L’instinct maternel qui avait oublié de se pointer le jour de ta naissance
42 semaines… 42 semaines à cohabiter. 42 semaines à connecter. 40 semaines, c’est une moyenne, paraît-il. J’avais si hâte de te voir! Te découvrir. Te prendre. Être ta maman. 42 semaines à te bercer au sein de mon ventre. À te chanter une berceuse. Toujours la même. Comme si j’instaurais une routine. En tout cas, cette berceuse me calmait. Alors, je la fredonnais souvent. Tout le temps même.
Un accouchement que je n’avais jamais imaginé. Toute ma grossesse avait été de rêve. Tu valsais en moi. Tes mouvements étaient légers et délicats. C’était si agréable de te porter que t’accoucher serait un véritable conte de fées. Ben non! Rien de tout ça. Un accouchement pour m’ébranler un peu et me montrer que la maternité, c’est parfois autre chose que du bonbon.
On devait me provoquer, car tu semblais trop bien en moi et que tu ne faisais aucun effort pour que le travail débute. Finalement, le travail a commencé son œuvre au lever du jour. Un soleil entrait par la fenêtre de chambre pour créer une ambiance féérique. Et puis… pendant des heures, l’obstétricienne qui n’arrivait pas à crever la poche des eaux. Mal placée, semblait-il. Le col qui ne dilatait pas. Le col qui ne s’effaçait pas. Huit heures d’essais atroces et interminables pour percer cette poche. On provoquait ton arrivée. Mais comme tu as toujours été calme, pourquoi t’en faire? Tu restais là. Attendre que l’on vienne te chercher. On m’annonce finalement que ce sera une venue par césarienne. Il y en a pu de problèmes, rendu là! Je veux te voir et te sentir dans mes bras! Et que cette douleur prenne fin. Je suis légèrement confuse. Je m’abandonne aux décisions de la médecine.
J’étais à la merci d’une équipe de travail qui était bien compréhensive envers mes inquiétudes. Je n’étais plus moi-même. Pleine de médicaments pour amoindrir ma conscience de ce qui se tramait autour de ta venue. J’ai perdu le fil de ce qui se passait. J’ai vu tes pieds passer au-dessus de ma tête. Ton père est parti avec toi. On m’a refait une beauté du bas ventre et je suis montée en salle de réveil. Puis à ma chambre, papa t’a amenée contre moi. J’étais encore sous médication. J’avais mal au cœur. J’ai grommelé un : « Enlève-la de là… je vais lui vomir dessus. » L’infirmière est venue te chercher pour me laisser reprendre mes sens qui avaient assurément pris la fuite dans la salle d’opération. Ta première nuit lui a appartenu. À elle, cette inconnue pour nous deux. Cette infirmière qui t’avait toute à elle et rien pour moi. J’ai passé, tout comme toi, ma nuit sous surveillance.
À mon vrai réveil, un interne t’avait amenée dans ma chambre froide de toutes décorations. Aux murs aussi pâles que mon teint. Je n’arrivais pas à m’asseoir pour mieux te regarder dans ton petit lit de verre. Tu bougeais aussi calmement que dans mon ventre. Je t’ai reconnue, aussitôt. Tes pas de danse, nous les avions chorégraphiés ensemble, au fil des mois.
Nous avons eu quatre jours pour nous apprivoiser à l’hôpital. C’était toi. Rien pour en douter. Mais je ne connaissais rien de toi. C’était rassurant d’avoir quelqu’un à mes côtés pour prendre la relève le cas échéant. Ton papa avait le tour avec toi. Bien lovée dans ses bras, tu y trouvais la sécurité, la chaleur. Moi, frêle d’une forte anémie, je peinais à t’offrir ce dont tu avais besoin.
Nous avons quitté l’hôpital en nouvelle petite famille que nous étions devenus. Papa a dû partir dès notre arrivée à la maison. Une équipe de jeunes athlètes l’attendait sur le terrain de foot. La vie ne pouvait cesser parce que princesse Lauriane était là. Il a quitté, malgré ta peine du moment. Une peine de quoi? Je l’ignorais! J’allais rester là, plantée au beau milieu du salon un bon moment. Toi dans mes bras avec ta peine. Moi, avec mon immense peine de ne pas savoir quoi faire. Anéantie par mon incompétence! Et si je n’y arrivais pas? Et si je n’y arrivais pas? Jamais! Ce ne serait certainement pas ton seul chagrin à vie! Tu avais une couche toute propre, tu venais de boire. J’ignorais ce qui pouvait bien provoquer cette peine. Et puis…
… Alors, je ne sais pour quelle raison, je me suis mise à fredonner cet air que nous connaissions par cœur, toutes les deux. Cette chanson, fredonnée lorsque tu étais au creux de mon moi tout entier, tu l’as reconnue. Comme dans un moment de pure magie, nous nous sommes regardées dans la plus grande profondeur de nos âmes et c’est à ce moment précis que j’ai compris que j’avais en moi tous ces répertoires pour te protéger, t’accompagner au gré de ta vie, de tes embûches, de tes peines et de tes bonheurs. J’avais en moi cet instinct qui me connectait à toi.
Depuis, j’ai encore parfois douté, je douterai encore, mais jamais je ne cesserai de fredonner nos airs à nous. Ceux qui font que nous nous faisons confiance mutuellement.
Mylène Groleau