Ben oui je pleure !

Jusqu’à cette année, les larmes et moi, ça faisait deux. Deux entités dans une relation à la limite de la guerre froide. Sauf que si on s’était rendues là, elles auraient gelé.

Enfant, aux dires de ma mère, je n’étais pas une pleureuse. Mes frères aînés n’ont probablement pas la même opinion. Devant eux, j’avais peu de mots, mais beaucoup de cris et de larmes. On s’exprime comme on peut.

Quand mon père est décédé, j’aurais pu pleurer. T’sais, j’avais sept ans. Ça aurait juste été « normal ». Au salon funéraire, je m’empêchais de regarder son visage dans le cercueil pour ne pas fondre en larmes (au sens propre du terme : me liquéfier entièrement sous l’emprise d’une peine trop vaste pour mon corps d’enfant). Lorsque mes grands-parents, mes oncles, mes tantes, mes cousins et cousines sont décédés, l’envie de pleurer n’y était juste pas. Je ressentais une tristesse, parfois une incompréhension ou un désir de lutter contre l’injustice de leur départ et de notre souffrance. Mais polluer mes joues avec du H2O mélangé de NaCl ? Bof. Pas nécessaire. Ça n’aurait ramené personne. Ça n’aurait consolé personne. Même pas moi.

En fait, je me souviens d’avoir pleuré pour un oncle, mon choucou. Mort soudaine. La corde. Le choc. Quelque temps avant mon mariage. J’aurais tant voulu qu’il y soit. Je me suis laissée aller. Je me suis laissé consoler. Aucune surprise, ça n’a rien réglé, mais au moins, c’était exprimé (comme dans « extériorisé »).

Je n’ai pas pleuré, non plus, quand j’ai quitté mes cadets après quatre ans à les accompagner et, vraiment, à les aimer. J’ai accepté l’immense bouquet de fleurs qu’ils m’ont offert, mais j’ai refusé de faire un discours. Le motton se faisait sentir dans ma gorge serrée et me faisait mal. Physiquement. À l’idée de m’effondrer, de ne plus savoir m’arrêter, de me transformer en sanglot gigantesque qui ne trouve plus de vallée pour se calmer, j’ai préféré cacher mon visage et respirer jusqu’à tant que ça passe. Afuuu afuuu.

À mon mariage ? Pourquoi pleurer ? C’était joyeux, non ? À mes accouchements ? J’avais si mal que je n’avais plus de larmes. Même la joie de tenir mes bébés dans mes bras ne portait pas de larmes, qu’un sourire béat. Quand j’ai perdu le fœtus jumeau de mon fils ? Je me suis ressaisie rapidement : il y avait cet autre être qui avait besoin d’une maman forte pour rester accroché. Mon cerveau cherchait déjà comment l’expliquer à mes filles, comment les protéger d’une trop grande peine. Et pourtant, une partie de moi s’en était allée…

J’ai pleuré dans l’intimité devant ma difficulté d’enfanter. Devant l’évidence grandissante d’une vie de couple qui frôlait le bord de la falaise sans que je puisse la retenir. Pleuré, aussi, embourbée que j’étais au milieu des dédales d’une parentalité qui ne trouve plus de solutions ni d’aide. Je me souviens même d’avoir osé pleurer devant mes enfants. Ça les avait ramollis, convaincus (temporairement) qu’ils devaient se calmer le pompon.

Si j’avais plus pleuré dans le passé, j’aurais probablement moins souffert de rétention d’eau et j’aurais évité la pourriture intérieure des souvenirs.

Garder le contrôle… c’est bien beau, mais ce n’est pas ça, la vie. En tout cas, ce n’est plus la vie que je veux. J’ai choisi de me laisser aller. D’ouvrir les robinets quand le besoin se fait sentir. Depuis la séparation, je passe plus de temps en tête à tête avoir moi‑même. J’enlève des couches de passé non réglé. J’apprends à me sentir en sécurité dans le spectre de mes émotions et de mes pensées.

Parfois, je me fais surprendre par des larmes, même par des sanglots. Au travail, devant une publicité d’autos, en regardant la beauté d’un oiseau, sur l’autoroute 20 (t’sais, les tounes qui font brailler ?), en chantant une berceuse à mes enfants ou entre le repas principal et le dessert. Plus besoin de faire passer ça sur le dos des oignons à couper. C’est mon cœur à moi que j’accepte d’éplucher pour atteindre son centre et lui laisser de la place.

Je ne suis pas nécessairement prête à faire confiance à quelqu’un d’autre pour le laisser prendre mon cœur, mais je commence (finalement !) à me faire assez confiance pour laisser parler mon cœur. Comme m’a dit une amie (qui m’a fait pleurer !) :

Le principe même du lâcher-prise.

Nathalie Courcy



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