Victimes du proxénétisme
*Avant de commencer à raconter mon histoire, je tiens à préciser
*Avant de commencer à raconter mon histoire, je tiens à préciser que les acteurs et l’histoire de Fugueuse sont d’un réalisme troublant. Bravo aux acteurs et à tout le personnel qui travaille sur cette série.*
Comme 1 350 000 Québécois, j’ai regardé la première saison de Fugueuse en 2018. J’ai été bouleversée, troublée. Puis dernièrement, j’ai regardé les cinq premiers épisodes de la deuxième saison en rafale. À la fin du cinquième épisode, LE CHOC. J’étais sous le choc. Voici pourquoi.
En janvier 2016, j’ai accouché de mon deuxième enfant, un magnifique petit garçon. Ma cousine, que je considère comme ma petite sœur, est venue me rendre visite à l’hôpital. J’avais entendu parler par des membres de ma famille qu’elle avait commencé à consommer de la drogue. Naïvement, je croyais qu’elle vivait sa jeunesse, elle avait à peine 21 ans. Mais lors de sa visite, j’ai rapidement remarqué qu’elle était étrange. Elle bougeait sans cesse, parlait tout le temps. Ce n’est pas son genre, elle est du type réservé. Quand elle est partie, j’ai regardé mon conjoint et je lui ai dit que quelque chose clochait avec elle.
Les mois ont passé et je n’ai pas eu beaucoup d’occasions de la revoir et de lui parler. Je me battais contre la dépression post-partum.
En mai ou juin 2016, ma sœur m’a téléphoné pour me dire qu’elle avait un mauvais pressentiment concernant notre cousine, qu’elle croyait que c’était la dernière fois qu’elle l’avait vue. Elle avait passé la journée avec ma sœur à faire faire ses ongles et sa teinture. Lorsque son « ami » est venu la chercher, elle a serré notre cousine très fort dans ses bras et lui a dit qu’elle l’aimait. Ma sœur a remarqué une grosse valise sur la banquette arrière qui ressemblait étrangement à celle de ma cousine. Ce que j’ai su à ce moment, c’est que les derniers mois, elle dormait un peu partout et traînait cette valise.
Quelques jours plus tard, ma mère m’a annoncé que ma cousine avait demandé à ce qu’on ne la contacte plus. Nous n’avions aucune idée de l’endroit où elle se trouvait ni si elle était en sécurité. Les jours ont passé, les semaines aussi. Pour certaines personnes, dont moi, nous avions entamé une sorte de deuil. Je croyais que nous allions recevoir un appel de la police nous disant qu’elle avait été retrouvée sans vie, une surdose probablement. J’étais convaincue que je ne la reverrais jamais en vie.
Le choc que j’ai eu lorsque ma mère m’a téléphoné pour me dire qu’elle allait rejoindre ma cousine. Ma cousine avait appelé sa mère pour lui dire qu’elle était en danger et s’était sauvée de son chum. Vu que ma tante habite loin, elle a appelé ma mère pour aller rejoindre ma cousine. Entre temps, mon oncle et la police ont été mis au courant. J’étais tellement soulagée de la savoir en vie, mais j’étais tellement loin de m’imaginer dans quelle situation elle se trouvait.
Lorsque ma mère est arrivée sur les lieux d’un petit restaurant, la police et l’ambulance étaient déjà là. Ma mère est sortie de sa voiture et ma cousine s’est effondrée en larmes dans ses bras. Ma cousine a été amenée à l’hôpital où elle a été gardée sous surveillance. Elle a par la suite fait une cure et une thérapie.
Elle avait vécu pendant x jours sous l’emprise d’un proxénète, un manipulateur sans cœur, un monstre, un psychopathe. Elle a été forcée de se prostituer, sans quoi il la battait. Un jour, elle a trouvé la force et le courage de se sauver. Mais ce ne fut pas ça le plus dur, ce fut le procès. Elle a poursuivi son proxénète. En cour, elle a été interrogée sous tous les angles inimaginables. Elle a réussi, il a été déclaré coupable et condamné. Depuis ce jour, elle tente de reprendre une vie normale. Mais comment voulez-vous qu’elle reprenne une vie normale après ça ? Sans aide, sans soutien ? L’IVAC (Indemnisation des Victimes d’Actes Criminels) a refusé sa demande, car le fait de faire de la prostitution sous l’emprise d’un proxénète n’est pas considéré comme une situation dans laquelle il y a une victime.
À la fin du cinquième épisode, Fanny se retrouve seule, sans aide, sans soutien. Comme pour Fanny dans Fugueuse, le proxénète de ma cousine a été libéré. Comme Fanny, elle vit dans la peur, l’angoisse de le revoir. Comme Fanny, elle a des crises de panique à l’idée d’être seule. Comme Fanny, vivre au jour le jour est un combat.
Il existe des centres pour les femmes battues, les toxicomanes, pour les anciennes travailleuses du sexe, pour les personnes avec des problèmes de maladies mentales, pour celles qui ont subi des agressions sexuelles… Les centres pour personnes agressées sexuellement me disent ne pas être adaptés pour sa situation. Elle devrait faire une demande à son CLSC et rencontrer une infirmière qui va l’évaluer et qui va décider par la suite si elle entre dans les critères pour avoir un suivi psychologique.
Je suis choquée de savoir que de jeunes femmes et de jeunes hommes victimes de proxénètes qui trouvent la force et le courage de poursuivre leur proxénète en cour, de faire face à la personne qui les a manipulés, « brainwashés », brutalisés, ne reçoivent aucune aide après. C’est comme si la mentalité était « ils ont gagné leur procès, ils peuvent passer à autre chose ». Ces personnes vivent avec des images si affreuses dans la tête. Pensez à ce qui pourrait arriver de pire à une de ces victimes : dites-vous que c’est probablement arrivé. Elles ont un traumatisme sévère, une dépendance à combattre aux drogues ou à l’alcool et des souffrances émotionnelles, une confiance en soi et en autrui à rebâtir, une vision de la vie à refaire. Ils ont vu et vécu ce qu’il y a de plus laid dans ce monde. Alors, comment ces personnes peuvent-elles reprendre une vie « normale » sans aide ? Comment l’IVAC peut-elle refuser une demande si la Justice a déclaré que le proxénète est coupable ? La personne qui a subi les sévices n’est-elle pas considérée comme une victime par la Justice ?
La série Fugueuse a été diffusée pour nous ouvrir les yeux sur une réalité que nous ne voulions pas voir. Maintenant que c’est connu de tous, agissons et trouvons de l’aide pour ces personnes. Maintenant que nous connaissons cette affreuse réalité, ne refermons pas les yeux, car c’est trop choquant et ça fait peur. Prenons-les par la main et disons-leur : « Nous sommes là et nous allons chercher des solutions ».
Pour toutes les Fanny, Daisy et les hommes victimes du proxénétisme…
Eva Staire