Les démons de la nuit
On est en 2004, je suis à Kaboul en Afghanistan. À un certain mome
On est en 2004, je suis à Kaboul en Afghanistan. À un certain moment donné pendant la mission, nous devions commencer à prendre de la Méfloquine, un médicament utilisé pour combattre la malaria. On nous avait avisés des effets secondaires, dont un était des rêves intenses.
À partir du moment où j’ai commencé à utiliser ce médicament, les rêves intenses sont arrivés, je dirais même plutôt des cauchemars. Tellement qu’un beau matin, j’avais des égratignures dans le visage et sur une main. Vraiment, c’était horrible !
Comme tout bon soldat, on apprend à vivre avec ce qui nous est donné à l’étranger, on ne pose pas de questions et on se concentre sur la mission. Une fois de retour au pays, ça fait partie de notre mode de vie. Mes cauchemars ont continué, mais j’étais habitué à ce mode de vie.
Trois ans plus tard, j’ai connu ma femme. Et il n’a pas fallu longtemps avant qu’elle s’aperçoive que quelque chose n’allait pas avec moi la nuit. Souvent, elle se réveillait parce que j’étais debout dans le lit et j’hallucinais. Une fois entre autres, j’étais debout en équilibre sur la petite planche du pied du lit, et elle avait peur que je tombe et que je me fasse mal.
Je me rappelle qu’un moment donné, je me suis carrément levé à côté du lit et j’essayais de me sauver parce que ses bras étaient faits comme des fils métalliques qui essayaient de m’attraper. Je me suis déjà vu exploser en Afghanistan en courant avec mon fils dans les bras. J’ai fait plein de cauchemars bizarres comme cela, mais aussi d’autres, directement reliés à l’armée.
Je me rappelle qu’à mon retour de mission, j’ai rêvé que je rentrais au bataillon un matin et que je tirais sur tout le monde. C’est par la suite que j’ai demandé un transfert d’unité pour avoir une pause, car j’en avais assez.
Peut-être que c’est difficile pour vous de me lire, mais c’est ce que j’ai vécu pendant quatorze ans. Encore étonnant que je sois sain d’esprit !
Donc est‑ce à cause de la Méfloquine ou de mon TSPT, je ne sais pas. C’est un gros débat présentement avec le gouvernement, car beaucoup d’autres pays ont arrêté de donner ce médicament à leurs soldats depuis plusieurs années.
Ce qui est important pour moi, c’est que maintenant, j’ai du support d’Anciens Combattants et enfin, je dors depuis l’été dernier. Quand j’ai commencé à prendre ma médication l’été passé, je dormais quatorze heures par jour. Puis à l’automne, je n’en pouvais plus. Je me sentais paresseux, donc j’ai arrêté seulement la pilule pour dormir pendant cinq jours, car j’ai une tonne de médicaments à prendre quotidiennement. Dès le premier soir, je regardais la télévision et c’est comme si en même temps, j’avais une deuxième télévision dans la tête sur laquelle défilaient des images de l’Afghanistan rapidement en même temps, et ce, jusqu’à trois heures du matin. Je ne pouvais plus dormir. Puis j’ai commencé à reprendre cette pilule, car je n’avais pas le choix si je voulais dormir. Maintenant, j’en suis à onze heures de sommeil et c’est long. J’ai tellement hâte de moins dormir, mais j’ai été tellement longtemps sans dormir ! Ma psychologue me dit que c’est normal.
Le matin, quand les enfants sont partis pour l’école, je vais toujours me recoucher un peu, mais pas n’importe où : dans le sous-sol ! Comme il fait noir, c’est comme un bunker et je me sens en sécurité. Puis avant de m’endormir ce matin, je me demandais de quel sujet j’allais bien vous parler. Puis là, mon rythme cardiaque a augmenté, ma respiration était plus courte, etc. Donc je me suis dit ce matin, OK, arrête de penser et dors ! Il y a plein de sujets dont je vais vous parler, mais un jour à la fois. Pour m’aider avec ma blessure, j’ai appris à reconnaître mes signes physiques et cela m’aide à faire des choix pour améliorer ma situation.
Maintenant, comment conjuguer vie familiale avec tout cela ? Pas toujours évident, mais une chance que je ne travaille plus, car je ne pourrais pas m’en sortir, c’est certain.
Quand mon ti-loup d’amour de cinq ans me dit parfois avant de dormir qu’il a peur, devrais-je lui dire que moi aussi, j’ai des démons qui me hantent la nuit et tout lui raconter ? C’est sûr que non. J’essaie de le rassurer. Mais savez-vous quoi ? Je le comprends même si je suis un adulte. Car je sais ce que sont les démons de la nuit. Bonne nuit ! Je vous aime !
Carl Audet