Ma vie de statue -Texte: Eva Staire

Cette année, ça fera seize ans de mariage dans notre couple.

Parfois à la blague, je dis à nos amis « Seize looooongues années », en sous-entendant que ce n’est pas facile de vivre avec l’autre.

Mais derrière cette blague, une demi-vérité. Ma tendre moitié a un problème d’alcool, une dépendance solide qui l’a amené au fil des années à faire de nombreuses gaffes, parfois quasi irréparables.

Depuis que je suis avec, c’est comme ça.

Au début, ça ne me dérangeait pas, car je viens d’une famille (mère, tantes, beau-père, etc.) de consommateurs d’alcool, drogues ou autres. Alors je pensais pouvoir gérer, car je connaissais ce monde-là, et ce, même si moi, je ne suis pas tombée dans ces dépendances.

Et puis, je l’aimais tellement !

Et effectivement, pendant les premières années de mariage, de couple et de famille, j’ai su gérer.

Gérer le fait que l’autre rentrait souvent tard après la fermeture des bars, alors que notre premier enfant venait tout juste de naître…

J’ai su gérer les problèmes d’argent liés au problème d’alcool, qui ont mené jusqu’à la faillite personnelle.

J’ai su gérer pendant des années et des années un tempérament très instable, colérique, anxieux, susceptible et souvent manipulateur lié à la dépendance. Sans compter les mensonges.

J’ai même su gérer l’infidélité. Deux fois (ou plus, je ne sais plus).

À un moment donné, tu penses que c’est de ta faute parce que c’est ce qu’il te dit à répétition. Pis tu l’aimes, faque tu le crois. Mais une toute petite voix en dedans de toi te souffle que c’est faux. Et tu y crois aussi.

Et tu te dis que ça va aller mieux avec le temps, que ta patience à toi sera récompensée, qu’un jour, ta vie de famille rêvée, ben tu vas l’avoir.

Puis un jour, le dépendant réalise qu’il peut tout perdre, fait une thérapie et arrête pendant quelques merveilleuses années. Des années de calme, de paix et heureuses. Jusqu’à…

La rechute… la rechute de celui qui vit dans le déni solide et qui pense dur comme fer qu’il est capable de se maîtriser, qu’il peut boire un verre comme tout le monde… Et alors, les sorties jusqu’aux petites heures du matin recommencent, les problèmes d’argent liés à la consommation reviennent… Tu paniques.

Ensuite, tu te tannes. Parce que pendant ces années où lui tourne en rond, toi, tu es devenue ta propre personne et tu réalises que tu ne veux peut-être plus de ça dans ta vie. De l’alcool et de tout le stress qui vient avec. Tu t’éloignes. Parce que l’alcool pour toi, ça fait des ravages dans ta famille pis que t’es pu capable, tu n’as plus la force de gérer, de soutenir et de vivre à travers cela.

Alors on en est là. La rechute dure depuis trois ans, avec des moments de grâce, des moments de stress immenses, des moments où je me pose la question « Mais qu’est-ce que je fais là ? ».

Parce qu’il faut réaliser que seize ans de vie commune, c’est beaucoup dans une vie humaine. C’est beaucoup d’histoire et ça ne se fout pas aux poubelles d’un coup même si tu n’en peux plus de voir ta moitié te faire revivre ta vie en boucle, comme si c’était le jour de la marmotte. Comme si tu avais encore vingt-cinq ans, alors que tu en as presque quarante…

Je ne vais pas entrer dans les détails du pourquoi je suis restée pendant toutes ces années avec lui, mais toi qui vis avec un toxicomane, un alcoolique ou un être qui a une dépendance qui peut détruire ta famille, je veux que tu saches que si tu penses que tu l’aimes assez pour vivre avec son problème, fais-le.

Sinon, pars.

Parce que si tu finis par l’aimer de moins en moins et que tu restes avec, c’est à ce moment-là que les regrets commenceront à former une montagne et que le désespoir s’emparera de toi. Que la peur du changement ultime te confrontera tous les jours au point de te rendre inerte comme une statue, incapable de prendre LA bonne décision… c’est à ce moment-là qu’il sera presque trop tard…

Eva Staire



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