’évite peut-être un « Ben là papa, t’sais! » Je vous regarde de nouveau à travers le rétroviseur et je me dis que c’est très bon de vous avoir avec moi. On va enfin retrouver notre fort familial que nous avions laissé la dernière fois et pouvoir le solidifier ensemble avec de nouveaux blocs d’amour.
Quand vous n’êtes pas là, je pense beaucoup à vous. Je vous le dis souvent, je sais. C’est plus fort que moi. Mais je ne vous dis pas tout. Quand vous n’êtes pas là, j’ouvre des tiroirs de ma mémoire. J’en ai des tonnes heureusement. Je puise dans mes réserves de souvenirs. Et dans le concret, je ne range pas vos jouets qui traînent pendant vingt-quatre heures au moins. C’est ma façon de faire la transition de votre absence soudaine. Le bordel laissé partout dans la maison devient de l’art beau à mes yeux quand je reviens seul chez moi. Et je ne grogne pas à marcher pieds nus sur la voiture Hot Wheels banalisée sur le tapis que tu y as laissée, mon fils. Et je n’ai pas honte devant la visite qui découvre une Barbie décapitée ou démembrée par toi, ma fille. Et je garde vos dessins faits au stylo sur ma main pendant des jours. Ce sont MES tatous à moi.
Quand vous n’êtes pas là, je recroise notre voisin qui m’a vu jouer avec vous, déguisé en policier vêtu d’une veste de flottaison, sifflet en bouche, prêt à vous arrêter pour excès de vitesse en Big Wheel. Il me salue, sourire en coin. Je n’ai pas honte. Je m’assume. Je suis très fier de jouer des rôles que vous m’attribuez et qui vous amusent comme des petits fous. Ça me fait du bien. Un jour, notre voisin me comprendra. Je lui souhaite de vivre ça de tout cœur.
Quand vous n’êtes pas là, mes oreilles deviennent des radars qui captent au ralenti toutes les voix d’enfants. Mon scanneur biologique s’enclenche pour vérifier si c’est vous. Je sais que ce n’est pas vous, mais je me retourne quand même pour valider avec mes yeux bioniques. Ça fait déjà six ans que le mot « papa » résonne en moi. C’est beau, fort et unique.
Quand vous n’êtes pas là, je perds goût à lire les recettes, j’ai trop de chaises vides autour de ma table à dîner et j’accepte que ma voiture devienne un char auquel vos traces de bottes sales donnent enfin une vraie utilité. Quand vous n’êtes pas là, les routes tracées à la craie sur notre cour doivent résister à la pluie, et le rose et le mauve deviennent mes couleurs préférées.
Quand vous n’êtes pas là, votre grand-mère me répète que vous êtes en âge de vous rappeler toute votre vie de ces précieux moments qu’on passe ensemble. J’y crois et ça rend chaque moment passé ensemble encore plus précieux. J’imagine déjà de petits tiroirs que vous avez peinturés de votre couleur préférée et qui traînent dans votre mémoire.
Maintenant que vous êtes là, que diriez-vous si ce soir, on se faisait un movie night avec du « pokcorn », bien collés ensemble à regarder votre film préféré pour la centième fois comme si c’était la première fois?
Marc-André Bergeron