Souvenirs d’une danse

Je ne sais pas si je suis la seule à devenir nostalgique, mais on dirait que l’automne apporte son lot de souvenirs d’enfance. Le temps est doux, le vent froisse les feuilles et mes idées se promènent d’une époque à l’autre.

Dans ma petite ville de l’époque, il y avait un boulevard principal et tout le monde connaissait tout le monde. Il y avait trois stations d’essence dans toute la ville et on connaissait les propriétaires de chacun des commerces. Depuis, la ville a triplé en nombre d’habitants, en commerces, en rues et en maisons. Mais je n’ai pas envie de me plaindre de sa croissance. J’ai envie de vous parler des souvenirs d’une danse…

Parce que dans notre petite ville, il n’y avait pas réellement d’endroits destinés aux jeunes. Mais un vendredi par mois, un organisme organisait une soirée dansante dans le sous-sol de l’église. C’était LA danse. « L’Opti-danse ». C’était une soirée réservée aux jeunes du primaire, où les parents ne pouvaient pas nous accompagner. Une soirée où on avait le droit de se sentir presque adolescents, du haut de nos 10-11-12 ans… Ça commençait à 19 h. À 22 h, ils mettaient tout le monde dehors. Simple de même.

On se rejoignait après l’école ce soir-là, entre amies. On se coiffait, se maquillait, s’habillait ensemble. Bon, à l’époque, ça se résumait à enfiler un chandail un peu bédaine, se crêper le toupet pis se faire une grosse ligne blanche sur les paupières… C’était bin hot ça, y’a vingt ans…

Un parent était toujours désigné pour venir nous mener en voiture et il nous donnait rendez-vous au même point pour 22 h. Quand on poussait la grosse porte en bois du sous-sol de l’église, on mettait quelques minutes à s’acclimater à l’endroit. La machine à boucane avait déjà embrumé la pièce, ça sentait l’humidité sans bon sens, pis l’éclairage tamisé se voulait tellement cool…

On avait caché une pièce de deux dollars dans nos bas, pour aller s’acheter une bouteille d’eau pis un sac de chips dans la soirée. Parce qu’à cet âge-là, on n’avait pas de cellulaire, pas de carte débit, pis pas de sacoche. Faque… on n’avait pas besoin de rien de plus qu’un deux dollars dans nos bas. On y cachait aussi notre coupon pour le vestiaire. Ça grattait un peu les chevilles, mais tout le monde le faisait.

Il y avait deux moments importants dans la soirée. Chaque mois, ce vendredi-là, le D.J. passait deux slows. Un premier à 20 h. Et le dernier à 21 h 55. Re-li-gi-eu-se-ment. Pis pour ces slows-là, tu savais déjà avec qui tu allais danser, parce que tu avais déjà envoyé ton papier en classe dans la journée pour demander à ton partenaire potentiel s’il acceptait de danser avec toi. Y’avait pas de surprise. Les filles dansaient ensemble toute la soirée. Les gars dansaient entre eux toute la soirée. Mais à 20 h, tu te dirigeais vers ton partenaire pré-désigné avec tes petits papillons dans le ventre, pis tu dansais ton slow, collé-collé. Et juste à temps pour la fin de la soirée, tu répétais l’expérience.

Ces souvenirs-là sont gravés dans ma mémoire, parce que ces deux slows-là, c’était toujours sur les mêmes chansons et quand l’une d’elles passe à la radio, j’ai encore des papillons dans le ventre.

On avait une dizaine d’année. Dans ce temps-là, y’avait pas de GHB dans nos bouteilles, pas de baiser au bout de la soirée ni aucun souci… Juste de la musique, bin de l’humidité, pis des papillons dans le ventre.

Cette année, ma fille a neuf ans. Bientôt, elle ira avec ses amies à ce genre de soirée et quand le moment sera venu, j’espère que je me souviendrai. Je me souviendrai du sentiment de liberté et d’invincibilité qui m’envahissait au même âge. Le temps d’une soirée, je ne serai pas la maman-poule derrière elle. Elle se sentira grande et fière. Et je lui souhaite de vivre à son tour ces petits papillons dans le ventre…

Joanie Fournier

 



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