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Cette photos jamais prise – Texte : Nathalie Courcy

Si des vidéos existent de mon enfance, elles ne se sont pas rendues jusqu’à moi. Je n’ai pas d

Si des vidéos existent de mon enfance, elles ne se sont pas rendues jusqu’à moi. Je n’ai pas d’enregistrement de la voix de mes grands-parents ou de mon père. J’ai quelques photos, heureusement, puisque mon père aimait bien photographier notre quotidien quand il revenait de sa nuit de patrouille. Mais lui était derrière l’appareil, pas devant.

J’ai des tonnes de photos de mes enfants. Tous les anniversaires, toutes les premières fois, les sourires « pas de dents », la rentrée scolaire, la visite chez le dentiste. Comme si je m’étais vengée en documentant à outrance leur enfance.

Mais plus le temps passe et plus je me rends compte que je suis rarement sur les photos. Bien sûr, puisque je suis derrière l’objectif. Je me disais qu’eux grandissaient, contrairement à moi qui restais la même (vraiment ?). Un beau bébé joufflu cache si bien une maman un peu bedonnante et honteuse ! J’apprends tranquillement à me laisser photographier, à être le centre de l’attention d’une lentille.

Quand je suis montée sur la scène de l’auditorium de l’Université Laval pour recevoir mon doctorat en littérature, je me sentais fière, nerveuse (ne pas trébucher, ne pas faire de sourire niaiseux, ne pas dire d’imbécilités au recteur…), accomplie. Réussir des études doctorales prend des années, mais recevoir le diplôme ne prend qu’un instant. « Nathalie Courcy », le nom est nommé, félicitations, poignée de mains, merci. That’s it, on passe à un autre appel.

Les lumières devant la scène m’aveuglaient, le reste de la salle était plongé dans la noirceur, il y avait des centaines de personnes, placées en ordre alphabétique. Un vrai troupeau. Mais dans le troupeau, il y avait ma toge, mon diplôme et moi. Et mon bébé de quelques semaines que j’ai allaitée à 42 degrés Celsius sous ma toge (doctorat ou pas, bébé avait faim !).

J’aurais aimé qu’on immortalise ces moments. Je crois vaguement qu’une ou deux photos ont été prises, de piètre qualité. Floues, sombres, prises à la va-vite. Disons que ça ramène les deux pieds sur terre quand tu as l’impression que ce moment grandiose pour toi ne l’est pas pour les autres. À bas tout snobisme potentiel.

J’aurais aimé offrir mon plus beau sourire de femme qui a vaincu l’Everest des études et de l’infertilité. J’aurais aimé que cette photo témoigne de la force de la persévérance et du travail. J’aurais aimé qu’il reste une image de mon bébé dans sa plus jolie robe et de moi dans ma plus jolie toge.

J’ai un vague souvenir, aussi, d’une fête organisée à la maison après la cérémonie de remise des grades. Je ne me souviens pas trop si c’était en mon honneur ou en l’honneur de ma fille. Quelques amis y étaient, ma mère, mon mari, mes enfants, ma belle-famille. J’hallucine peut-être, mais je ne crois pas que des photos aient été prises. J’utilise volontairement le mode passif parce que je ne pouvais pas prendre ces photos. Entre un allaitement et un remerciement, j’étais probablement trop occupée, et la mode des égoportraits n’était pas encore lancée.

J’aurais aimé conserver des photos de toutes les personnes présentes. J’aurais aimé avoir une preuve concrète que j’étais aimée et entourée. J’aurais aimé ne pas devoir me demander si j’avais rêvé ou si c’était vraiment arrivé.

J’ai compris une année plus tard qu’au moment de recevoir mon doctorat, j’étais déjà en dépression. Je ne le savais pas, personne ne s’en doutait. Je ne sais pas si cet état aurait été visible sur la photo ou si ma fierté du jour aurait tamisé la noirceur qui me grugeait. Je sais par contre que ma perception du monde commençait déjà à être altérée et que des pans de ma mémoire ont été affectés. Je sais aussi que mon sentiment de ne pas être assez importante pour mériter une photo a joué un rôle dans la chute de mon estime personnelle. Tout ça pour une photo jamais prise.

 

Nathalie Courcy

http://nathaliecourcy.ca

Le mouton noir le plus éduqué

Je viens d’une famille modeste. Des parents travaillants et soucie

Je viens d’une famille modeste. Des parents travaillants et soucieux de nous offrir un avenir meilleur. Mes parents ne sont pas restés longtemps sur les bancs d’école. Leur génération n’a pas trop valorisé la poursuite de longues études. Et qu’on se le dise, la pression d’aller sur le marché du travail était forte. Malgré cela, ils m’ont appris l’importance de l’éducation et que l’obtention d’un diplôme pourrait me simplifier la vie. Ils m’ont encouragée comme ils ont pu dans mon cheminement scolaire.

Le temps a passé et j’ai quitté mon petit village pour m’investir dans la grande ville. Je découvrais à quel point le monde pouvait être riche. Oh combien toutes ces nouvelles informations étaient stimulantes pour moi! Poursuivre des études était non seulement une façon de m’assurer un avenir professionnel, mais surtout, j’avais l’impression de devenir quelqu’un. Le savoir est devenu une bouée de sauvetage.

Je suis une personne ordinaire. Je n’ai pas de talent particulier et je ne me démarque pas spécialement. Mais à l’université, je devenais quelqu’un. Pas au sens glamour de la chose, mais plutôt face à moi-même. J’ai rapidement découvert que l’école et la bibliothèque pouvaient m’ouvrir un monde auquel je pouvais m’identifier. Côtoyer des gens qui aiment réfléchir et échanger est vraiment stimulant. J’apprenais une nouvelle façon de percevoir la société et les humains. À mes yeux, je demeurais la même personne, mais avec des connaissances en plus! Sans m’en rendre compte, un nouveau vocabulaire s’est installé. Sournoisement, un écart s’est creusé avec mes proches. On tentait tranquillement de me faire comprendre que la nouvelle version de moi-même commençait à déranger. Ce qu’on m’avait encouragée à faire devenait maintenant une source de rejet.

J’avais vraiment sous-estimé les impacts de mon cheminement académique sur mes relations familiales. C’était comme si, soudainement, j’étais devenue une personne avec qui ils n’avaient plus rien en commun. Les sujets d’actualités ne les intéressaient pas et les conversations d’opinion étaient tout aussi limitées compte tenu des idées arrêtées.

Tranquillement, on commençait à me glisser des phrases du genre : ah, on sait ben toi avec de grands mots compliqués…. Ah, écoute donc parler l’autre qui est allée à l’université… Bon, toi avec tes grandes théories…On avait décidé que j’étais une personne hautaine, qui se prenait pour une autre. On m’accusait de faire chier avec mes diplômes. Diplômes qui, étrangement, m’amenaient à travailler auprès des plus démunis. Eh ben! C’était tellement incohérent pour moi! Je souhaitais simplement jaser de mes journées avec les membres de ma famille. Et peut-être les faire bénéficier de mes connaissances, au même titre qu’on demanderait conseil à son beau-frère mécanicien.

Après plusieurs années à m’entêter et à essayer différentes approches, j’ai dû faire un choix. Cette situation prenait trop de place. Sans vivre de conflit ouvert, je sentais qu’un malaise planait et j’évitais les contacts. Avoir une bonne relation avec les membres de ma famille fait partie de mes valeurs les plus chères, mais je devais me fixer une limite personnelle.

La fille nerd qui aime les bibliothèques et qui s’implique dans des causes féministes devait se faire plus discrète. Sans nier qui je suis. Pour y arriver, j’ai surfé jusqu’à ce que je trouve l’équilibre entre mon identité et mes relations familiales. Cela n’a pas été sans défis. La preuve, mon nom ne se retrouve pas au bas de ce texte. Simplement parce que cela n’apporterait rien de mieux à ce que nous vivons.

L’effort de réflexion a été pour nous la façon de nous concentrer sur l’amour que nous avons les uns envers les autres. Garder nos liens simples, prendre soin les uns des autres et passer du temps de qualité ensemble.

Eva Staire

Des bébés et des études

Nous étions tous les deux étudiants et amoureux fous l’un de lâ€

Nous étions tous les deux étudiants et amoureux fous l’un de l’autre. Après plusieurs années en couple, nous savions que nous voulions des enfants. Nous regardions devant nous et nous savions pertinemment que plusieurs années d’études étaient encore devant nous. Mais nous n’avions qu’une seule vie à vivre, et il était hors de question de passer à côté. Nous avons donc choisi d’avoir un enfant, en étant tous les deux aux études à l’Université. Nous avons calculé nos budgets, organisé nos sessions et pris la décision en toute conscience d’accueillir un petit être dans notre famille.

Quand j’ai accouché de ma première fille, Papa était en stage final de son baccalauréat. Heureusement, j’ai accouché en soirée et il a pris une journée de congé pour nous ramener à la maison, à notre sortie de l’hôpital. C’était mon premier bébé, un mini-trésor dont je devais prendre soin. Entre deux sessions. J’ai continué à suivre des cours à l’Université le soir. Papa n’a eu aucun congé de paternité et pourtant, j’avais l’impression qu’il était là avec nous. Nos familles habitaient loin de nous. Nous n’avions que nous au monde.

Deux ans plus tard, j’en étais à la moitié de mon baccalauréat. Papa était à la maîtrise. Et nous avons décidé d’avoir un autre enfant. Encore une fois, j’ai accouché pendant la nuit et Papa est allé travailler le matin même. La semaine suivante, il partait en congrès plusieurs jours. Cette fois-là, j’ai demandé à nos familles et amies de venir nous donner un petit coup de main… S’adapter à la vie avec deux enfants, ce n’est pas évident. Pendant qu’on étudie, ce l’est encore moins !

Je suivais des cours de fin de semaine à l’Université. Papa passait ses samedis à faire le taxi entre la maison et la salle de classe pour que je puisse allaiter. Parce que oui, en plus, j’allaitais ! J’ai eu la chance inouïe de croiser sur mon passage des professeurs humains et compréhensifs. Le soir d’un examen final, j’ai dû amener ma fille de quelques semaines avec moi. La professeure responsable ce soir‑là a passé toute la période à se promener avec mon bébé dans les bras, pour qu’elle reste profondément endormie et que je puisse faire mon examen.

Parce qu’on était toujours autant en amour, on a même fait un troisième bébé. Notre dernière fille est venue au monde pendant que Papa entreprenait son doctorat. J’ai fini mon baccalauréat avec des cours à distance, entre un allaitement et un changement de couche.

Est-ce que ça a été facile ? Non, pas tous les jours. Est-ce que c’était le chemin le plus simple ? Non plus. Mais je vous assure que nous n’avons aucun regret. Les études sont terminées, les diplômes sont accrochés au mur. Ces petits bouts de papier ont à nos yeux encore plus d’importance. Quand on passe devant, on se rappelle tous les sacrifices, les choix, les nuits blanches et les fins de session. Et quand les enfants passent devant, ils voient le dépassement de soi et l’accomplissement. Parce que dans la vie, le chemin facile semble attirant, mais ce ne sera jamais le seul choix que tu as.

Nos filles ont grandi. Maintenant, ce sont elles qui vont à l’école. Et comme elles nous l’ont enseigné quelques années plus tôt, c’est notre tour de leur apprendre ce qu’est la persévérance. Parce que parfois, les chemins plus compliqués sont aussi plus enrichissants.

Joanie Fournier

 

L’enseignante démissionnaire

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Dans une autre vie, j’ai été prof. J’enseignais les littératures à l’université, dans une autre province. Je parle au passé. Parce que j’ai démissionné.

J’ai toujours voulu enseigner. Une vraie vocation. Je portais encore des lulus et un une-pièce jaune poussin, et je déclarais déjà : « Moi plus tard, je vais être professeure. » Dans ma chambre au deuxième étage, j’installais devant moi mes toutous poilus, mes poupées avec les yeux qui ferment quand on les couche. Je me plaçais près d’un tableau imaginaire et j’enseignais. Je transmettais mes connaissances : 2 + 2 = 4. 4 + 4 = 8. Les verbes avec « tu » finissent par un « s ». Sauf les exceptions : tu veux, tu peux… Même quand mes frères aînés apprenaient leurs leçons, je répondais à leur place.

Au primaire, j’aidais mes enseignantes à corriger les devoirs à la fin de la journée d’école. Je n’étais pas seulement responsable de mettre les autocollants : c’est moi qui corrigeais les évaluations, qui détenais le pouvoir du stylo rouge. J’étais payée en Minces aux légumes et en tête-à-tête avec ma prof, mon idole.

Au secondaire, j’étais l’élève rebelle qui se faisait envoyer chez le directeur, mais je participais aux dictées régionales et au journal étudiant. Dans mes temps libres, j’apprenais les bases des techniques d’instruction et de l’art oratoire dans les cadets de l’aviation. À seize ans, j’enseignais tous les vendredis soirs à des jeunes en uniforme et je tripais. Le thrill d’un comédien sur une scène. Moi qui étais si rougissante pendant les présentations orales, si tremblante quand c’était le temps de donner mon opinion dans un groupe… j’enseignais et je me sentais à ma place.

Au cégep et pendant mon baccalauréat, répondre aux questions des profs était une torture. J’ai réussi à vaincre mon trac pendant les présentations orales en m’autorisant à m’asseoir pour sentir mes racines plus solides. Je cachais mes jambes en guenilles et mes mains en processus de liquéfaction derrière le bureau. Je me suis rendu compte que plus je savais de quoi je parlais, moins j’étais stressée. Alors je suis allée chercher le maximum de connaissances et de compétences.

Puis j’ai plongé à hémisphères cérébraux joints dans la maîtrise et le doctorat. Donner des conférences, présenter mes recherches, assumer mes idées est devenu un passage obligé. Pas de prises de paroles, pas de bourses. Et un jour, une professeure de littérature a jugé ma conférence assez pertinente pour la publier dans un collectif. Tout un élan de fierté, de « t’es belle, t’es fine, t’es capable! » J’ai continué à parler en public, à y prendre goût.

Je m’imaginais enseigner au cégep. Mais c’est l’Université de l’Alberta qui est arrivée sur mon chemin. Il y a pire dans la vie. Mais peut-être que j’aurais dû m’écouter.

Ne vous méprenez pas, j’ai adoré enseigner les littératures et la langue française. La relation prof-étudiant me passionnait, j’aurais tout donné pour ces humains assoiffés de connaissances et de culture. Et j’en ai donné, des heures, des nuits, des fins de semaine. Pour préparer mes cours, pour corriger des essais et noter des examens, pour commenter des textes, pour dénicher LA façon d’expliquer l’accord du participe passé ou l’impact de la colonisation sur les littératures africaines.

Mais justement, ce temps, cette énergie, j’aurais voulu, en même temps, les consacrer à mes enfants. Ils étaient si jeunes, si exigeants, si curieux de tout… et moi, je devais si souvent m’enfermer dans mon bureau pour pouvoir remettre les travaux corrigés à temps. J’ai tenté de mettre des limites permises par l’expérience (travailler un seul soir et une seule journée de fin de semaine par semaine). J’ai tenté d’élaborer des stratégies pour rendre mon travail plus efficace, pour le garder valorisant, pour me garder à jour sans y perdre ma santé. Mais je trouvais tout de même que la valeur que je voulais donner à ma famille n’y trouvait pas sa place.

J’ai fini par démissionner de mon poste après plus de cinq ans au même endroit. J’étais enceinte de mon quatrième enfant, mon conjoint était transféré vers Ottawa, j’étais épuisée de ce rythme de vie dans lequel l’humain et la vie personnelle ont peu d’espace pour respirer. J’ai fait le choix de me lancer dans le vide du chômage, en me disant qu’avec tout le bagage d’enseignement, de communication, de connaissances, de qualités humaines, d’organisation que j’avais, je trouverais quelque chose le temps venu.

Ce moment est arrivé quand mon bébé avait neuf mois. Je ne travaille plus dans l’enseignement, mais j’utilise chaque jour ce que j’ai appris pendant mes années de formation et de profession. Vais-je, un jour, redevenir enseignante? Peut-être, quand les circonstances familiales seront différentes. Mais pour l’instant, j’enseigne la vie à mes enfants et ça aussi, c’est l’un des plus beaux métiers du monde.

 

 

Nathalie Courcy

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