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Je t’ai vue tomber

Quand on est des enfants, on voit ses parents comme les plus forts.

Quand on est des enfants, on voit ses parents comme les plus forts. J’imagine que c’est de là l’expression « le plus fort, c’est mon père ». Sauf que moi, j’ai vite appris qu’un parent, ça peut tomber aussi.

Quand on est petit, on ne réalise pas que certaines épreuves de la vie peuvent nous abattre. Mais quand on voit sa mère tomber, on comprend que parfois, notre corps peut aller à sens inverse. Qu’il nous fait comprendre que la charge d’émotions est trop grande.

Je n’étais pas vieille. Je devais avoir tout au plus neuf ans. Je commençais à me rendre compte que tu n’allais pas bien. Probablement que je croyais à un rhume. Que d’ici quelques jours tu redeviendrais top shape. J’y ai cru. Jusqu’au moment où je t’ai vue t’écrouler sur le sol. Maman, ce jour‑là, mon petit cœur d’enfant a cru voir sa maman mourir. J’ai eu toute une décharge électrique. Tu n’étais pas morte, mais ton âme avait le mal de vivre et ton corps ne résistait plus à rien. Je n’ai qu’à fermer les yeux pour me rappeler tous les détails.

À cette époque, je ne comprenais pas trop ce qui se passait. Je voyais la peur dans tes yeux et ton corps s’affaiblir. Tu t’accrochais à moi, comme si j’étais une bouée. Nos rôles s’étaient inversés. J’étais celle qui tentait de te rassurer. Je te donnais des bains. Je me souviens même d’avoir désossé ton poulet. Nous avions l’habitude de jouer au docteur. Tu étais couchée sur le divan du sous-sol. Moi, je t’écoutais, je te posais des questions, j’essayais tant bien que mal de t’apaiser. Je te flattais le dos, je te tenais la main. Parfois, nous ne parlions pas. J’étais tout simplement là pour te faire du bien.

Je crois que papa avait peur. Il ne savait pas trop comment réagir. Il partait de la maison. Je le sentais incapable de rester. Sa femme tombait, celle qu’il avait toujours vue se tenir debout devant tout. Mais papa, aujourd’hui, j’ai compris que tu jouais ton rôle la nuit. Moi je dormais, donc je n’avais pas conscience de ce qui se passait. Je ne savais pas à ce moment ce qu’était l’anxiété. Encore moins ce qu’étaient les crises d’anxiété. Toi, c’était ça que tu devais gérer. Une femme qui, chaque nuit, avait des crises. Une femme qui paniquait, qui croyait mourir. Tu ne devais pas lui montrer que toi aussi, ça t’apeurait. Aujourd’hui papa, je comprends que le jour, tu avais besoin de respirer, si tu voulais continuer de garder le fort. De plus, tu savais que j’étais là et tu l’appréciais. Je le sais, car un jour, tu m’avais laissé un beau petit mot, que je garde toujours précieusement.

Maman, à ce moment, je ne savais pas pourquoi tout ça était arrivé. Mais, en grandissant, j’ai compris toutes les émotions que tu as vécues et celles qui ont fait éclater ton vase. Vivre le deuil de son frère doit déjà être difficile. Mais, toi en plus, tu t’occupais de son fils, son ado. Tu l’avais pris sous ton aile, car sa mère était également décédée quelque temps avant. De plus, tu devais gérer les chicanes avec tes propres ados. Des flammèches, il y en avait à la tonne. Tu as essayé de garder la tête en dehors de l’eau. Mais le tourbillon était trop fort, alors la vague t’a jetée dans le fond. Ton corps t’a parlé. Tu t’es relevée petit à petit. Tu as compris que parfois, il faut tendre la main.

Il n’y a pas longtemps, mon corps m’a aussi plaquée sur le sol. Il y est allé un peu plus délicatement. Tu m’avais appris c’était quoi, tomber. Que pour remonter, nous devions l’accepter, que nous devions en parler et laisser les gens nous aider.

Après avoir regardé les arbres en voiture plusieurs fois, avoir envie de rentrer dedans, après avoir pété les plombs et lancé les clés au bout de mes bras et m’être écrasée au sol en pleurant, j’ai réalisé que moi aussi, je tombais. C’est à ce moment que j’ai décidé d’accepter l’aide pour m’en sortir. Ton histoire m’a peut-être sauvée aujourd’hui. Maman, je t’aime.

Karine Larouche

 

Tirer sur la plug

Mon corps a tiré sur la plug. Tout seul. Sans prévenir. J

Mon corps a tiré sur la plug. Tout seul. Sans prévenir. J’enchaînais les patients, les appels, les requêtes, les messages, les enfants, les activités, les concerts, les sorties, les corvées, les chiens, la maison, les kilomètres, les entraînements… Il a dit STOP, d’un coup. Mon corps a tiré sur la plug. Et je me suis effondrée…

J’aurais pu m’en douter. J’aurais dû écouter les signes… Mais la fatigue, à force de la cumuler, on ne la sent même plus… Tu dis « oui » à tout parce que ton cœur est trop grand et tu t’uses… Mon trop-plein d’énergie est anéanti. Mon corps a tiré sur la plug.

Ce matin-là, ma salle d’attente était pleine. J’ai voulu me lever. Je ne voyais que des éclairs lumineux. J’ai frotté mes yeux, avalé une gorgée d’eau, passé un appel… ma vue empirait. Je ne voyais plus rien, tout scintillait. Je sentais mon esprit s’en aller. J’ai pris ma pression. Rien n’allait bien.

Mon corps a tiré sur la plug. Il m’a lâchée. Il m’avait prévenue, pourtant…

Je ne voyais plus, j’entendais mal, tout tournait et tanguait. J’avais de la difficulté à respirer, mes signes vitaux partaient dans tous les sens, rien n’était logique. Le médecin essayait de me rassurer. J’ai cru que j’allais mourir là. Que c’était fini. Mon corps a tiré sur la plug.

J’ai pensé à mes enfants, j’ai appelé mon amoureux, j’ai eu peur. On a eu peur. Je continue de trembler… parce que nous n’avons pas encore trouvé ce qui s’est réellement passé…

Je me suis relevée tout doucement, les jours ont passé, mais je n’arrive pas à me retrouver complètement. Chaque fois, mon organisme trouve un moyen de me ralentir encore. Je l’ai trop poussé. Je lui ai demandé l’impossible pendant presque quarante ans et il n’en peut plus. C’est ça, vieillir ? Je me sens abandonnée par moi-même… et depuis je suis… lente. J’ai peur que ça recommence. J’ai peur que ma santé me lâche. Je ne peux plus faire de sport. Je suis au ralenti. Tout le monde se demande où est passée la femme dynamique et hyperactive.

Son corps a tiré sur la plug.

C’est quand tu perds un morceau de ta forme que tu réalises à quel point c’est un luxe d’être en santé, que c’est si précieux et si beau.

Comme mon corps m’a débranchée, j’ai décidé de lever le pied. C’est un signal que je ne peux me permettre d’ignorer. Ce corps qui a porté trois enfants, qui les a nourris et élevés, n’est même plus capable de les accompagner. Ce corps qui n’arrive plus à aimer son amoureux comme je le souhaiterais… Ce corps qui n’a plus la productivité attendue au travail et dans la société… Il a tiré sur la plug.

Alors, il se peut que j’écrive un peu moins et que je lise plus. Il se peut que je coure moins et que je marche plus. Il se peut que je m’entraîne moins et que je me repose plus. Il se peut que je sorte moins et que je dorme plus. Il se peut que je donne moins et que je prenne plus. Il se peut que je travaille moins et que je relaxe plus. Il se peut que je réponde moins et que j’ignore plus. Chers enfants, amis, collègues, lecteurs, voisins, soyez indulgents… Soyez patients…

Mon corps a tiré sur la plug. Et moi, j’essaie de le rebrancher sans faire sauter les plombs…

Gwendoline Duchaine

 

Apprendre à dire non

À l’aube de mes quarante années, je me suis enfi

À l’aube de mes quarante années, je me suis enfin fait ce cadeau : dire NON!
Tu passes ta vie à vouloir faire plaisir aux autres, à tes enfants, à ton chéri, à tes amis, à ta famille, à ton patron, à tes collègues… et tu t’oublies… tu te mets entre parenthèses trop souvent…

Récemment, j’ai appris à dire NON.
Ce fut un long cheminement. Il a fallu que l’on abuse de ma gentillesse de si nombreuses fois. J’ai mis du temps à ouvrir les yeux, à me réveiller et à crier haut et fort : C’EST ASSEZ! NON, NON et NON! Quelle délivrance! Quelle liberté! Celle de refuser! Et mieux encore, je dis NON sans me justifier. Juste NON. Rien de plus.

Ton enfant qui veut le jouet dernier cri : NON!

Ton ado qui demande un centième lift cette semaine : NON!

Ton patron qui te propose de faire des heures supplémentaires : NON!

Ta collègue qui souhaite que tu la remplaces : NON!

La caissière qui te demande si tu vas faire un don pour telle ou telle association : NON!

Les amis qui t’invitent à souper alors que tu as juste le goût de te coller avec ton chum dans le canapé et d’écouter des séries en rafales en mangeant du popcorn : NON!

Les amis qui te sollicitent pour une activité qui ne te tente pas : NON!

Quand on te demande de venir dépanner et que tu manques de temps pour ta petite famille : NON!

Le chien qui veut aller marcher alors qu’il pleut et vente : NON!

Le dentiste qui te harcèle pour ton nettoyage tous les six mois : NON!

Tes souliers de course qui te narguent dans l’entrée : NON!

Le coach de soccer qui souhaite que tu sois son assistant : NON!

Les repas tous les dimanches avec belle-maman : NON!

Les fêtes d’amis qui vident le porte-monnaie : NON!

Les heures passées à arracher les pissenlits dans le jardin : NON!

Le tas de linge devant la table à repasser : NON!

L’enfant qui veut jouer à la console alors que sa chambre n’est pas rangée : NON!

Ta fille qui te demande de l’emmener (encore!) magasiner : NON!

Le jour où tu trouves cette force de dire NON et que tu arrives à te faire passer TOI en premier… ce jour-là, tu accèdes à la paix, à la liberté. Et bizarrement, tu te sens beaucoup plus disponible pour les autres, car tu as pris le temps d’enfin te considérer, comme mère, comme femme, comme amie, comme fille, comme sœur…

 

Gwendoline Duchaine