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Quand le tableau de bord s’allume

Dès ses premiers cris, un système dont tu ignorais l’existence s

Dès ses premiers cris, un système dont tu ignorais l’existence s’active en toi. Ce système est d’une puissance incomparable, tu le sens dans tout ton être et il s’appelle l’instinct parental.

Ton mini humain grandit. Que ce soit lors des premiers jours, mois ou années, il se pourrait que sur ton tableau de bord, des pitons dont tu ignorais l’existence jusqu’à présent se mettent à clignoter.

Quand une lumière allume dans le tableau de bord de ta voiture, hors de question de mettre ça entre les mains de n’importe qui. Tu vas en jaser ici et là et tu vas même avoir droit à la théorie de monsieur et madame Tout-le-Monde. Le starter, la batterie, le moteur ou encore la transmission, tout va y passer. C’est bien gentil tout ça là, sauf que tu sais qu’il n’y a rien de mieux qu’un bon mécano pour trouver le problème et le réparer.

Tu me vois venir?

Quand ton tableau de bord commence à s’énerver, peu importe à quel niveau, tu devrais faire la même démarche que pour ta voiture. Juste pas avec un mécano, ça, ça pourrait être bizarre!

Quand tu en parles, monsieur et madame Tout-le-monde qui s’improvisaient mécaniciens tantôt, s’improvisent désormais spécialistes en petite enfance :

« Ben non, c’est juste un enfant. »

« Hey, c’est un gars, un gars, ça bouge. »

« Hey, c’est une fille pis les filles sont chialeuses. »

« C’est la faute de son cousin/sa cousine/son frère/sa sœur/un voisin. »

« Vous autres de vos jours, vous appuyez sur le piton panique ben vite! »

Toutes ces réponses calment tes craintes l’espace de quelques secondes, mais elles n’éteignent aucune lumière. Pis là, ça sonne encore et c’est fatigant.

C’est tabou de dire qu’on consulte autre chose qu’un médecin en 2018, alors tu ne t’imagines pas combien c’est tabou de consulter des spécialistes pour un enfant. Tu dis que ton enfant a mal au bras depuis quelque temps, monsieur et madame Tout-le-Monde te demandent avec une pointe d’inquiétude si tu as consulté un médecin. Tu parles des difficultés de ton enfant, monsieur et madame Tout-le-Monde te regardent d’un air incertain avec le bruit de criquet en arrière-fond, en te disant que c’est dans ta tête pis que c’est juste un enfant. Pourtant, une douleur physique n’est pas plus visible qu’un trouble psychologique/neurologique/alouette.

Tu devrais tout simplement discuter avec l’éducatrice de ton enfant. Elles ont l’air de rien ces petites bêtes‑là, mais elles ont de solides skills* dans le domaine des mini-humains. Ensuite, il y a le pédiatre ou le médecin de famille qui demeurent ta porte d’entrée pour les références vers d’autres spécialistes. Même si tu as dans ton entourage des gens que tu aimes bien et qu’ils connaissent ça, les enfants, c’est toujours mieux de prendre en compte l’avis de plusieurs personnes, y compris des gens extérieurs puisqu’ils sont plus neutres face à la situation. Qu’on se le dise, l’environnement de l’enfant influe sur ses comportements. Ce qui se passe avec toi, dans son milieu de garde, chez papi et mamie, ce n’est pas la même histoire.

À travers tout ça, ce que je veux te dire aujourd’hui, c’est de faire confiance à ton tableau de bord. Personne ne connaît mieux ton enfant que toi‑même, pis si tu penses que vous avez besoin d’un petit coup de main, va chercher de l’aide. Les spécialistes ne sont pas là que pour donner des diagnostics et des pilules. Je sais, c’est ce que monsieur et madame Tout-le-Monde ont tendance à croire, mais au contraire ils sont une source inépuisable de solutions.

Pis t’sais, dans le pire des cas, tu vas juste être allée au garage pour faire une mise à jour et ça va éteindre la lumière. Toi pis ton petit, vous allez pouvoir ensuite reprendre la route en toute tranquillité d’esprit.

Skills: Expression utilisée pour désigner les forces, les compétences et le travail colossal de nos éducatrices en petite enfance. Ou terme utilisé dans le but de me sentir plus jeune et à jour dans les expressions.

 

 

Marilyne Lepage

Le no man’s land des listes d’attente

Entre Israël et l’Égypte, il existe un no man’s land

Entre Israël et l’Égypte, il existe un no man’s land d’un kilomètre : un endroit situé entre deux pays, où l’on doit marcher pour obtenir notre étampe de bienvenue en Égypte une fois qu’on a quitté Israël. Un kilomètre, cinq minutes, à ne pas savoir où on est, à ne pas savoir combien de temps on y sera, à ne pas savoir si notre « candidature » sera acceptée ou si on devra retourner bredouille d’où on vient… ou pire : rester piégé entre deux pays, dans un endroit dans lequel on n’existe pas vraiment puisqu’on n’a pas d’étampe, pas de droits, pas de destination. J’y étais il y a vingt ans, et ce sentiment de vide m’habite encore. Alors imaginez ceux qui passent des années dans un no man’s land !

Plusieurs d’entre vous savent que ces no man’s lands existent ici aussi. Tous ceux qui aiment des enfants atteints de maladies physiques ou mentales qui sortent des sentiers battus. Tous ceux qui prennent soin d’enfants (petits et grands) qui ne cadrent pas dans le moule (social, scolaire, médical…), qui ont des difficultés à suivre le rythme du groupe et à apprendre comme ceux qui répondent bien au programme du ministère de l’Éducation. Tous ceux-là savent jusqu’à quel point les listes d’attente, véritables no man’s land de nos territoires nord-américains, sont inquiétantes. Et interminables parce quon na jamais la certitude quelles auront une fin. Et toujours à recommencer.

Nous avons dû recourir à une aide médicale pour que je puisse devenir enceinte. Naïfs, nous avons opté pour le circuit public. Une année à laisser la nature, une autre à attendre que la requête de notre médecin de famille se rende jusqu’au spécialiste, deux autres années à ATTENDRE, encore. Le temps qui s’étend entre chaque nouveau rendez-vous, entre chaque nouveau résultat, est un calvaire du combattant sans garantie de fil d’arrivée. Heureusement, une fois que notre nom atteint le haut de la liste, on est traités aux petits soins. Gratuitement (ben… avec les impôts qu’on paie, tout de même !), par-dessus le marché.

Quand nos enfants ont eu besoin d’une évaluation de leur douance, nous sommes d’abord passés par le système public. La demande avait été faite au jour 1 de la maternelle. Elle a été entendue au dernier mois de la deuxième année du primaire. Et ça, c’est parce qu’on vivait en Alberta, parce qu’au Québec, on n’aurait même pas eu le droit de compléter la demande auprès de la commission scolaire. Il aurait fallu aller au privé, comme nous l’avons fait avec nos autres enfants. Mais même là, les mois d’attente s’égrainent malgré les centaines (milliers !) de dollars déboursés. Bien sûr, la douance n’est pas une question de vie ou de mort, mais ça peut changer toute, je dis bien toute, la vie d’une personne. Plus c’est compris tôt, plus vite on applique des stratégies gagnantes, et plus ces stratégies sont efficaces. Et plus elles peuvent empêcher l’anxiété de performance de s’installer, le décrochage d’arriver, le mal-être de s’imprégner. Même principe avec tous les troubles d’apprentissage et les difficultés psychologiques.

Même quand on se présente à l’urgence avec un enfant en crise d’asthme ou en crise existentielle, on ne peut pas s’attendre à obtenir un service rapide. Je ne pense pas seulement aux trop nombreuses heures d’attente dans une salle bondée de microbes et de patients impatients. Je pense aux mamans enceintes jusqu’au cuir chevelu qui se font retourner à la maison parce qu’on ne voit pas encore la tête du bébé. Aux individus suicidaires qui se font montrer la porte tournante dès qu’ils ont promis-juré-craché qu’ils ne recommenceront plus. Aux parents à bout d’enfants ou d’adolescents à bout qui doivent attendre d’être en hémorragie émotive pour avoir leur place dans le système. Qu’est-ce qu’un parent est censé faire quand il apprend que son enfant violent et malheureux n’aura pas de rendez-vous avant trois ans ? Ou que son bébé qui maigrit sans arrêt, qui devient plus pâle qu’un fantôme ou qui se plaint de maux de ventre atroces devra attendre, lui aussi, qu’un spécialiste ait une place sur sa liste ? Dans son horaire ?

Ne vous méprenez pas : je ne proteste pas ici contre les humains qui travaillent au bien-être de nos enfants. J’ai perçu une tristesse infinie dans la voix de la réceptionniste qui me disait : « Malheureusement, je n’y peux rien, votre enfant n’aura probablement jamais accès aux services spécialisés parce que son problème n’est pas assez grave » (lire ici : il ne mettait la vie de personne en danger dans l’immédiat). Le spécialiste en fertilité comprend trop bien le désespoir du couple qui arrive à la limite de l’âge « acceptable » pour procréer et qui doit malgré tout attendre un cycle, deux cycles, trois…

Je ne peux pas protester contre ces humains. Quand on finit par recevoir l’appel tellement espéré, par rencontrer le spécialiste qui nous aidera à comprendre ce qui torture le bedon de notre mignon ou ce qui entortille le cerveau de notre jeune, on est placé devant une grande compétence. Une humanité sensible, aussi. Des êtres pris dans un système qui prend son temps et qui teste les réserves de patience. Et qui cause des torts à force de repousser les urgences.

Bien sûr, le secteur privé peut parfois accélérer le processus. Voilà entre autres pourquoi je me tourne souvent vers les approches alternatives au lieu d’engorger les listes d’attente. Mais parfois, on a besoin de plus.

D’ailleurs, les cliniques privées, bien souvent, ne fournissent pas l’intervention combinée de plusieurs spécialistes qui jumellent leurs expertises pour apporter la meilleure solution. Je crois au secteur public de la santé. Une fois qu’on y est, on reçoit ce pour quoi on paie des impôts. Mais les payeurs d’impôts ne sont pas seulement ceux qui ont les veines ouvertes ou qui sont en un arrêt cardiaque. Il y a aussi tous ceux qui sont déprimés et qui cherchent des solutions. Et ceux qui ressentent les premiers malaises liés à une santé défaillante et qui voudraient bien guérir. Guérir avant que la liste d’attente vienne à bout d’eux.

Il y a aussi tous ces parents, tous ces grands-parents, ces familles et ces amis qui s’inquiètent pour un des leurs et qui se sentent impuissants à devoir le regarder marcher au milieu d’un no man’s land qui semble ne mener nulle part.

Nathalie Courcy