Je ne fais pas pitié

Je suis une mère monoparentale saisonnière, et parfois, j’en ai plein les choux de me faire prendre en pitié.

– Qu’est-ce que ton chum fait dans la vie ?

– Il est marin[1].

– Heiiiin ! Faque, des fois, il part longtemps ?

– Oui, deux mois de travail pour un mois de congé, de mars à janvier.

– OH. MY. GOD. Pauvre toi, comment tu fais ? Hey t’es bonne, t’es COU-RA-GEUSE ! Moi là, j’pourrais pas, j’serais pas capable… Chapeau, quel courage !

Cette conversation, qui ne cache absolument aucune malice, je le sais bien, je dois la vivre et revivre au moins deux ou trois fois par semaine. Et à la longue, elle m’éreinte. Aussi gentille que soit l’intention, j’en comprends toujours que le sous‑texte est moins glorieux que le courage qu’on m’attribue. Que ma vie de conjointe de marin semble être un peu d’la marde à tes yeux, et que tu préférerais subir mille et une tortures médiévales plutôt que d’être dans les bobettes de la pauvre femme misérable à la vie de malheur que je suis. J’ai alors toujours l’impression d’être une Donalda nouveau genre, la Fantine des Misérables revisitée, ou encore une Loulou Lapierre, pour faire un clin d’œil aux Cowboys fringants, la fierté de ma ville natale.

 

Joyeux calvaire !

Sous un ciel en stuco

Entre les caisses de bière

Et les bébelles des flots.

Joyeux calvaire

Pour Loulou Lapierre

Qui aime autant se dire

Qu’au fond, la vie est pas si pire…

 

J’ai déjà entendu la comédienne Sophie Prégent exprimer son envie difficile à réprimer de corriger les gens qui la décrivent comme courageuse d’avoir un enfant autiste, alors que ce n’est pas une question de courage. C’est une question d’amour. Elle fait juste aimer son enfant, comme toutes les mères et faire ce qu’elle a à faire.

Bien sûr, ma comparaison entre Sophie et moi, aussi glamour soit-elle, paraîtra peut‑être boiteuse aux yeux de certains. J’enchaînerais donc en disant qu’on s’entend, je suis loin d’être la première femme de l’histoire de l’humanité à avoir un quotidien semblable. Ce n’est pas pour rien que tant de poèmes et de chansons ont construit et déconstruit l’inspirant et inspiré thème de l’amour à distance.

Georges Dor a dit…

 

Si tu savais comme on s’ennuie

À la Manic

Tu m’écrirais bien plus souvent

À la Manicouagan

Parfois je pense à toi si fort

Je recrée ton âme et ton corps

Je te regarde et m’émerveille

Je me prolonge en toi

Comme le fleuve dans la mer

Et la fleur dans l’abeille

 

Le poète français Alfred de Musset a écrit le très connu vers, en 1820, qu’« un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! »

Même Steve Tyler a chanté avec son groupe Aerosmith, pour le film Armageddon :

 

I don’t wanna close my eyeeeees

I don’t wanna faaaaall asleeeep

Cause I’d miss you, baby

And I don’t wanna miss a thiiiing.

’Cause even when I dream of you

The sweetest dream would never do

I’d still miss you, baby

And I don’t wanna miss a thing

 

Oui, des fois, c’est dur d’avoir à absolument tout gérer. C’est dur de me coucher seule sans la chaleur velue de mon homme la moitié de l’année. C’est dur de voir mes trois enfants trouver le temps long sans leur papa au fil des semaines d’absence qui s’écoulent.

Mais c’est encore plus dur quand on nous fait sentir miséreux, alors que nous sommes loin de l’être. Nous sommes une petite famille ordinaire avec une dynamique un brin particulière qui exige un petit peu plus de travail et d’organisation de ma part en l’absence de mon chéri. Pas la mer à boire (pour rebondir sur le thème marin !)

Je n’ai pas besoin de pitié, de grande compassion, d’une pluie d’empathie inactive. J’ai besoin de dignité. Si tu es disponible et que tu as envie de m’aider l’espace d’un instant, j’aurais besoin que tu m’assistes au moment d’installer mes enfants dans la voiture, que tu m’aides à les habiller et à mettre leurs bottes quand je pars de chez toi, que tu viennes jouer avec mes fafouinettes le dimanche après-midi pendant que je fais l’épicerie de la semaine ou que je passe la mope dans la cuisine. J’ai besoin oui de soutien, mais pas de pitié. Des paires de bras proactives, et non des grands yeux esseulés.

[1] Attention, attention ! À ne pas confondre avec un marine tel que nommé en anglais. Il n’est pas soldat, il travaille dans la marine marchande.

 

Veronique Foisy



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