Mauvais pronostic
Le 4 novembre 2016, à l’âge de 17 ans, je donnais naissance à une merveilleuse petite rouquine au prénom significatif. Je vivais le parfait bonheur dans le sous-sol d’un duplex. J’apprenais tranquillement le rôle de maman avec cette petite fille qui me comble de bonheur. En janvier 2017, un problème respiratoire me forçait à appeler l’ambulance pour l’amener le plus rapidement à l’hôpital. Après plusieurs heures sans dormir et plusieurs tests, on m’a dit qu’elle avait une laryngite et que lorsqu’elle serait guérie, on pourrait rentrer à la maison. La pédiatre, qui savait trouver les mots pour me rassurer, nous donnait enfin notre congé après deux jours de traitement.
Deux mois plus tard, lorsqu’elle avait quatre mois, j’ai reçu un appel du département de pédiatrie me disant que la pédiatre voulait revoir ma fille en suivi post-hospitalisation. Ce n’était qu’un prétexte pour que mon inquiétude ne prenne pas le dessus, mais personne ne m’avait prévenue qu’il était préférable de ne pas y aller seule avec ma fille. En sortant du rendez-vous, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps en appelant mon conjoint pour lui faire un résumé. Elena avait un retard de développement global et la pédiatre demandait à l’hospitaliser pour passer une batterie de tests. Après une semaine de cohabitation avec des inconnus dans une chambre d’hôpital, on retournait à la maison avec comme seule information qu’elle avait un retard et qu’elle serait suivie par plusieurs spécialistes pour trouver ce qu’elle avait.
Le 27 juin 2018, lors d’une des nombreuses hospitalisations, elle était allée passer une imagerie de son cerveau sous anesthésie. Après plusieurs heures d’attente, le neurologue est venu nous voir dans la chambre, accompagné de plusieurs spécialistes pour nous donner les résultats. Au moment où il m’a demandé de m’asseoir, je savais que quelque chose n’allait pas. Il a essayé de m’expliquer avec des mots simples et un dessin ce qu’avait ma fille. Un terme beaucoup trop long que jamais je n’oublierai. Hypoplasie ponto-cérébelleuse. En gros, il a comparé son cerveau à l’âge de quatre mois à celui d’un cerveau d’enfant d’un an et demi et il a vu que son cerveau rétrécissait un peu comme un raisin sec. Pour lui, ça expliquait le retard de développement moteur et intellectuel sévère. À la lumière de ses connaissances, il m’a dit : « Il lui reste tout au plus un an à vivre ».
C’est à ce moment que tout mon mode s’est écroulé. J’avais mis ma vie sur pause pour elle, fini les études, le travail, tout. Un an, 365 jours, 52 semaines, qui pouvaient décider du temps qu’il me restait avec elle. Je n’étais pas prête à la perdre pour toujours. Je profitais de chaque jour auprès d’elle en n’espérant qu’une chose : que le neurologue se soit trompé de patiente. Les jours, les semaines et les mois passaient, elle était toujours là, bien vivante. Je voyais bien la maladie évoluer, mais ma fille était toujours là. J’essayais de comprendre pourquoi on m’avait donné ce pronostic. L’année avait passé si vite que j’avais l’impression de ne pas avoir profité au maximum de ma fille. Mais pourquoi était-elle toujours là ?
Le 17 septembre 2019, rendez-vous en génétique avec le neurologue. Ils avaient trouvé ce qu’avait ma fille, une maladie neurodégénérative rare dont elle seule au monde est atteinte. Je vais toujours me rappeler cette série de lettres et de chiffres qui avaient étiqueté ma fille : AGTPBP1.
C’était le mauvais pronostic. On m’annonçait alors que ma fille décéderait de la maladie, mais quand ? On ne le saurait jamais vraiment. Comme Elena est la seule au monde, les professionnels apprennent avec elle. À la vue de ce que la maladie provoque chez elle, elle ne passera probablement pas la petite enfance, mais connaissons-nous vraiment le pronostic ? Et si c’était encore le mauvais ?
À ce jour, elle est toujours là et elle fêtera bientôt ses 4 ans. La maladie évolue à vue d’œil, mais je ne compte plus les jours. J’ai décidé de vivre, pour elle, pour moi. Je ferai les pas qu’elle ne fera pas, je dirai les mots qu’elle ne dira pas et je l’aimerai comme elle m’aimera.
Carolanne Fillion