L’amour au temps du corona
J’ai passé une grande partie de ma vie à pratiquer l’amour à
J’ai passé une grande partie de ma vie à pratiquer l’amour à distance. Moi dans un village, une grande ville ou un kibboutz. L’amoureux dans une autre région, un autre pays, une autre réalité. On se téléphonait (oui oui, avec un vrai téléphone branché dans le mur et un fil en queue de cochon), et on s’obstinait pendant une heure pour décider qui allait raccrocher en premier. On s’écrivait (oui oui, avec du vrai papier parfumé et des p’tits minous quétaines dans le bas à droite, juste à côté des mille PS et PPS et PPSS…). On mettait un vrai timbre à 37 cents sur l’enveloppe, et on allait au bureau de poste trois fois par jour pour voir si la réponse était arrivée. On attendait, on s’espérait, on soupirait. Et on profitait des retrouvailles autant que nos parents et le temps nous le permettaient.
Mais là, avec le coronavirus et toutes les mesures visant à freiner sa propagation, l’amour à distance prend un tout autre sens.
L’amour à distance déprime les adolescents qui n’ont pas vu leur chum ou leur blonde depuis le 12 mars. C’est long, ça, quand on est un ado bourré d’hormones et d’idéaux. L’amour à distance inquiète les couples qui font maison à part et qui doivent se donner rendez-vous dans les parcs, à distance de 2 mètres. Loin des yeux… près du cœur.
L’amour à distance, c’est aussi celui qui nous convainc de déposer l’épicerie sur le balcon de mamie et de lui coller des dessins d’arc-en-ciel de l’autre côté de la fenêtre, de lui faire des bisous volants à travers la vitre et d’espérer très, très fort que les sapristi de virus la laisseront tranquille. C’est celui qui nous donne la force de lui sourire et de cacher nos larmes quand on retourne chez nous.
L’amour à distance, c’est l’appel téléphonique ou le message électronique qui relie l’enseignant et son élève. C’est l’heure passée à jouer à des jeux vidéo en ligne avec des amis, juste parce que ça nous permet d’entendre la voix des amis. Presque comme s’ils étaient à nos côtés… C’est le 5 à 7 avec les copains qui permet de faire résonner nos chin-chin sur une plateforme d’échange.
L’amour à distance, c’est la photo drôle qu’on envoie à la parenté pour leur dire que « ça va bien aller », même si des fois, on en doute. C’est le message privé qu’on envoie à de vieux amis qu’on avait oubliés dans notre liste d’amis sur les réseaux sociaux… « Salut… je voulais te dire que je pense à toi, j’espère que le confinement ne te fait pas trop la vie dure ». C’est l’appel à l’aide qu’on lance pour dire que là, c’est trop.
L’amour à distance, pour plusieurs, c’est le sacrifice du temps pour les services essentiels. C’est devoir remettre nos précieux enfants dans les mains des éducatrices, des grands-parents ou de notre parent divorcé, le temps d’aller soigner, nourrir, faire de la recherche ou prendre les décisions qui permettront à notre communauté de s’en sortir maintenant et plus tard.
L’amour à distance est fait des prières et des ondes qu’on envoie à nos proches qui sont loin (définir « loin » selon la situation : isolés de l’autre bord de la rue ou coincés de l’autre côté de l’océan, en attente d’un rapatriement). Certains ont dit « Aimez-vous les uns les autres », d’autres ont prôné « Aime-toi toi-même »… live ou à distance, mais aimez-vous.
Cet amour à distance, c’est peut-être, au bout du compte, ce qui va rendre l’amour plus proche, plus complice, plus durable. C’est peut-être la base d’un réel rapprochement social.
Nathalie Courcy